-- Alors Michel, t'es tout pâle, tu perds tes arêtes ? C'est quoi ce titre sur la vengeance ?
-- Non, non, je perds rien, même pour attendre. C'est juste un extrait de chanson qui n'a pas plu au FN.
-- Ah oui. Et qui auraient valu à Benjamin Biolay des menaces de mort ?
-- Ouais ouais. C'est dingue, non ? Juste une chanson.
-- Mais C'est une chanson qui nous ressemble...
Cette semaine, j'ai
vu deux films de Marcel Carné : le sombre Quai des brumes (1937) et le lumineux Les enfants du Paradis (1943-1945), tous deux écrits par Jacques Prévert et tournés en studio dans des décors somptueux d'Alexandre Trauner : le port du Hâvre reproduit, dans son atmosphère même, aux Studios de Joinville et le Boulevard du Crime aux Studios de La Victorine de Nice (décors "naturels" de La nuit américaine (1973) de Truffaut).
Jean Gabin et Michèle Morgan, Jean et Nelly dans Le quai des brumes
Que dire, sinon que Les enfants du paradis déploie tant de charmes qu'il éblouit un peu, brouille légèrement le regard habitué à moins de fastes, surtout en France ; tout le monde le dit : c'est un chef d'oeuvre (c'est LE chef d'oeuvre) mais n'est-il pas, de ce fait même, un peu écrasant ? A côté, Le quai des brumes a la légèreté un peu grave d'un poème d'amour, ce qui est paradoxal (extravagant ?) s'agissant d'une des oeuvres les plus pessimistes d'un duo de cinéma (Prévert-Carné) qui s'est rarement aventuré dans la comédie (Drôle de drame, peut-être, mais l'humour anglais en est glacé ; Jenny, Le jour se lève, Les portes de la nuit sont des films tragiques, comme le sont Lumière d'été ou Remorques de Jean Grémillon, également écrits par Jacques Prévert, le second (Remorques) m'évoquant irrésistiblement Le quai des brumes, sans doute à cause de son couple d'amants chimériques interprété par Michèle Morgan et Jean Gabin et de la proximité funeste du port, du trop grand océan.
Pierre Brasseur et Arletty, Frédéric et Garance dans Les enfants du Paradis
Je pense avoir une secrète préférence pour Garance et sa fidélité muette à un amour impossible, que le temps est impuissant à atténuer, à rendre raisonnable. Et, d'une certaine manière, les manigances des Enfants, le croisement terrible de ses destins, ainsi qu'une sorte d'innocence incongrue de ses personnages principaux (je pense en particulier à Lacenaire, le bel et sombre assassin romantique et suicidaire, dans l'interprétation subtile de Marcel Herrand, mais également à Frédéric Lemaitre/Pierre Brasseur, qui devra connaître enfin une désillusion amoureuse pour accéder au rôle de sa vie, Othello, à Nathalie, somptueuse Maria Casarès, qui tire ses forces d'une sorte de mystique amoureuse ; quant à Baptiste, Pierrot plus lunaire que nature, son innocence éclate dans le mimétisme chaplinesque de son indécision -- Jean-Louis Barrault, si haut qu'il semble ne pas vivre parmi les hommes), tout ceci n'annonce-t-il pas le meilleur de Raul Ruiz ?
Cette préférence pour Les enfants ne signifie pas que je néglige la poésie terriblement elliptique du Quai des brumes ; simplement, ce dernier film relève d'une tradition bien établie, dans les années trente françaises, du réalisme poétique, comme Le jour se lève (que nous verrons dimanche) ou Les portes de la nuit (ou, chez Renoir, Le crime de Monsieur Lange, scénarisé et dialogué aussi par Prévert). Les enfants du Paradis ne relève d'aucune tradition particulière, sinon celle du "cinéma français de qualité", tant discuté par les grandes signatures de la Nouvelle vague et dont il constitue un sommet inatteignable. Ce sommet est celui des "métiers du cinéma", des plus prestigieux (production, réalisation, scénario, décor, musique et, ici, costumes...) aux plus pratiques (électricité, ébénisterie), ici combinés avec génie et dont l'annuelle cérémonie des Césars constitue une sorte de miroir confit d'académisme.
