Le rapport Jospin contient des avancées intéressantes en matière de liberté sur la séparation des pouvoirs, les conflits d'intérêt ou le droit de suffrage.
Par Roseline Letteron.
Buste de Marianne par Theodore Doriot
La commission présidée par Lionel Jospin ("Commission Jospin") vient de rendre, le 9 novembre 2012, son rapport sur "la rénovation et la déontologie de la vie politique" ("Rapport Jospin"). Installé en juillet, la Commission Jospin avait pour mission de "donner un nouvel élan à la démocratie par un fonctionnement exemplaire des institutions publiques". L'objet était donc, non pas de bouleverser nos institutions mais au contraire d'améliorer leur fonctionnement.
Certains, comme Dominique Rousseau, lui-même membre de la Commission, déplorent l'absence de "réformes profondes" de nature à combler le fossé qui s'est creusé entre les citoyens et leurs représentants. D'autres, plus pragmatiques, font observer que les propositions du rapport Jospin ont déjà le mérite d'exister. Au demeurant, la lettre de mission rédigée par le Président de la République ne conférait pas à la Commission le soin de rédiger une nouvelle Constitution. Elle lui posait un nombre limité de questions, portant notamment sur le déroulement des consultations électorales, législatives et présidentielles, le statut pénal du Chef de l'Etat, la prévention des conflits d'intérêts
Certains ont déjà mis en lumière les propositions de la Commission visant à limiter le cumul des mandats. Si l'on se place sous l'angle exclusif des libertés et de la démocratie, les propositions du rapport Jospin sont cependant loin d'être anodines, même s'il est vrai qu'elles reprennent largement un certain nombre de promesses électorales formulées par François Hollande. Trois points méritent d'être relevés : le renforcement de la séparation des pouvoirs d'une part, la lutte contre les conflits d'intérêts d'autre part, l'amélioration de l'exercice du droit de suffrage enfin.
La séparation des pouvoirs
Contrairement à une idée reçue, la Constitution de 1958 ne consacre pas formellement l'indépendance du pouvoir judiciaire. Son titre VIII est intitulé "De l'autorité judiciaire", formulation non dépourvue d’ambiguïté. Elle s'accommode d'un système qui autorise l'Exécutif à donner des directives aux juges, et plus précisément au parquet. Surtout, elle met le Chef de l'Etat dans une situation d'inviolabilité pénale durant ses fonctions.
La Commission propose purement et simplement de mettre fin à cette inviolabilité pénale, et suggère que le Président de la République puisse être "poursuivi et jugé au cours de son mandat pour tous les actes qu'il n'a pas accomplis en qualité de Chef de l'Etat". Ce dernier est donc, en quelque sorte, réintégré dans le droit commun. Pour éviter que des opposants politiques déposent des plaintes contre le Président dans le seul but de porter atteinte à sa fonction, la Commission propose cependant l'adoption de règles de compétence et de procédure particulières, avec l'intervention préalable d'une commission spécialement chargée d'écarter les actions manifestement infondées. De la même manière, la Cour de justice de la République, actuellement chargée de juger les ministres pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, pourrait être supprimée. L'ensemble du pouvoir exécutif serait ainsi doté d'un statut pénal le rapprochant autant que possible du droit commun.
Cette évolution est évidemment favorable, même si elle doit nécessairement s'accompagner d'une réforme de la justice. Souvenons nous que, le 15 juin 2012, dernier jour de l'immunité de Nicolas Sarkozy, la Cour de cassation a affirmé que le Président pouvait exercer les droits de la partie civile alors même qu'il était en fonction. Autrement dit, le Président pouvait apparaître comme victime devant le juge pénal, et, en même temps, charger le Garde des sceaux de donner des directives au procureur. La réforme du statut pénal du Chef de l'Etat doit donc nécessairement s'accompagner de la rupture du lien pour le moins incestueux entre le parquet et l'Exécutif. La consécration d'un "Pouvoir judiciaire" dans la Constitution pourrait d'ailleurs constituer le point d'aboutissement de cette réforme.
