La CJUE vient de se prononcer sur une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 10 de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, au sujet de l’usage sérieux d’une marque, utilisée sous une forme qui diffère, par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif, de la forme sous laquelle cette marque a été enregistrée ; la forme utilisée étant elle-même enregistrée en tant que marque.
L’affaire met aux prises le titulaire de trois marques allemandes « PROTI », « PROTIPLUS » et « PROTI POWER » enregistrées depuis plus de 5 ans pour désigner des produits protéinés qui s’oppose à l’enregistrement et à l’usage par un tiers d’une marque « PROTIFIT » pour des compléments alimentaires ; le titulaire des droits antérieurs fondant son action à titre principal sur la marque « PROTI ».
En défense, le dépositaire de la marque « PROTIFIT » invoque la déchéance des droits de son adversaire sur la marque « PROTI » ; motif pris qu’il n’en aurait pas fait un usage sérieux au cours des 5 dernières années. Bien que ce dernier estime démontrer l’usage de cette marque par l’utilisation des dénominations «PROTIPLUS» et « PROTI POWER », les juridictions allemandes rejettent ses prétentions.
Ce dernier ne s’en laisse pas conter et exerce un recours en révision se fondant sur la législation allemande qui prévoit que :
« L’usage de la marque dans une forme qui diffère de celle sous laquelle elle a été enregistrée est également considéré comme usage d’une marque enregistrée, à condition que les différences ne modifient pas le caractère distinctif de la marque. La première phrase s’applique même si la marque est enregistrée sous la forme sous laquelle elle est utilisée.».
Si la haute Cour allemande pense que la preuve de l’usage de la marque « PROTI » semble être effectivement rapportée au regard de cette texte, elle s’interroge sur la légalité de la loi au regard de l’article 10 de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 lorsqu’elle énonce que cet usage sous une forme différente n’altérant pas le caractère distinctif de la marque enregistrée « s’applique même si la marque est enregistrée sous la forme sous laquelle elle est utilisée ».
Toute la question est alors de savoir si le signe dont l’usage est démontré peut s’analyser (ou non) en un usage de la marque enregistrée sous une forme qui diffère par des éléments n’en altérant pas le caractère distinctif.
Si tel est le cas, l’usage sérieux de la marque enregistrée est démontré. A défaut, dès lors que le signe dont il est fait usage présente une forme tellement différente de la marque enregistrée qu’il en altère le caractère distinctif, alors cet usage n’est pas considéré comme un usage de la marque enregistrée, de sorte que son titulaire est susceptible d’être déchu de ses droits au motif qu’il ne justifie pas en avoir fait un usage sérieux au cours des 5 années suivant son enregistrement (pour rappel, le titulaire d’une marque a une obligation d’usage de sa marque dès lors que celle-ci est enregistrée depuis plus de 5 ans).
Ce débat est intéressant dès lors qu’il permet à la CJUE de se positionner sur une question de droit souvent débattue lors de débats judiciaires, y compris devant les juridictions françaises. En effet, il n’est pas rare que des juridictions françaises de fond fassent grief à des titulaires de marques de ne pas rapporter un usage sérieux de leur marque enregistrée au motif que les preuves rapportées lors de débats judiciaires démontrent l’usage d’une autre marque enregistrée ultérieurement adoptant un nouveau code couleur, ou une nouvelle charte graphique par exemple, alors que globalement le relookage de la marque n’altère pas le caractère distinctif de la marque originale.
La CJUE considère qu’un tel raisonnement est contraire à l’article 10 de la directive 89/104 qui pose comme seule condition pour que l’usage de la marque enregistrée sous une forme différente soit retenu que cet usage modifié n’en altère pas le caractère distinctif.
En effet, la CJUE rappelle que la finalité de cet article,
« en évitant d’exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Or, cette finalité serait compromise si, pour l’établissement de l’usage de la marque enregistrée, il était exigé une condition supplémentaire selon laquelle la forme différente sous laquelle cette marque est utilisée ne devrait pas avoir elle-même fait l’objet d’un enregistrement en tant que marque ».
La position de la CJUE est claire et dépourvue de toute ambiguïté : « l’enregistrement en tant que marque de la forme sous laquelle une autre marque enregistrée est utilisée, forme qui diffère de celle sous laquelle cette dernière marque est enregistrée, tout en n’altérant pas le caractère distinctif de celle-ci, ne fait pas obstacle à l’application de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 ».
Une jurisprudence importante en pratique car cette position était loin d’être unanimement adoptée par les juges du fond français…
Source :
A Propos de CJUE, Affaire C 553/11, 25 octobre 2012,