Cette semaine, j'écoute pas : Éducation française, Vol. 1.
Parlons un peu musique, maintenant, en commençant par une question.
Le point commun entre Von Pariahs, Pegase, Equateur, The popopopops, Caandides, Juveniles, Singtank, Hyphen hyphen, même St Michel, ainsi que The shoes, The bewitched hands, Woodkid ou Concrete knives ? Il s'agit de groupes pop français réunis, notamment, par J.D. Beauvallet (producteur et critique aux inrocks) dans un album titré Éducation française, Vol. 1. Et vlan, tous s'expriment en anglais, tout comme Lou Doillon, fille de Jacques. L'étendard du disque est le suivant : "De tous les coins du pays des groupes bazardent leurs vieux complexes et parlent désormais pop première langue. Il fallait cet écrin pour rassembler le meilleur de ces agités du local." Merci de nous apprendre que bazarder ses complexes pour des groupes pop français consiste à emprunter une autre langue. La pop française décompléxée, ça me rappelle la droite décompléxée de Sarkoppé.
Sur le même album on trouve aussi Lescop (le seul à vendre des disques, à ma connaissance, excepté Lou) et deux ou trois autres qui, n'ayant manifestement pas réussi à dépasser leurs complexes ni leurs tares congénitales, s'expriment simplement et bêtement en français, comme des ploucs à béret, comme leurs pères, comme François Villon, comme Albertine Sarrazin et Alain Bashung. Au fait, on peut écouter de larges extraits de la chose Là et ainsi s'assurer qu'elle a musicalement l'originalité des pubs m&m's au cinéma. Le site de la FNAC, manifestement emballé par le dossier de presse, s'esbaubit : "La photographie absolue de la nouvelle scène Pop française". C'est quoi au juste une "photographie absolue" ? Décidément, dans le commerce on aime se payer de mots, surtout en monnaie de singe (Too much monkey business...) Le Vol. 1 suppose (serait-ce une menace ?) la possibilité d'un second volume ?
Mais dans la pop française, il n'y a pas que du copier-coller réchauffé. Il y a aussi Benjamin Biolay.
Cette semaine, j'écoute : BB
Dimanche soir, c'était vraiment bon de découvrir (pour la première fois, donc) Benjamin Biolay sur une scène. C'était celle de La cigale pour la XXVème édition du Festival des inrocks et BB donnait vie aux titres de Vengeance, son très beau dernier album.
Puisqu'il faut relativiser et trouver au moins un défaut à tout, on peut reprocher à cet album son inclination excessive pour les participations de personnalités extérieures. Ainsi, Vengeance, voit se succéder Mlle Paradis, qui n'est plus une enfant, Julia Stone, Carl Barât (qui fut un Neron grotesque il y a quelques mois dans Pop Pea au Châtelet, mais oublions, car embarqué dans la même galère, le beau BB brun n'était pas moins ridicule) et autres Oxmo Capuccino ou Orelsan. Néanmoins, le titre le plus puissant, en concert comme en studio, me semble ce "Ne regrette rien" partagé, certains s'en félicitent, avec le susdit Orelsan. Sur la scène de La cigale, le rappeur normand fait son entrée comme le Saint-Just des nains de jardin, avec son bonnet de laine rouge pointu (tricoté par maman ?) posé au sommet de son crâne rebelle (enfin, c'est surtout ses cheveux qui paraissent rebelles, on a l'impression qu'il a choisi l'option "insoumis" chez le coiffeur).
Mais je n'en veux pas au rappeur jardinier : voici, en vidéo et en sa compagnie, un des moments forts du concert (il y en eut bien d'autres), Ne regrette rien.
