Mercredi 14 novembre 2012, à l'appel de la confédération européenne des syndicats (CES), les peuples de l'Union européenne manifesteront leur opposition à la politique austéritaire mise en œuvre par tous les gouvernements de la zone euro.
Jusqu'au traité de Lisbonne, nous espérions qu'une autre Europe serait possible. Une Europe vraiment sociale, avec des institutions revues et démocratisées. Un vrai parlement. Des directives qui privilégient un nivellement social par le haut, la coopération et l'entraide... Mais plus le temps passe, plus cette hypothèse devient hautement improbable. Il faudra probablement créer un autre cadre, à l'instar de l'Unasur.
La crise des subprimes - qui faillit précipiter le capitalisme dans le néant - a accéléré le processus des réformes antisociales conformément à l'axiome néo-libéral : chaque crise, naturelle, industrielle ou créée par le système capitalisme lui-même, est une opportunité pour l'oligarchie d'exiger de nouvelles réformes de déréglementation, d'appropriation de biens communs, d'ouverture totale des marchés et de concurrence à outrance des travailleurs et des territoires.
Depuis, l'Europe est devenue ultra-libérale.
Sa règle la plus haute n'est pas le bien être des peuples, la démocratie ou les droits de l'Homme, mais l'enrichissement illimité de l'oligarchie via la lutte contre l'inflation (pas celle des revenus de l'oligarchie) et la défense de la concurrence dans tous les domaines d'activité de la société au prix d'une régression sociale sans précédent.
Pour en arriver à un tel résultat, il a fallu du temps. Et beaucoup de patience. Tout était déjà en place pour aboutir à la situation présente. Dès le 18 janvier 1957 à l'Assemblée nationale, Pierre Mendès-France, classé à l'époque comme un centriste de gauche avait flairé le piège :
« nos partenaires veulent conserver l'avantage commercial qu'ils ont sur nous du fait de leur retard en matière sociale. Notre politique doit continuer à consister, coûte que coûte, à ne pas construire l'Europe dans la régression au détriment de la classe ouvrière et, par contrecoup, au détriment des autres classes sociales qui vivent du pouvoir d'achat ouvrier. Il faut faire l'Europe dans l'expansion et dans le progrès social et non pas contre l'une et l'autre. »
L'oligarchie a lentement poussé ses pions jusqu'à ce que les conditions politiques lui deviennent favorables. Ces dernières années, elle profite de la crise financière pour accélérer les réformes. Sa crise, son austérité, sa rigueur sont des échecs pour les peuples. Mais, c'est un succès total pour l'oligarchie qui tient en échec les peuples par tous les moyens légaux, médiatiques, policiers, quitte à bafouer les principes démocratiques élémentaires.
Pour appliquer des réformes qui s'apparentent aux programmes d'ajustement structurel du tiers-Monde [1], L'Europe est devenue autoritaire à la fois en faisant voter par des parlements godillots des textes visant à empêcher toute alternative politique (cf le pacte budgétaire[2]), en imposant aux peuples des technocrates du monde la finance et en accordant des prérogatives exorbitantes à des institutions non élues :
«Jusqu’à présent, l’ajustement néolibéral imposé était réservé aux pays « non développés ». La Grèce inaugure le processus de Tiers-Mondialisation de l’Europe en passant sous les fourches caudines de « l’ajustement ». A l’instar des pays du Tiers-Monde, il s’agit de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour rembourser la dette extérieure à travers la réduction du périmètre de l’État, la privatisation, la dérégulation, les coupes claires dans les budgets de santé, d’éducation... (...) »
Certains qualifient cette dérive autoritaire de césarisme européen [3]:
« Au cours des quatre dernières années, des institutions échappant à tout contrôle populaire, telles la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne, ont ainsi — avec la collaboration active des classes dominantes de ces pays — dicté leur feuille de route aux peuples irlandais, hongrois, roumain, grec[4] [5], [6] italien, espagnol, portugais, français, etc. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le contrôle budgétaire des États membres et la surveillance des banques par l’Union prolongent ce mouvement.»
Un phénomène que craignait déjà Pierre Mendès-France :
« L'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d'une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »
Le rêve européen a viré au cauchemar. Il est temps de tourner la page des politiques austéritaires.
Notes
[1] La Grèce préfigure la Tiers-Mondialisation de l’Europe, par Bernard Conte
[2] TSCG, attention dangers
[3] Suspension de la démocratie à la faveur de la crise, Vers un césarisme européen
[4] Catastroika: Grèce à vendre
[5] Une tragédie grecque et européenne
[6] café dégage