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Reste-t-il des raisons d'espérer ?

Par Gerard

 

Désespérer de l’avenir est un sport national. Pourtant l’individu a rarement concentré entre ses mains autant d’opportunités productives et créatives. Les outils sont là : la puissance des ordinateurs, l’instantanéité du web, la proximité de l’internet mobile (tablette, smartphone). Tout se passe cependant comme si notre cerveau ne s’était pas encore tout à fait adapté à ces nouvelles réalités. Comme si l’outil avait encore un temps d’avance sur les stratégies d’usage.

On a pris l’habitude depuis quelques années de stigmatiser le fameux « immobilisme à la française ». Mais ce faisant, de quoi parle-t-on réellement ? Les deux immobilismes dont souffre véritablement notre pays ont pour nom l’investissement productif et l’investissement créatif.

L’industrie française n’a pas, comme s’égosillent encore à le dire quelques idéologues égarés, de problème vital avec le coût du travail. Sa faiblesse structurelle vient plutôt de son manque chronique en matière d’investissement productif. Le constat est connu : les entreprises françaises n’investissent pas assez en Recherche & Développement. Leur parc machines est deux fois plus ancien que celui des pays comparables ; il est de plus notoirement insuffisant. Ce manque de prise de risque, tel est le cœur véritable de l’immobilisme à la française.

Collectivement, la logique du compte à rebours (combien de temps avant l’épuisement total des ressources, avenir hypothéqué par la dette contractée par la génération précédente, etc.) imprègne très fortement l’air du temps et pèse lourd, très lourd, dans la capacité à se projeter dans l’avenir. De plus il y a dans l’idée de la globalisation le sentiment de toucher aux limites. Un monde globalisé est un monde à l’étroit. Il devient alors nécessaire de rouvrir le champ du possible, intellectuellement, existentiellement, afin de retrouver la marche avant de la civilisation. La globalisation et la logique du compte à rebours sont les deux grands inhibiteurs qui nous empêchent aujourd’hui de nous tourner avec enthousiasme vers les innovations de rupture – au moment-même où les appareils que nous avons conçus nous en laissent précisément entrevoir la possibilité à un rythme de plus en plus soutenu.

Ce n’est pas en relocalisant les industries à l’ancienne que l’on créera des opportunités nouvelles, mais en inventant de nouveaux modèles socio-économiques. L’avenir n’est pas dans le coût de revient toujours plus bas de la matière transformée en vue de produire des biens, mais dans la création de valeur à travers des biens immatériels exclusifs, des services globaux innovants, apporteurs de solutions individualisées.

On parle aujourd’hui de cette révolution productive que constitue le passage entre « main d’œuvre » et « cerveau d’œuvre ». Depuis l’invention de la machine à vapeur au XVIIIe siècle jusqu’à l’arrivée de l’ordinateur personnel en 1981, le champ des opportunités s’est considérablement élargit. Automatisation du geste dans un premier temps, automatisation de l’intelligence dans un second. La force musculaire aussi bien que la raison et la mémoire ont été encryptées dans les appareils que nous utilisons tous les jours. Et un simple effleurement du doigt passé sur un écran tactile produit aujourd’hui plus d’effets qu’autrefois toute une journée de dur labeur. L’instantanéité et l’ubiquité en plus.

Le plus gros écueil dans la construction de notre avenir n’est donc plus d’ordre technologique ; il est organisationnel et mental. Car hisser nos modèles de pensée au niveau de sophistication de nos machines impose des changements radicaux dans les mentalités, et principalement dans celles qui sont le plus imperméables à la remise en question : celles des dirigeants eux-mêmes. Alors on traîne, on finasse. Non, il n’est pas facile de passer d’une organisation pyramidale fondée sur l’individualisme farouche et sur le contrôle hiérarchique à une organisation horizontale en réseau qui redistribue globalement l’information en tout point pour faire croître l’intelligence collective, et donc l’efficience. Du commandement d’un seul à la participation de tous. De la compétition interne (qui confine parfois plus au sabotage qu’à l’émulation) à la collaboration sincère et impliquée. De la valeur « travail» à la valeur « créativité ».

Ce basculement dans un monde radicalement autre prendra du temps à cause de l’ampleur de ce qu’il remet en question, tant en termes de dogmes que de prérogatives. C’est là notre seule limite actuelle.

Il nous revient donc de repenser l’humain à l’aune de la puissance des machines dont nous disposons désormais. Car l’on ne passera pas dans ce nouveau monde sans une refonte totale de notre vieille culture managériale et organisationnelle, issue des industries du passé. C’est toute la finalité de nos productions qui est à reconsidérer. Aujourd’hui il ne faut plus produire des biens mais produire du sens.

La force d’inertie du passé masque encore les contours de ce nouveau monde qui est déjà en place. Pour autant ce monde nouveau est déjà là. La puissance cognitive de partage total et instantané développée par le Web attend encore la pensée qui fera d’elle un outil véritable tourné vers l’avenir. Pour cela il nous faudra faire exploser le cadre mental imposé par l’idéologie du compte à rebours et de la limitation globalitaire. Tel est le pas qu’il nous reste, collectivement, à franchir.

Gérard Larnac


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