Le verbe roi : 1e conférence de presse présidentielle de François Hollande

Publié le 14 novembre 2012 par Sylvainrakotoarison

Pour compenser la légèreté de ses ministres, François Hollande a dû assurer le service après-vente de ses deux plans d’austérité en moins de deux mois. Beau parleur, il a retrouvé son habileté d’homme de campagne électorale mais ne peut faire oublier l’absence de vision et de cohérence d’une politique improvisée qui change de cap tous les mois.

Le Président de la République François Hollande a tenu sa première conférence de presse solennelle dans les salons de l’Élysée le mardi 13 novembre 2012 à dix-sept heures devant la totalité de son gouvernement et quatre cents journalistes dont un quart étrangers. Cela a duré deux heures et demi dont quarante et une minutes d’allocution initiale. Il compte renouveler cet exercice de style tous les six mois pendant tout son quinquennat. Il a ainsi renié sa promesse de faire ses interventions médiatiques hors de son palais. Tant mieux pour les institutions.

Un Président sympathique mais un peu… dans les nuages !

Sur la forme, François Hollande a paru très à l’aise, peut-être même un peu trop souriant même pour des sujets graves. Il savait qu’il passait un grand oral et a fait son travail, celui de défendre une politique qui n’a toujours aucune lisibilité pour les Français et plus particulièrement pour ses électeurs qui le pensaient "de gauche".

Adoptant le ton saccadé de son modèle de campagne, François Mitterrand, parfois à la limite de l’intonation d’une homélie, il a voulu prêcher pour sa paroisse mais uniquement des convaincus. Les autres devront encore attendre pour être convaincus.

Car cette aisance verbale n’a pas su cacher la vacuité de cohérence dans sa politique, l’éloignement avec la réalité sociale et économique du pays, et surtout, une mauvaise foi qui va très mal avec sa volonté de rassembler tous les Français : continuant la stérile polémique de l’héritage (rapport Gallois "cruel", décrochage depuis dix ans etc.), François Hollande aura du mal à poursuivre sur ce mode jusqu’à la fin de son quinquennat. D’autant plus qu’il a imprudemment demandé à être jugé justement sur deux paramètres essentiels de la cohésion sociale : la croissance et le chômage. Il a parlé de rapport indépendant mais le premier Président de la Cour des Comptes a quand même été il y a encore moins de trois ans un député socialiste très militant et ce rapport avait même salué la gestion de son prédécesseur.


Mauvaise foi et méthode Coué (quand les mots ne reflètent pas la réalité)

La mauvaise foi, c’est aussi lorsqu’il a parlé d’une absence de déficit du commerce extérieur en 2002 et de 70 milliards d’euros de déficit en 2012. En fait, il y aurait eu une balance commerciale positive en 2002 seulement si l’on ne prenait pas en compte les énergies, mais dans ce cas, en 2012, il n’y aurait "que" 25 milliards d’euros et pas 70 millions de déficit commercial (les comparaisons de données différentes sont de la simple tromperie verbale, François Hollande qui sait jongler avec les nombres comme à la Cour des Comptes est très fort en ce domaine).

Tout dans sa phraséologie respire la méthode Coué, car ce qu’il dit illustre l’inverse de ses actes. Pour preuve, le refus de reconnaître un tournant dans sa politique (malgré la hausse de la TVA refusée avec force six semaines auparavant). Pourtant, il est étrange que selon certaines indiscrétions, François Hollande aurait justement préparé sa prestation en regardant la conférence de presse de François Mitterrand annonçant le tournant de la rigueur de 1983 (avec blocage des prix et des salaires et contrôle des changes).

Mais il y a d’autres exemples, comme son affirmation selon laquelle il n’entendrait pas stigmatiser les "riches" ni les "patrons" mais dans les faits, il a reconnu les avoir taxé lourdement (70% de l’effort portera en 2013 sur 20% de la population). Une méthode que les Français connaissent bien puisque Nicolas Sarkozy aussi jouait avec les mots et les faits.

