ISBN : 9782020375412
Extraits Personnages
"Transfixions" tient à la fois du roman noir, avec son aspect social, et du thriller. Il ne dérange pas spécialement - de nos jours, prendre pour narrateur un travesti à l'enfance massacrée ne choquera que ceux qui le veulent bien (et, en général, ces gens-là ne lisent pas de romans policiers) - je dirai plutôt qu'il décoiffe.
Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, son découpage n'est pas plus cinématographique que celui d'un autre roman du genre et si les dialogues font mouche à chaque coup, on n'y sent pas non plus le besoin de tout prévoir pour une future adaptation cinématographique ou télévisée - ce qui est le cas par exemple chez un Grangé, voire un Chattam. Les personnages, qui se déplacent dans une ville côtière mal définie - ça pourrait être la côte méditerranéenne aussi bien que la côte sud-atlantique - ne sont pas de ceux qu'on oublie. Il faut dire que le milieu choisi pour l'action, celui des prostituées des deux sexes et des quartiers qu'ils fréquentent avec adjonction inévitable du commissariat le plus proche et de sa faune personnelle, appelle ce genre de figures : l'allure provocante, la riposte prompte mais le désespoir trop souvent en bandoulière.
Aubert brosse son tableau avec infiniment de soin et de vraisemblance, évitant de sombrer dans l'outrance et le gore, deux maladies affligeantes du roman policier actuel. Bo', son héros qui préfèrerait être une héroïne, nous conte sans fioritures, sans apitoiements et avec un sens certain de l'auto-dérision, son amour impossible pour le beau Johnny (Jonathan) Belmonte, lequel préfère les femmes et n'accepte de lui adresser la parole que pour l'humilier ou le rejeter. On commence à peine à saisir la profondeur masochiste de cet amour voué à l'échec que le lieutenant Mossa, un flic qui connaît bien Bo' puisque celui-ci vient de sortir de prison pour avoir planté sans le vouloir un homme qui l'agressait dans un bar, vient lui parler de la prostituée qui s'est fait trucider - et démembrer - dans le coin. Peu à peu, l'intrigue s'accélère et Bo', pour échapper à un assassin bien résolu, semble-t-il, à le compromettre, décide de se livrer à une enquête personnelle qui, si elle ne lui apportera pas le bonheur, lui permettra au moins de faire s'évanouir les soupçons qui pèsent sur lui.
Roman qui se rapproche à mon avis plus du roman noir que du thriller classique, "Transfixions" est un livre attachant qui nous fait rentrer de plain-pied dans l'univers que Brigitte Aubert s'est forgé par l'écriture : un monde bien à part, au ton unique - il n'a pas d'équivalent dans le paysage policier français - un mélange de tendresse et de férocité tout à fait particulier qui en réjouira plus d'un mais qui risque, en revanche, de demeurer totalement hermétique aux autres. A lire, sans aucun doute.
Nota Bene: "Transfixions" a été porté à l'écran par Francis Girod sous le titre "Mauvais Genres", avec Richard Bohringer et Robinson Stévenin.