Etre ou paraître, telle est la confusion

Publié le 01 avril 2008 par Mgallot

Le titre à lui seul est tout un programme: "nouveau look pour une nouvelle vie". L'émission en elle-même, diffusée hier soir sur M6, est à l'avenant. Quatre personnes qu'on devine triées sur le volet par les producteurs se font relooker par des spécialistes toujours présentés comme des références internationales du "glamour" (le mot est répété à satiété pendant l'émission, de même que le mot "sexy", qu'on apprend aux spectateurs à ne pas confondre avec "vulgaire").

A propos de relooking, on assiste principalement à une mise aux normes actuelles de la mode, comme l'exprime très bien l'un des heureux participants à la fin de sa métamorphose (de jeune homme en jeans t-shirt en gino à lunettes de soleil fashion): "avant, j'étais assez atypique comme designer". Ouf! le voilà à présent comme les autres. Il s'en est fallu d'un cheveu qu'il reste original. Merci M6!

Il va sans dire que pour cette émission, il existe une beauté universelle, sur laquelle on ne peut que tomber d'accord, celle de la mode. D'ailleurs, tout est scénarisé façon M6: une personne mal habillée et par conséquent laide subit l'"épreuve de la rue" et se trouve exposée dans sa tenue la plus moche aux regards impitoyables des passants (tellement évidemment sélectionnés au montage pour leurs paroles les plus cassantes que ça en est comique). Dans une voiture de luxe, la personne en mal d'apparence visionne ces témoignages et prend conscience de la gravité de la situation. Elle est alors prise en main par coiffeur, styliste, et même spécialiste de la gestuelle, et une fois métamorphosée, exhibée devant ses proches comme un monstre de foire - tous la trouvent magnifiques, qualifiant le changement de spectaculaire - avant de subir une dernière fois l'épreuve de la rue, récoltant uniquement des remarques élogieuses. Les habitués de M6 auront reconnu mutando mutandis le scénario de "super nanny" ou de "c'est du propre", le conte de fée moderne (tout commence mal mais tout finit bien), d'une répétitivité et d'une prévisibilité à mourir d'ennui.

Une émission divertissante qui ne flatte pas forcément les meilleurs instincts du spectateur et n'hésite pas à ridiculiser les participants (pourtant volontaires, telle est puissante l'attraction du "glamour"). Bien sûr, au passage, on prend comme des vérités admises les préjugés sexistes. A une jeune femme très bricoleuse, qualifiée de Mac Gyver au féminin, la présentatrice demande: "ça vous vient d'où ce côté garçon manqué?" - bien sûr, être femme et bricoler des meubles ou le moteur de sa voiture, ce n'est pas très "glamour"!

Et surtout, on entretient la confusion entre être et paraître. Dans la fameuse séquence voiture, la présentatrice lance la vidéo-vérité par ces mots: "on va regarder ce que les autres pensent de vous" (au lieu de "votre apparence"). Vous l'avez compris, votre apparence, c'est votre identité. Et d'ailleurs, la même présentatrice lance à un candidat avant qu'il se voie dans le miroir, relooké: "on va découvrir votre nouvelle identité!" A la fin, tous les candidats sont qualifiés de "bien de leur peau" ou de "sûrs d'eux", grâce à leur changement d'apparence physique - comme s'il suffisait d'une couleur de cheveu et de quelques sapes bien coupées (et probablement assez chères, car le règne de l'apparence, c'est aussi celui du fric) pour surmonter un mal-être.

C'est d'un simplisme à mourir de rire! On fait d'eux des poupées de podium qu'ils ne sont pas, si bien que tous ont ce cri du coeur, toujours conservé au montage par M6 comme signe de triomphe: "Je ne me reconnais pas!" Je doute fort que beaucoup d'entre eux conservent le style magazine qu'on leur a donné plus de quelques jours après l'émission. M6 confond le déguisement (c'est assez rigolo, effectivement, de se voir autre) et la personne. Tout cela sous le sceau du bon sens : nous sommes tous pareils, nous pensons tous pareils! Le tour de force, c'est de parvenir à faire passer comme l'affirmation de soi la conformité à un modèle!

Combien de spectateurs étaient-ils comme moi devant leur écran hier soir? Combien parmi eux de jeunes parfois mal dans leur peau, à qui on apprend ainsi la superficialité? Certains adolescents deviennent de parfaites émules de M6, prompts à juger sur l'apparence, et fermement convaincus qu'un coup d'oeil suffit pour se faire une idée de la valeur de quelqu'un - et par conséquent, extrêmement préoccupés par l'image qu'ils renvoient aux autres, dont M6 explique qu'elle doit être "sexy" et "glamour" pour être belle.

"Assurément de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués" expliquait, il y a très longtemps, un vieux philosophe grec. Oui, rappelez-vous! Une histoire de caverne...

Pour lire l'intégralité du texte de Platon (allégorie de la caverne): http://www.philo5.com/Les%20philosophes%20Textes/Platon_LaCaverneDePlaton.htm