Puis ce fut la fin du set et BB en revint aux fondamentaux : une forme de désespérance, élégante parce que c'est une chanson, mais tellement en prise avec cette putain de vie. En duo avec Jeanne Cherhal, Brandt rapsody, qui a clos le concert en toute beauté, en dernier rappel après un Padam énergisé.
Je retiens deux choses de ce concert. D'abord, l'extrème courtoisie d'un artiste qui n'a cessé, de la manière la plus touchante, de remercier un public enfin et totalement acquis. Ensuite, une terrible envie d'une deuxième fois avec BB et ce sera en mars, au Casino de Paris.
Cancan.
Lu par hasard, un propos de Johnny H., idole de son métier et qui s'apprêté à tourner avec Claude Lelouch : "Je suis ravi qu’Obama soit réélu. Je l’aime bien. Et puis, je ne voyais pas l’Amérique sous la coupe de Mitt Romney, un mormon. Ils ne boivent pas, ne fument pas. Ils ne font rien quoi !" La classe, Johnny.
L'affiche de la semaine,
soit la plus séduisante à mes yeux, soit la plus pénible, soit les deux.
Comme c'est une première, je m'autorise un petit retour huit jours en arrière car les affiches de la semaine ne m'inspirent pas grand chose (pas plus que les films, d'ailleurs, sauf le Assayas et un curieux inédit de Kubrick), sinon que je n'aime pas l'affiche de La chasse, ni la tête de Mads Mikkelsen et sa coupe de cheveux à la Bernard Thibault dans les mauvais jours.
L'affiche de la semaine sera donc celle de la semaine dernière. La voici :
Oui, elle est redoutable. Mais pourquoi ?
Au fond, l'affiche est très moche et sans doute à l'image du film qu'elle est censée vendre. Les personnages ont des tronches de cake, des sourires à faire peur (car factices) et on sent combien ils s'aiment, le temps d'un film. Tout ça est ordinaire et malheureusement banal.
Ce qui l'est moins et me semble redoutable, c'est la technique utilisée. Manifestement, l'image a fait un séjour chez instagram qui est, selon la pub, "un moyen rapide, esthétique et amusant de partager votre vie avec vos amis au travers de vos photos." (Sic, comme c'est l'usage).
Vous connaissez le principe : vous faites une photo moche avec votre téléphone portable, vous lui affectez un des filtres de retouche automatique du logiciel instagram et votre photo moche devient hideuse, donc multiplliable via les réseaux dits sociaux. C'est un truc de mômes et si ce n'est pas le meilleur moyen pour déveloper leur sens artistique (car pour eux, avec ce genre de produit, l'art, c'est automatique), mais ce n'est pas très méchant.
Là où le procédé déroute et se fait pervers, c'est lorsque des professionnels de la communication détournent une pratique juvénile et disent à ces jeunes gens : "Regardez, on est comme vous, pas plus malins, l'art c'est simple comme un coup de fil avec un iPhone et instagram, donc : achetez nos produits, venez voir nos films, qui sont, comme vous, cons et moches". Attention, ce n'est pas moi qui prétend que "les jeunes" (concept vague) sont cons et moches, mais bien les publicitaires qui, avec de telles images (l'affiche de Nous Yorck, par exemple, avec tout ce qu'elle trimballe de mythologiques clichés adolescents, jusqu'au coeur qui bat au coeur du titre), à la fois les flattent et les invitent à se vautrer sans y penser (la pensée fait mal, elle renvoie à la réalité) dans la vulgarité ambiante, à procéder de cette vulgarité, à contribuer, avec les amis publicitaires, les communicants et certains cinéastes, à construire et enrichir cette vulgarité comme nouveau paradigme de la modernité.
[Cette stratégie publicitaire rencontre les efforts faits par les communicants des marques pour transformer certains blogs en agents de vente sous-rémunérés, à travers les prétendus concours et "articles" non écrits mais sponsorisés. Il y aurait des pages et des pages à noircir sur ces sujets, j'aimerais bien en avoir, un jour, le temps].
Redoutable, vous ne pensez pas ?
A +