[anthologie permanente] Marc Dugardin

Par Florence Trocmé

motet 
 
effroi des gibets de novembre 
où croassent les oiseaux noirs 
c’est alors comme un refuge 
la douceur des voix au-dedans 
… 
ne rien ajouter / il ne s’agit pas 
de dicter nos conditions à l’automne 
ni de prendre le poème en otage 
• 
Ma mère l’Oye (Maurice Ravel) 
 
se réveiller, vivant ; ainsi les rêves de la nuit ne perdront pas toute réalité (les cheveux qu’on pouvait caresser – elle allait, disait-elle, les faire recouper un peu –, le très doux portement vers une chambre qu’on ne connaissait pas, la confiance avec laquelle on se laissait envelopper d’inexplicable) 
se réveiller dans le jardin féérique ; on se dit que c’et le jardin où l’on serait entré aussi si l’on ne s’était pas réveillé ; on ne peut pas l’expliquer bien sûr ; on écrit cela dans une sorte d’accord avec la musique ; dans l’irrémédiable de la perte, là même où il nous a semblé entendre que jamais tout ne serait perdu 
• 
serment 
 
si c’est une vague qui nous porte 
où nous ne sommes que si peu – 
à peine à la fin 
l’émiettement d’un coquillage 
un résidu ensablé 
……… 
Voilà les vers qui ce matin me furent donnés. En contrepoint – par quel cheminement qui s’est imposé à mon insu – me vint le rappel de ces vers de Dante :

…Ma misi me per l’alto mare aperto./ 
...Mais je repris la mer, la haute mer ouverte 
 
Des mots pour vivre ont donc traversé l’abject dans la mémoire des hommes.  On se surprend alors à jurer de ne plus écrire soi aussi que dans l’inouï de cette survivance. Seulement pour cela, qui est à peine croyable : qu’il se peut que les paroles de quelqu’un deviennent pour un autre celles qu’il avait besoin de retrouver 

(Primo Levi, Si c’est un homme, Julliard/Pocket, p. 168 à 179, traduction de    l’italien par Martine Schruoffeneger).  

Marc Dugardin, Quelqu’un a déjà creusé le puits, Rougerie, 2012, pp. 29, 31 et 32.  
bio-bibliographie de Marc Dugardin 
Poezibao publie aussi aujourd’hui un entretien d’Armand Dupuy avec Marc Dugardin.