Peut-être pas. Ça n’aurait rien de surprenant. Christian Bobin est un écrivain de renom sans qu’on puisse le qualifier d’un auteur à la mode. Pourtant, il compte une cinquantaine de titres à son actif. Comme quoi, l’abondance ne fait pas la célébrité. La virtuosité du style non plus. Car Bobin est un maître de la plume, un artiste du verbe, un tailleur d’images.
Bobin a donc beaucoup publié, la plupart du temps de modestes bouquins regroupant de courts textes, de petites histoires toute en subtilité, en sensibilité, et en poésie. Des fragments qui nous entraînent dans des sentiers dérobés que nous n’aurions pas trouvés sans lui. Comme s’il voyait mieux que nous dans l’obscurité. On le suit et on découvre l’envers des apparences, le sens caché du banal, les facettes inédites de la réalité. On le suit et le monde s’agrandit. Et on se sent plus vivant.
Le livre que je viens de terminer, L’Inespérée, est de cette eau. J’en ai surligné quelques passages, pour les relire et les relire encore, et peut-être les continuer dans ma propre écriture. Quelques exemples pour vous donner le goût d’en savoir davantage :« … écrire des lettres d’amour, éclairer la blancheur d’un papier en y versant de l’encre. » (p. 15)
Parlant de la télévision…
« On appelle ça une fenêtre sur le monde. […] la vitrine souillée d’image. » (p. 20)
« L’intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir. » p. 25
« Un peintre c’est quelqu’un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence. » p. 63
Parlant des handicapés mentaux…
« … ceux qui boitent dans leur esprit… » p. 79
On s’arrête sur des phrases comme celles-là, on sent le besoin de faire une pause, de respirer, de saisir ce surplus de vie qui nous est tendu.
L’Inespérée, c’est également le titre du texte qui clôt le recueil. Il s’agit d’un hymne à l’amour d’une femme comme seul ce poète sait en composer. Pour preuve, je vous renvoie au compte rendu que signait Carolle dans ce blogue, en mars dernier, au sujet de La plus que vive, peut-être le plus connu de ses publications, certainement un petit chef-d’œuvre.
Pour conclure, ce qui est merveilleux avec ces opuscules, c’est qu’on peut les laisser traîner, les butiner par à-coups, les oublier un temps, y revenir. Chaque chapitre étant indépendant, on n’a jamais perdu le fil. De plus, chaque partie se lit en quelques minutes. Pas besoin de longues heures disponibles pour s’y arrêter. Ouvrir un livre de Bobin, c’est comme ouvrir une fenêtre, embrasser du regard un paysage et prendre une profonde inspiration d’air vivifiant avant de replonger dans le tourbillon de la vie.
Je vous reviendrai sans doute lorsque j’aurai lu sa dernière parution, L’Homme-Joie, dont la pénurie temporaire chez mes libraires préférés m’oblige à la patience.
Note : Si j’ai piqué votre curiosité, vous aimerez lire ceci:
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/10/16/christian-bobin-le-voyageur-immobile_1774813_3260.html
http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Solitude/Interviews/Christian-Bobin-Ma-solitude-est-plus-une-grace-qu-une-malediction
http://www.lexpress.fr/culture/livre/l-homme-joie-par-christian-bobin_1171446.html
Christian Bobin, L’Inespérée, Folio, 1994, 116 p.
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