François Hollande n’entendrait pas diviser la société mais il a confirmé qu’il irait jusqu’au bout pour le "mariage pour tous" (appellation complètement stupide, j’y reviendrai) en sachant très bien que cela va diviser durablement la société française. Pourtant, ses promesses ne sont pas paroles d’Évangile puisqu’il a compris au moins qu’il fallait parfois savoir enterrer des promesses, comme le droit de vote pour les étrangers qui ne ferait qu’inutilement diviser les Français (ce qui est important pour lui, ce n’est pas la division des Français mais l’inutilement : il sait qu’il n’aura pas la majorité des trois cinquièmes pour mener à bien cette réforme, donc, il reconnaît implicitement que cela aurait divisé et qu’il n’aurait pas hésité à diviser la société français s’il avait cette majorité qualifiée).

Sur quel pied les entreprises doivent-elles danser ?

Sur l’impôt sur les sociétés, le discours depuis le pacte de compétitivité présenté par Jean-Marc Ayrault est assez confus : le projet de loi de finances 2013 prévoit une hausse de l’impôt sur les sociétés de 10 milliards d’euros, mais six semaines après, parallèlement, il est proposé aux entreprises un crédit impôt compétitivité et emploi (CICE) de 20 milliards d’euros. En définitive, les entreprises vont-elles payer l’année prochaine 10 milliards de plus ou 10 milliards d’euros de moins qu’en 2012 ?

Par ailleurs, la baisse des dépenses de l’État doivent être colossales. Ce n’est pas 10 milliards d’euros comme annoncé le 28 septembre 2012 mais déjà 20 milliards d’euros en comptant le pacte de compétitivité. D’ailleurs, François Hollande a dû préciser lors des questions qu’en fait, en tout sur le quinquennat, c’est 60 milliards d’euros de réduction de la dépense publique, soit 1% de moins chaque année. Vu que le budget prévisionnel 2013 a augmenté les dépenses de 6 milliards d’euros, la crédibilité est fortement atteinte : ou il faudra imposer en plus (CSG ?), ou les engagements sur le déficit public ne seront pas tenus.


Une clef peut provenir de la concertation sur le financement des prestations sociales : François Hollande a laissé implicitement entendre une hausse de la CSG, qu’il espère décidée par un accord de concertation (il serait étrange que les syndicats le suivent sur ce terrain-là).

Les trois choix présidentiels

Dès le début de son allocution, François Hollande a rappelé ses trois priorités : la réorientation de l’Europe, le désendettement de la France et la compétitivité de l’économie. Sur le premier point, c’est un habillage peu crédible pour justifier l’adoption du TSCG à la virgule près. Cela concerne la dotation pour soutenir la croissance (prévue de toute façon avant son arrivée à l’Élysée) et l’union bancaire.

Les deux autres priorités paraissent évidemment raisonnables mais sans beaucoup d’originalité puisque tout le monde savait que, quel que soit le Président de la République qui aurait été élu, le désendettement et la compétitivité auraient été dans tous les cas les deux objectifs essentiels de ce quinquennat. Tout le monde sauf peut-être les électeurs de François Hollande qui a refusé de reconnaître qu’il les avait trompés en disant qu’il l’avait pourtant prévenu pendant la campagne (en fait, c’était lisible entre les lignes mais les électeurs préfèrent en général ne lire que ce qu’ils ont envie de lire et ce discours était en contradiction avec le fameux discours du Bourget du 22 janvier 2012 où il voulait combattre les puissances du capital !).

Le problème, c’est que ces deux priorités chez François Hollande ne sont que des paroles et pas des actes : le projet de loi de finances 2013 prévoie au contraire un accroissement de la dépense publique et un recrutement massif de fonctionnaires ; quant à la compétitivité, le choc attendu n’aura pas lieu puisque rien ne sera lâché avant 2014. François Hollande l’a même reconnu puisqu’une partie du financement du CICE est l’augmentation de la TVA qui n’aura lieu que le 1er janvier 2014 (il était même fier de reporter cette augmentation mais ne disait pas quelles en étaient les conséquences sur les entreprises : un manque de trésorerie).

Sur ces transferts de charges, François Hollande a essayé de les justifier auprès de son aile gauche : « Ce n’est pas un cadeau, c’est un levier. » en ajoutant qu’il voudrait en faire un pacte de confiance qui privilégierait les investissements aux dividendes (les mots, toujours les mots : rien ne renforce les investissements dans les mesures proposées actuellement).

