1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace
6. La métaphore (le présent billet)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)
La métaphore
Comme nombre d’œuvres de fiction, Mobile Suit Gundam reflète l’inspiration de ses auteurs à travers ses différents thèmes, et de ceux-là transpirent des idées qui expriment une certaine représentation du monde. Que ces thèmes se trouvent là dans le but conscient ou non de traduire des vues importe en fin de compte assez peu : une œuvre cesse d’appartenir à ses auteurs pour devenir la propriété de son audience dès lors qu’elle devient publique, et les commentateurs peuvent donc l’interpréter comme bon leur semble – et tant que leurs conclusions restent dans le domaine du raisonnable…
Ainsi, une première piste se dégage de certains faits. Le premier concerne le vécu personnel de Yoshiyuki Tomino, l’auteur principal de Gundam, qui se différencie somme toute assez peu de celui de n’importe quel autre japonais de la même génération, celle qui assista à l’effondrement du Japon lors de la conclusion de la guerre du Pacifique – soit la fin d’un monde, le leur – et participèrent plus ou moins contre leur gré à l’émergence d’une nouvelle nation qui se posait en rupture nette de la précédente. Le second fait tient dans ce que Gundam appartient à la culture populaire du Japon de la fin des années 70 de par l’époque même où il apparut, de sorte qu’il s’inscrit dans la continuité du développement de la culture manga d’après-guerre, celle-là justement qui naquit sur le champ de ruines auquel se trouvait réduit l’archipel à la fin des combats de la guerre du Pacifique (1) : à sa manière, Gundam retient certains aspects de cette période, à l’époque pas si lointaine et surtout pas pour ceux qui la vécurent.
Un premier aspect se retrouve facilement dans le duché de Zeon lui-même, dont le parallèle avec l’Allemagne nazie et le Japon monarchique peut s’établir sans difficultés. Parmi d’autres éléments, le duché retient des nazis la prise de pouvoir pendant une période troublée et à l’aide d’accointances entre les révolutionnaires et de riches industriels, une doctrine de la race-maître basée sur un détournement d’une philosophie prometteuse avec ici le personnage de Zeon Zum Deikun dans le rôle de celui du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900), le développement de technologies de guerre innovantes, voire même révolutionnaires et employées à travers une stratégie offensive très semblable à celle de la Blitzkrieg, et enfin une situation politique de vieilles rancunes contre le « voisin » immédiat, soit la Fédération dans le cas présent. Quant au Japon d’avant-guerre, Zeon en retient bien sûr le statut politique de la monarchie ainsi qu’un besoin en ressources industrielles correspondant dans l’histoire réelle à celui de l’espace vital qui poussa l’archipel à envahir la Mandchourie en 1931 ; plus loin dans le récit, Gundam plante un autre point commun avec le Japon monarchique à travers la bataille de Solomon où la forteresse ennemie éponyme tombe entre les mains de la Fédération : le parallèle avec la Campagne des îles Salomon, qui vit la toute première victoire des troupes américaines contre le Japon, lors de la guerre du Pacifique déjà évoquée, se montre ici assez évident.
Un second aspect, plus subtil, se trouve dans le sentiment de culpabilité des adultes qui se voient obligés d’envoyer au front de jeunes gens inexpérimentés en raison du nombre de pertes proprement monumental que subissent les deux factions dans les premiers mois du conflit. Le niveau particulièrement élevé de mortalité parmi les civils n’arrange bien sûr rien au problème : on peut rappeler en effet que la stratégie de Zeon dite du « colony drop » – déjà examinée dans la partie précédente – a purement et simplement divisé par deux la population de l’ensemble de la sphère humaine dès les premières semaines de la Guerre d’Un An. Évidemment, cette situation empire avec le temps, de sorte que Zeon se voit obligé de défendre ses dernières positions avec de très jeunes gens sans aucune expérience du combat de la même manière que les nazis employèrent les Jeunesses hitlériennes à la défense de Berlin dans les dernières semaines de la Seconde Guerre Mondiale, ce qui fut l’occasion pour de nombreux soldats alliés de connaître des dilemmes moraux bien compréhensibles ; de son côté, le Japon se montra plus catégorique et poussa ses derniers pilotes d’avions, tous très jeunes eux aussi, au sacrifice ultime à travers la tactique du kamikaze et l’utilisation intensive des appareils de type Ohka avant d’armer tous ses civils pour tenter de contrer l’avancée des américains, poussant ainsi ces derniers à utiliser l’arme atomique.
