Au cours des trois dernières années j'ai eu la chance de participer à des groupes de travail qui réunissaient des experts et des responsables opérationnels pour réfléchir aux transformations de la société et de l'économie induites par la troisième révolution industrielle, celle de l'informatique, de l'Internet et des technologies numériques. Il s'agissait aussi d'imaginer comment la France pourrait tirer son épingle de ce jeu.
De 2009 à 2011, piloté par Michel Volle et sous la responsabilité de François Rachline, ce fut un séminaire de l'Institut Montaigne qui déboucha sur le rapport Le défi numérique - Comment renforcer la compétitivité de la France. En 2011 et 2012, le Club Jade présidé par Mehdi Benchoufi s'efforça d'attirer l'attention des candidats à l'élection présidentielle sur ces questions cruciales, en vain faut-il le dire. Cette année c'est l'Institut Xerfi qui s'attaque au sujet, à nouveau à l'initiative de Michel Volle.
La participation à ces travaux m'a suggéré quelques idées, sans doute simplistes, et j'invoque l'indulgence des autres participants à ces travaux. En voici néanmoins deux ou trois.
Sommaire-
Savons nous nous adapter au déplacement de l'activité économique ?
Au fil du temps certains secteurs de l'économie se développent, d'autres périclitent. En période de révolution industrielle, ces transformations deviennent brutales, s'y adapter demande discernement et énergie, et le sort de ceux qui restent au bord de la route est cruel. Pensons aux bouleversements par lesquels la population active dans l'agriculture est passée de 67% en 1789 à 3% aujourd'hui. Cela n'a pas signifié la disparition de l'agriculture, mais son industrialisation. Aujourd'hui, l'industrie classique n'est pas menacée de disparition, mais elle s'automatise, et les produits qu'elle met sur le marché sont des assemblages de biens et de services dont la consistance est assurée par un système d'information. Si le rival à court terme de l'ouvrier français peu qualifié est l'ouvrier chinois, à cause de son salaire misérable, son rival à moyen terme, lorsque le salaire chinois aura augmenté, sera l'usine informatisée adossée à un système d'information complexe, qui intègre le réseau de distribution comme les équipes de conception, ainsi que les sous-traitants et les fournisseurs.
Quelle est la posture de la France face à cette révolution ? Prenons un exemple : En 1974, aussi étrange que cela puisse paraître au lecteur de 2012, les industries électroniques japonaise et française étaient sur un pied d'égalité, tant en termes de chiffres d'affaires que de portefeuilles de brevets. Dans les années qui suivirent, le Ministère japonais de l'industrie, le MITI, anima une politique volontariste de recherche et développement, avec les résultats que l'on sait. Au même moment, le gouvernement français, confronté à des choix de politique industrielle liés à l'avenir du constructeur national CII et à de possibles accords avec Honeywell-Bull, décida de faire l'impasse sur les microprocesseurs, jugés sans grand potentiel de valeur ajoutée, pour s'orienter vers « les cartes », d'ailleurs sans l'ombre d'un résultat industriel ultérieur. Cependant, l'essentiel du budget du ministère français de l'industrie était consacré à éponger les dettes des charbonnages et à soutenir la sidérurgie. Est-il besoin d'en dire plus ?
Le drame, c'est que cette attitude est constante : surtaxer les activités émergentes et prometteuses pour maintenir à grands frais les activités condamnées en coma dépassé. Les débats actuels sur l'imposition des startups et sur la sidérurgie en témoignent.
Les salariés peuvent-ils recevoir une formation qui les prépare aux changements ?
Bien sûr, les syndicats sont attentifs au sort des personnels employés dans les secteurs en perdition. Lorsqu'une entreprise disparaît, sur quoi ses personnels peuvent-ils faire fond pour trouver un nouvel emploi ? Leur formation, et plus précisément leurs diplômes, sont des atouts essentiels, et s'ils en sont dépourvus ils risquent de se retrouver dans une impasse.
Faisons-nous ce qu'il faut pour la formation continue des travailleurs ? On pourrait croire que oui : notre pays est doté d'une loi qui impose aux entreprises de plus de dix salariés de consacrer au moins 1,6% de la masse salariale à la formation professionnelle. Mais cette législation est souvent détournée vers des formations de qualité incertaine, qui peuvent être considérées comme des villégiatures aux frais de l'entreprise ou comme des périodes de congés supplémentaires. Ces dispositifs sont aussi utilisés par les syndicats pour se faire financer. D'autre part, même lorsqu'il s'agit de formation effective, les entreprises privilégient souvent les formations étroitement liées à un poste de travail particulier, et qui ne permettront pas la reconversion du salarié en cas de besoin.
Dans le numéro 139 (automne 2012) de Commentaire, Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de HSBC France, envisage la position des Français face à la mondialisation, notamment sous l'angle de l'aptitude à s'adapter à des modifications du marché du travail. Elle souligne l'importance, pour faire face à de telles situations, des formations diplômantes dispensées par de vrais organismes d'enseignement indépendants, telles que les universités et les autres institutions du ressort de l'Éducation nationale. Or de ce point de vue la France est très mal placée, au 25ème rang de l'Union européenne, derrière la Grèce (source Eurostat).
Pour résumer, notre politique économique, industrielle et de formation n'encourage pas les activités novatrices et ne prépare pas les salariés à s'y engager, ce qui nous prépare à un déclin inéluctable avec un taux de chômage insupportable.
Le fonctionnement de notre marché de l'immobilier aggrave cette situation : malgré la diminution de la demande solvable, les prix restent très élevés, phénomène accentué par des droits de mutation élevés, ce qui est un obstacle majeur à la mobilité des travailleurs. Et le marché de l'immobilier dépend étroitement des dispositions législatives et réglementaires entre les mains du gouvernement.
Donc si nous allons dans le mur, c'est volontairement, ou du moins par paresse et impéritie. La France est soit-disant la cinquième puissance mondiale par son PIB : en fait, c'est beaucoup parce que nous mangeons notre capital, au rythme de 70 à 80 milliards d'euros de déficit de la balance des échanges commerciaux. Notre vrai rang, c'est celui que nous occupons dans les nouvelles activités de la nouvelle révolution industrielle, soit, selon des classements comme celui établi chaque année par IBM et The Economist, plutôt vers la 25ème place, et nous descendons. Si l'on estime que cette place est celle vers laquelle notre PIB tend, cela nous mettra au niveau qui est actuellement celui de la Pologne, qui elle est en ascension.