Même gouvernance que Nicolas Sarkozy

Tout dans sa prestation montre qu’il est un Président aussi "dirigiste" que Nicolas Sarkozy (ce qui ne me choque pas puisque c’est lui que les Français ont élu, autant que ce soit lui qui dirige). Comme toujours, il a fait semblant de laisser gouverner le gouvernement (c’est Jean-Marc Ayrault par exemple qui a annoncé le pacte de compétitivité) mais ensuite, il a ponctué par un très dirigiste : « Et j’y veillerai personnellement. » !

Méconnaissance de l’économie réelle

Dans ses explications économiques, François Hollande est resté prisonnier de clichés éculés qui datent de trente ou quarante ans. Pour justifier la suppression de la "TVA anti-délocalisations" de Nicolas Sarkozy, il a expliqué vouloir maintenir la demande mais a oublié que cette demande favorisait essentiellement les importations et donc les économies importatrices (lui-même n’hésitait pourtant pas à critiquer le déficit commercial que son prédécesseur lui aurait laissé).

Autre cliché, il a affirmé vouloir impliquer dans ses objectifs toute la population, en disant : du chef d’entreprise cherchant à exporter ses produits jusqu’au jeune de la banlieue. De la caricature grandguignolesque ! Laissant entendre que le chef d’entreprise est au sommet de la société et …le jeune de banlieue au plus bas de la société (comme mépris des populations, il n’y a pas beaucoup mieux, mais reconnaissons que c’est plus subtil que Nicolas Sarkozy).

Voulant reprendre une formule de François Mitterrand mais en la démentant, François Hollande a lancé : « Le chômage, tout a été dit mais tout n’a pas été tenté. ». Et rompant avec son optimisme de rigueur, il a prédit une augmentation du chômage pendant encore un an, en 2013, étonnante contradiction avec la "vision" qu’il voulait délivrer et ce pronostic qui n’incite pas vraiment les entreprises à investir (Jean-Louis Borloo a violemment protesté sur le fait qu’un Président de la République puisse observer passivement une hausse du chômage pendant un an). En clair, il est incompréhensible de reporter à 2014 le choc de compétitivité s’il sait d’avance que le pays en aurait besoin un an plus tôt…

En manque d’argument sur la TVA (et duperie)

Sur l’augmentation de la TVA, François Hollande est passé très rapidement sur le taux intermédiaire de 7% qu’il va faire monter jusqu’à 10%, ce qui est énorme. Ce sont les emplois de service, donc non délocalisables, qui vont être le plus touchés par cette augmentation de moitié, le secteur du tourisme, hôtellerie, restauration, transports en commun, livres, musiques, etc.


François Hollande a eu même l’audace d’emballer cette forte hausse par le fait qu’il a enfin stabilisé « une bonne fois pour toutes » la TVA sur la restauration après dix ans d’instabilités. Certes, mais ce taux ne concerne pas uniquement la restauration. Il concerne aussi tout ce qui est culture et tourisme. Les consommateurs apprécieront… à moins que le Président de la République ne considère que la lecture d’un livre ou la visite d’un musée sont des activités superflues pour les Français à bas revenus ? En ce sens, les députés EELV ont raison de concentrer leurs critiques sur ce taux intermédiaire et de ne pas protester contre l’augmentation du taux normal.

En effet, François Hollande ne s’est appesanti que sur l’augmentation de 0,4% du taux normal et pour montrer la différence avec son prédécesseur (un argument de cour de récréation), il a simplement évoqué le fait qu’il n’a pas attendu la fin de son mandat pour augmenter la TVA (un argument à double tranchant d’ailleurs !). Et puis, visiblement à court d’arguments, il a lâché pour finir un magistral « Mais j’assume ! » montrant toute son incohérence (et justifiant les critiques qu’il a donc essuyées).

Toujours à court d’argument, il a également voulu démontrer la justesse de sa politique en donnant l’argument des marchés : "les marchés n’ont pas réagi mal, donc ma politique est bonne". Déduction vaseuse… et désastreuse dans l’opinion publique.

Un grand sens de la formule

Indéniablement bon communiquant, François Hollande a montré son sens de la formule, qu’elle ait été minutieusement préparée ou improvisée en réponse à certaines questions. Je cite quelques exemples à saluer d’un point de vue littéraire.