Les conflits d'intérêts
Cet effort de renforcement de la séparation des pouvoirs ne serait pas complet s'il ne comportait aucune réforme de la composition du Conseil constitutionnel. La Commission propose justement de supprimer les membres de droit, ce qui signifie que les anciens Présidents de la République ne pourront plus siéger. Cette réforme est indispensable, non seulement pour assurer la garantie effective de la séparation des pouvoirs, mais aussi pour lutter contre les conflits d'intérêts.
Depuis la révision de 2008, et l'introduction de la Question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel intervient directement, par voie d'exception, dans les procédures contentieuses, et doit apprécier la constitutionnalité de lois promulguées. Imagine-t-on que les anciens Présidents puissent ainsi siéger dans une juridiction qui doit apprécier un texte législatif qu'ils ont soutenu, voire initié, durant leur mandat ?
Mais les anciens Présidents ne sont pas les seuls concernés, et le dernier quinquennat a montré que l'ensemble de notre vie politique baignait dans une sorte de conflit d'intérêts permanent. La Commission propose des règles claires dans ce domaine, qui interdiraient aux ministres toute fonction de direction dans une entreprise, une association ou un parti politique. Chacun d'entre eux, ainsi que les hauts fonctionnaires et les parlementaires devraient remplir une "déclaration d'intérêts et d'activités" qui pourrait être rendue publique. Une autorité de déontologie de la vie publique serait chargée du contrôle de ces déclarations et pourrait conseiller les institutions dans ce domaine. On ne pourrait que se réjouir de voir disparaître la fonction de "déontologue" de l'Assemblée nationale, récemment confiée à une avocate spécialisée dans le droit des affaires. Sans doute un gage de compétence en matière de conflits d'intérêts..
Le droit de suffrage
L'essentiel du rapport de la Commission Jospin réside sans doute dans une certaine rénovation du principe démocratique.
Les dernières élections présidentielles ont montré un certain échec du système de "présentation" des candidats, plus communément appelé "parrainage". Au régime actuel qui exige cinq cents signatures d'élus pour qu'une personne puisse être candidate, la Commission propose de substituer un "parrainage citoyen". Il faudrait alors réunir 150 000 signatures pour pouvoir se présenter aux suffrages des électeurs, soit 0, 33 % des inscrits. Afin de garantir l'audience nationale du candidat, celui ci devrait présenter des signatures provenant d'au moins cinquante départements. La substitution des citoyens aux élus locaux pour la présentation des candidats constitue, à l'évidence, un renforcement du principe démocratique.
Bien entendu, l'UMP proteste énergiquement, estimant que cette réforme a pour finalité cachée de favoriser le Front national, dès lors que Marine Le Pen pourrait facilement obtenir ses signatures auprès de son propre électorat. A ses yeux, cette impression est renforcée par la proposition de la Commission, tendant à introduire une dose de proportionnelle dans notre système électoral.
Cette idée n'a pourtant rien de nouveau. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, proposait , dans un discours prononcé à Marseille le 19 février 2012, de modifier "à la marge" le scrutin majoritaire pour y instiller une dose de proportionnelle. C'est précisément l'objet de la Commission Jospin, qui suggère d'élire à la proportionnelle 10 % des sièges, soit cinquante-huit députés. Certains estiment d'ailleurs cette proposition trop modeste, comme Dominique Rousseau, qui souhaitait le retour à une proportionnelle intégrale, et sans doute à l'instabilité ministérielle qui l'accompagne.
Quoi qu'il en soit, il faut effectivement considérer que cette réforme aura pour effet d'assurer l'élection de quelques députés du Front National. Et alors ? Est-il réellement choquant qu'un parti qui représente à peu près 20 % des voix soit représenté au Parlement ? Le problème est que la démocratie ne se négocie pas. Elle implique que chacun puisse solliciter les suffrages des électeurs, y compris les partis les moins sympathiques.
De toute évidence, le rapport de la Commission va dans le bon sens, et il reste à attendre les suites qui lui seront données. Le communiqué officiel de l'Elysée, diffusé après la remise du rapport, évoque le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle au printemps 2013. On attend la suite avec impatience.
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