Enfin, et peut-être plus discutable, la campagne d’Odessa rappelle éventuellement l’opération du débarquement en Normandie pour son rôle décisif dans l’inversion du déroulement de la Guerre d’Un An en faveur de la Fédération. Ce point paraît plus sujet à caution dans le présent argumentaire car nombreuses sont les guerres qui connurent des retournements de situation comparables.
Ces points communs entre Gundam et la réalité historique se montrent trop nombreux pour s’avérer de simples coïncidences : il semble donc tout à fait approprié de voir dans ce récit une sorte d’allégorie ou à tout le moins de métaphore sur la Seconde Guerre Mondiale, soit l’événement d’où émergea le Japon contemporain et dans lequel trouve ses racines cette culture manga d’après-guerre dont Gundam est un héritier parmi beaucoup d’autres. Il vaut d’ailleurs de rappeler que ce conflit planétaire ne conditionna pas juste l’histoire de l’archipel mais bel et bien celle du monde entier, notamment en retirant à la vieille Europe sa place de leader et en ouvrant ainsi la voie à la décolonisation d’une part, et d’autre part en permettant l’émergence d’un nouvel équilibre des forces qui prit dans un premier temps la forme de la Guerre Froide ; pour cette raison, la Seconde Guerre Mondiale se voit souvent considérée par les historiens comme la fin d’une ère, celle de la domination du Vieux Continent sur le monde entier.
Si le récit de Mobile Suit Gundam se cantonne aux événements de la Guerre d’Un An, l’« histoire du futur » (2) que représente l’ensemble des productions de la chronologie Universal Century permet toutefois d’approfondir ce lien avec la Seconde Guerre Mondiale. En effet, cet affrontement militaire fictif entre la Fédération et Zeon se présente assez vite comme une rupture historique tout à fait comparable à celle de l’histoire réelle, dont on commence à observer les premiers effets dans Mobile Suit Zeta Gundam (Y. Tomino ; 1985), à ce jour encore l’unique véritable séquelle de Mobile Suit Gundam. En marquant de la sorte la fin de l’hégémonie totale de la Fédération sur la sphère humaine, la Guerre d’Un An constitue donc la première étape vers l’effondrement du règne de la Terre et l’émancipation des colonies de l’espace, même si un tel processus s’étalera sur plusieurs générations : il s’agit donc là aussi de la fin d’une ère.
Mais que cette dimension métaphorique de Mobile Suit Gundam ne trompe personne, car ce que dit une œuvre compte au final bien moins que la manière dont elle le dit, que la façon dont elle approfondit la problématique ainsi posée. En d’autres termes, il ne suffit pas de présenter une idée, toute aussi intéressante soit-elle, mais encore faut-il parvenir à lui appliquer un développement pertinent, un traitement qui saura dépasser le stade de l’apparence immédiate, de l’évidence – ce qui, bien souvent, sépare les grandes œuvres des autres.
Et sur ce point, en dépit de toute l’affection que j’ai pour Gundam ainsi que du temps que j’ai consacré à y réfléchir, je dois bien admettre qu’il me reste encore à trouver ce qui différencie cette production de toutes les autres qui s’inscrivent dans cette mouvance caractéristique de la culture manga d’après-guerre. Sur ce point au moins, et malgré son aspect révolutionnaire pour ce genre mecha auquel il donna le réalisme qui lui faisait défaut, Gundam se montre en fin de compte assez commun…
Certains diront que c’est là la preuve que Gundam n’est au fond rien d’autre qu’un produit de son temps et qu’il ne mérite pas toute l’attention dont il est l’objet . D’autres affirmeront que c’est la parfaite démonstration de la légitimité de Gundam au sein de cette culture manga d’après-guerre dont il fournit une nouvelle grille de lecture à travers le réalisme techo-scientifique appliqué à ce genre mecha qui tient une place centrale dans la culture populaire japonaise.
Si ces deux points de vue ne s’excluent pas mutuellement, comme toujours, et pour en revenir au tout premier paragraphe de ce chapitre, c’est au spectateur qu’incombe de choisir entre ces différentes possibilités : c’est bien là le privilège de l’audience après tout…
Suite du dossier (Le newtype) (à venir)
(1) Jean-Marie Bouissou, Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service (La Critique Internationale n°7, avril 2000). ↩
(2) dans le vocable de la science-fiction, ce terme désigne une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment ; beaucoup d’écrivains de science-fiction ont produit des séries de ce type, tels qu’Isaac Asimov (1920-1992), Arthur C. Clarke (1917-2008) ou Robert A. Heinlein (1907-1988), pour citer les plus connus. ↩
Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace
6. La métaphore (le présent billet)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)