Eh bien, c'est un bon Goncourt. Les cuvées ne sont jamais les mêmes, on l'a remarqué. Celle de 2012 se révèle excellente.
Jérôme Ferrari a pourtant pris des risques. Son roman est une juxtaposition de trois pièces littéraires.
La première raconte la vie d'un vieux Corse, Marcel Antonetti, ses espoirs de quitter un village où rien ne se passe et de trouver une vie exaltante dans l'armée ou les colonies, à l'image d'un frère dont il fantasme l'existence.
La deuxième explique comment deux jeunes philosophes, dont le petit-fils de Marcel, reprennent un bar dans le même village, le transforment en meilleur des mondes et voient cet univers sombrer.
La troisième, c'est le Sermon sur la chute de Rome, de Saint Augustin, prononcé lorsque l'évêque d'Hippone tente de rassurer ses ouailles, sidérées que la ville éternelle ait été prise par les Barbares.
Les trois axes se lient grâce, notamment, à une écriture ample, sinueuse, aux longues phrases envoûtantes. Grâce aussi aux liens que Ferrari tisse entre les histoires : tous les fils mènent à une famille (le grand-père, le petit-fils, et sa sœur qui fait des fouilles à Hippone).
Grâce également à une thématique du déclin. Dans les trois cas, il s'agit de la constitution d'un monde (l'empire colonial français, l'univers du bar, l'empire romain), de sa décomposition et de sa destruction.
C'est somptueux. Et ça nous console un peu que Joël Dicker n'ait pas eu le Goncourt. Évidemment, par chauvinisme, c'était notre candidat.
Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome, Actes sud