« Je ne prépare pas une nouvelle élection, je prépare une nouvelle génération. »

« Le déclin n’est pas notre destin. »

« Ma seule boussole, c’est la justice. »

« Plus c’est difficile, plus l’apaisement est indispensable. »

« Président normal, Président responsable, aucune addiction, aucune substance. »

Sur les doutes des écologistes arrivistes, François Hollande a rappelé vouloir gouverner avec trois partis (le PS, le PRG et EELV) et pas seulement un seul qui a pourtant la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Il a cependant réclamé de la solidarité gouvernementale : « Une majorité a besoin de cohérence et elle a besoin de respect. ».
Manuel Valls sévèrement recadré

Sur l’incident qui s’était déroulé au Palais-Bourbon quelques minutes avant la conférence de presse où le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls avait complètement "pété les plombs" selon beaucoup de députés, qui, en répondant à une question d’Éric Ciotti sur la sécurité, avait rendu responsables les députés de l’opposition du « retour au terrorisme » en évoquant l’affaire Merah, François Hollande a sérieusement recadré son ministre en insistant sur le besoin de consensus national autour du terrorisme : « Ne perdons pas notre temps, ne nous divisons pas, ne polémiquons pas ! ».

Hollande bashing : le sourire aux lèvres

Très fort en répliques et en humour, François Hollande a aussi commenté l’actuel "Hollande bashing" dans les unes des hebdomadaires (c’est vrai que ceux-ci se sont livré cette semaine à une surenchère qui fait vendre, paraît-il : "Y a-t-il vraiment un Président en France ?" pour "L’Express" ; "Hollande off" pour "Le Nouvel Observateur" ; "Le grand méchant doute" pour "Le Point" ; "Le grand virage du pouvoir : explosif" selon "Marianne").


Peu fortiche en anglais (il a fait une grosse faute dans sa lettre de félicitation à la réélection du Président Barack Obama qui montre qu’il n’a jamais utilisé concrètement cette langue), il a traduit tout cela par « punching-ball » et a accepté le jeu qui veut qu’avec les médias qui fonctionnent « vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et même plus ! », les moindres faits et gestes des personnalités politiques sont immédiatement commentés. Et il a fait une réponse très convaincante : « J’ai connu des situations personnelles tellement plus difficiles. Être Président de la République est une réponse à mes détracteurs ! ». Ce sens de la formule va sans doute permettre au Président de la République de renouer des relations positives avec les journalistes.

Chine, Syrie, Mali

En politique étrangère, François Hollande a fait trois déclarations importantes : d’une part, il a annoncé qu’il se rendrait à Pékin au printemps 2013 sur l’invitation des nouveaux dirigeants chinois ; d’autre part, il a annoncé que la France reconnaissait officiellement la nouvelle opposition syrienne récemment unifiée comme la seule représentante du peuple syrien ; enfin, il a insisté pour dire que la présence d’islamistes radicaux au Nord du Mali était un vrai danger pour la France et renforçait les risques terroristes sur le territoire national.

Une occasion perdue

En définitive, si l’on regarde avec du recul, le "programme" du quinquennat de François Hollande aurait pu être adopté par une majorité de Français. Mais sa volonté de stigmatiser ses opposants (pour faire semblant d’appliquer une politique de gauche) lui réduit considérablement sa base électorale. Comme toujours avec la gauche, il a refusé d’admettre que sa politique n’est que la continuité de celle de son prédécesseur. Cette hypocrisie ne peut servir que les intérêts des extrêmes : déjà, le FN a communiqué sur ce thème… tandis que Jean-Luc Mélenchon, qui avait appelé à voter sans condition pour le candidat du PS, n’a plus qu’à manger son chapeau, à défaut de couleuvre.

Aujourd’hui, il est clair que François Hollande ne serait pas réélu. Sa seule chance politique ne pourrait provenir que d’une conjoncture mondiale plus clémente dont il n’aurait été ni l’initiateur ni le moteur.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Rapport Gallois et choc de compétitivité.
La conférence de presse comme si vous y étiez (par Télérama).
Sur la TVA sociale.
Loi de finances 2013.
Rapport de la Cour des Comptes du 2 juillet 2012.
Comment ayraultiser l’autérité ?
Confiance et hypocrisies…
La grande farce socialo-écolo.


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-verbe-roi-1e-conference-de-125824