ATTENTION : L’article ci-dessous contient des spoilers pour les chapitres Tentation, Hésitation et Révélation de la saga Twilight.
Voici la scène centrale d’Hésitation, le troisième chapitre de la saga Twilight. Dans le livre et dans le film, Edward Cullen emmène sa muse, Bella Swan, au sommet d’une montagne pour la protéger contre une attaque de vampires « nouveau-nés » et attendre que la fin de la bataille imminente. Malheureusement, leur tente n’offre pas beaucoup de protection lorsqu’une tempête de neige surgit brusquement et Bella (qui, apparemment, n’avait pas pensé à prendre un anorak pour le voyage) court le risque de mourir de froid. Pire encore, avec sa physiologie glaciale de vampire, Edward ne peut rien pour elle. En revanche, les superpouvoirs loup-garou de Jacob, son rival, lui donnent une chaleur corporelle qui permet à lui et ses potes de courir dans la neige torse-nu vêtus seulement d’un short. Enthousiaste comme il est, Jacob se porte volontaire pour servir d’unité de chauffage personnelle à Bella, ce qui veut dire qu’Edward doit écraser le coup et laisser sa copine se blottir contre « l’autre mec » pour survivre. « Tu as beau être de glace, » plaisante Jacob « Je te fais bouillir ! »
En ce qui concerne l’application du principe de réaménager les aspects traditionnels des monstres mythiques dans le contexte d’une romance pour teenagers bourrés d’hormones, difficile pour Twilight de trouver mieux. Les deux beaux mecs mettent un terme temporaire à leur rivalité, et la fille s’endort entre ses deux amants. Si vous cherchez une explication au fait que cette série ravit le jeune public féminin, cette image résume à peu près tout. Et messieurs, soyons honnêtes : si on inversait les sexes, une séquence de fiction comme celle-ci serait également un moment important de notre adolescence.
Bien entendu, ils gâchent tout en se tapant la discute.
Avec Kristin Stewart servant de zone tampon entre eux, Edward et Jacob s’expliquent enfin : joute verbale, paroles machos, respect réticent, toute l’affaire. D’ailleurs, en voyant comment cette conversation est traitée dans le film, on aurait presque l’impression qu’ils sont sur le point de tomber sur une solution élégante (mais complètement « alternative ») à leur problème de triangle amoureux. Mais non, en fin de compte, ce sont deux mecs qui discutent point par point pour savoir qui chopera La Fille.
Ah ouais, La Fille ! Que fait Bella pendant cette discussion au sujet de son appartenance, déjà ? Elle est inconsciente, impuissante, et complètement à la merci…pardon, complètement dépendante des mâles, que ce soit un seul ou les deux. Autrement dit, elle est à sa place : la même qu’elle occupe 90% du temps pendant la série. Les 10% qui restent, elle n’est pas à sa place, mais cherche à l’être.
Pour comprendre Twilight, il faut avoir lu les livres. Il faut avoir vu les films. Il faut avoir participé au phénomène de la série d’une manière ou d’une autre. Je l’ai fait. Et encore et encore, j’arrive au même sentiment incontournable : Twilight fait peur. Et pas à la manière traditionnelle d’un film de vampires.
Commençons par le commencement. En partant du moment où Carmilla (qui précède le Dracula de Bram Stoker d’au moins 25 ans) a vu le jour, les vampires de la fiction occidentale ont plus ou moins toujours tourné autour du même sujet : le sexe. On pourrait passer tout un article dessus, mais en gros, vampirisme = copulation. Twilight marche bel et bien sur les mêmes bases, avec son affaire centrale torride et instinctive représentant à la fois une danse nuptiale surnaturelle entre le prédateur et sa proie, et une histoire d’amour obsessionnelle entre ados un peu plus conventionnelle. La métaphore s’étend à partir de là, au point où l’autre amant potentiel de Bella devient tellement jaloux qu’il se transforme en gros loup-garou chasseur de vampires. Subtil !
L’intrigue principale est construite autour d’un seul élément. Bella veut être un vampire comme son amoureux, Edward. Mais lui ne veut pas la mordre, parce que…et bien, c’est là que les choses se gâtent. En ce qui concerne la mythologie de Twilight, il n’y pas vraiment de désavantage à être un vampire. On ne dort pas dans un cercueil (on ne dort pas du tout, même), on brille au soleil au lieu de cramer, on est essentiellement invincible à tout, sauf aux loups-garous amérindiens géants ou à d’autres vampires (et là encore, ca dépend de la situation), et parfois on a même droit à des superpouvoirs, comme la télépathie ou la télékinésie, tant que c’est au service de l’intrigue. Les croix ? L’ail ? L’eau bénite ? Aucun effet. En cadeau, on peut garder son reflet, et on n’est même pas obligé de tuer des humains : le sang des animaux suffit amplement. À condition qu’on ne fasse pas chier aux Volturi (version courte : le groupe « big boss » des vampires), vivre la vie (si c’est le mot) d’un vampire, c’est génial !
Ainsi, la réaction passe-partout « Je ne peux pas te changer, personne ne mérite ça » d’Edward aux supplications de Bella, apporte des changements importants à la métaphore. Dans les années 90, où toutes les métaphores sexuelles étaient par extension des métaphores du SIDA, c’était le maître mot du vampire gentil. Mais dans Twilight, il n’y a pas vraiment d’inconvénient sur lequel on peut s’appuyer, alors c’est quoi, la nouvelle approche ?
Et bien, faisons le calcul. Si vampirisme = sexe, Edward, le vampire, serait celui qui a déjà de « l’expérience » et Bella, l’humaine, serait une « vierge », non ? On nous dit que ce qu’aime Edward chez Bella, c’est son humanité (c’est-à-dire, sa virginité). Parmi d’autres passe-temps favoris, il la regarde dormir, la couvre de cadeaux opulents et prend des mesures qui sont proches du harcèlement pour protéger sa fragilité humaine si charmante. Mais pas de morsure (donc, pas de crac-crac), parce que sinon elle n’aura plus de « pureté », si on peut le dire ainsi. Après tout, on le sait tous, moins elles ont de savoir sexuel, plus les femmes ont de valeur, n’est-ce pas ? Oh, mais pas de pas panique, il consentira. À une condition : le mariage. Dés que tu « m’appartiens », tu pourras être « souillée », tant que ce sera par moi et moi seul.
C’est bizarre, j’ai déjà entendu ça quelque part. Ah ouais, au Moyen-âge.
Que ce soit intentionnel de la part de Stéphanie Meyer ou pas, Twilight se résume à une résurrection moderne de l’adoration patriarcale de la virginité, qui a caractérisé (et continue de caractériser) quelques-uns des aspects les plus honteux de l’Histoire, avec des vampires en bonus. Parce que vous voyez, le désir sexuel des femmes, c’est mal. Cela doit être dompté, contrôlé et détenu par un époux. Et au cas où ce serait encore trop subtil, Edward se montre bien gentil et souligne le tout : il se considère comme un être sans âme, et par extension, une Bella vampirisée n’aurait pas d’âme non plus. Pensez-y : son âme. Son existence ésotérique. Perte d’humanité/virginité = perte de toute valeur. N’oubliez pas, les filles : le sexe, c’est mal ! Avoir du désir, c’est mal ! Et si vous passez à l’acte, c’est mal aussi ! Sauf si le mec vous met une alliance autour du doigt avant de le faire. Là, ça va.
Ah, et vous vous souvenez de Jacob, le loup-garou ? Il n’est pas content de voir sa meilleure copine (platonique, malheureusement pour lui) faire joujou avec toutes ces mauvaises pulsions impures, mais pour une raison entièrement différente. Lui et son clan de loups sont tenus par l’honneur d’une ancienne loi tribale, qui consiste à pourchasser et tuer des vampires, c’est-à-dire l’espèce que Bella s’est engagée à rejoindre, dans tous les sens du terme. N’oubliez pas, vampirisme = sexe. Alors, être tenu par l’honneur d’assassiner des femmes car elles ont perdu leur pureté ? Bon, au moins ça n’a aucune pertinence inquiétante avec le monde réel. Ah si, en fait. Les crimes d’honneur, ca vous dit quelque-chose ?
Avant de poursuivre, il faut quand même préciser que Bella n’est pas un personnage entièrement passif. Certainement pas : elle prend l’initiative au moins une fois par épisode ! Bien sûr, puisqu’on est à la casa Twilight et que Bella est une femme, ce sont tous des actes d’auto-immolation bénéficiaires ou même héroïques. Dans le deuxième chapitre de la saga, Tentation, lorsqu’elle se fait abandonner par Edward, sa réaction est d’enchaîner les tentatives de suicide. Plusieurs fois. Peut-être que c’était un plan, peut-être pas, mais ça marche. Cela attire son attention et facilite l’aboutissement de deux choses : a) des retrouvailles avec Edward et b) Edward est maintenant obligé d’accéder à sa requête d’être changée. Wow. Et c’est assez mineur si on compare ce petit numéro au chapitre numéro trois, Hésitation, où le seul acte d’héroïsme de Bella, c’est de se tailler les veines.
Non, vraiment. Edward est en train de morfler pendant une baston avec la méchante vampire de l’histoire, alors Bella s’entaille le bras dans l’espoir que l’odeur du sang frais détournera l’attention du bad guy assez longtemps, pour qu’Edward se rappelle comment faire un fatality à la Mortal Kombat. Bingo ! Ça marche à nouveau! Une autre blessure auto-infligée pour attirer l’attention sur soi, un autre problème de réglé !
Et que dire du chapitre final, Révélation ? En tout cas, pour ce qui est du livre, l’acte de sacrifice ultime de Bella aboutit à son refus de se faire avorter, même si son enfant hybride moitié humain/moitié vampire est sur le point de faire éclater son estomac façon Alien. Et heureusement qu’elle ne l’a pas fait ! Non seulement c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et force Edward à céder et à la changer en vampire, le bébé s’avère être la version féminine de Jésus tout-puissant, mais en vampire, dont l’existence met en marche une série d’évènements absurdes, qui offrent un happy end à tous les personnages principaux ! Ouf ! Heureusement qu’elle n’a pas prêté attention à toutes ces conneries de « santé et sécurité pour la mère », n’est-ce pas ? Prenez ça dans vos gueules, les idiots du planning familiale !
Bon, d’accord, on plaisante un peu ici, et bien sûr, c’est une interprétation strictement subjective. Je ne pense pas que Stéphanie Meyer cherchait à créer une œuvre de propagande socialement rétrograde. Et tant qu’on y est, le fait que l’écrivaine soit mormone et que Twilight a certainement une sorte de « mormon attitude » n’a rien de vraiment signifiant. Il est plus probable qu’elle ait fait ce qu’ont fait la plupart des gens qui ont écrit des bouquins de vampires de pacotille : écrire un tas de fétiches personnels en paroles de vampires. Les choses inquiétantes que l’on trouve chez Twilight n’ont rien de nouveau : c’est vieux comme tout, et c’est là le problème.
L’omnipotence patriarcale. La femme soumise. La virginité en tant que commodité. La sexualité féminine qui représente quelque chose de mortel qui doit être contrôlé. Les femmes qui se définissent entièrement par le genre d’homme auquel elles appartiennent. Toutes ces idées ne sont pas seulement anti-féministes, elles sont anti-femmes, point. Et anti-modernes. Et anti-individualistes. C’est répréhensible. On parle de choses que beaucoup de cultures modernes ont mis un temps fou à délaisser. Mais comme une maladie obstinée et récurrente, les voilà qui refont surface à l’aide d’une bande de vampires bien coiffés (qui, pour une raison ou une autre, sont faits de porcelaine) et un groupe de très gros toutous qui sont alternativement une famille de mannequins amérindiens en shorts et sous-vêtements. Bien sûr, ce n’est qu’un avis. Il existe sans doute des gens qui sont absolument séduits par l’idée de régression culturelle. Après tout, Frank Miller a bien écrit Terreur Sainte, non ?
Pour conclure, même si c’était déjà mentionné dans la critique d’Hésitation, il faudrait peut-être souligner que l’inquiétude concernant le moralisme de Twilight et le dédain qu’inspirent les livres et les films en termes de qualité, sont deux choses très différentes. Le message de la série est peut-être infâme et rétrograde, mais Twilight n’est pas uniformément mauvais, parce qu’il possède un tel message. Twilight est mauvais parce que il est mal écrit, et c’est un obstacle que les cinéastes responsables de son adaptation, sont apparemment incapables de surmonter.
On dit souvent que les gens crachent sur Twilight pour rien. Peut-être que le prêchi-prêcha d’un message sinistre pourrait être un argument solide pour atténuer la culpabilité de certains à critiquer quelque chose qui a demandé beaucoup de travail à ses créateurs. Du moins, ça mérite la discussion.
@ Daniel Rawnsley