Argo est un film qui mérite le détour, et pas seulement parce que c’est un bon spectacle ou que Ben Afflek est décidément un acteur sobre et intelligent. Il raconte l’histoire de l’extraction de six diplomates américains qui avaient réussi à s’échapper de leur ambassade quand celle-ci est submergée par les manifestants iraniens en 1979, ouvrant la porte à une prise d’otages de 444 jours et ouvrant le long contentieux américano-iranien, qui dure encore de nos jours. Le prétexte pour les faire sortir du pays consiste à les présenter comme une équipe de repérage cinématographique canadienne qui repart tranquillement au pays, une fois son job fait. Ce divertissement amène à se poser la question des relations entre l’Iran et les États-Unis.
Le film est plaisant car il évite aussi bien la bonne conscience des films de droite américaine que la bonne conscience des films de gauche américaine. Le rythme est vif sans artifice, avec des répliques extrêmement savoureuses, comme celle-ci : « Bien, il va donc falloir trouver une star qui soit crédible, avec de l’influence, assez patriote pour le faire, tout en sachant tenir sa langue, et tout ça gratuit ». Éclat de rire garanti. On appréciera également la reconstitution savoureuse de la fin de ces années 1970, à grosses lunettes, moustaches énormes et papiers peints horribles.
Le film prend également Hollywood comme sujet, allant au-delà du show biz habituel s’attardant sur les paillettes et les people. L’utilisation de Hollywood comme instrument du soft power américain est depuis longtemps connue et analysée. Ici, il s’agit d’autre chose : du montage d’une info ops avant la lettre, aux cris de « plus c’est gros, plus il faut le médiatiser, plus il y a de chance que ça passe ». Le mécanisme est passionnant, d’autant qu’il est associé à une opération de la CIA. Stratégiquement, c’est parce que c’est énorme que cela réussit : voici bien un mécanisme de surprise qui veut tromper les schémas de pensée de l’adversaire.
Accessoirement, on notera que l’opération indirecte a eu plus de résultats que l’opération directe qui sera lancée un peu plus tard, et qui échouera lamentablement, les hélicoptères commando s’écrasant dans un haut plateau iranien. De ce point de vue, l’opération contre Ben Laden a été bien mieux préparée… mais il s’agissait d’une cible unique, mort ou vive et plutôt morte que vive, quand en 1980, il s’agissait de récupérer 450 otages d’un coup…
La relation américano-iranienne est l’autre sujet du film. On y voit des barbus excités, mais aussi l’exaspération américaine devant l’impuissance à faire quoique ce soit pour les otages (avec cette merveilleuse invention journalistique du décompte quotidien « cela fait x jours que les otages sont retenus »). Dans le contexte actuel, l’observateur peut l’interpréter de plusieurs façons : à la fois le rappel du radicalisme des iraniens (qui va dans le sens du durcissement), mais aussi l’évocation d’une victoire, et surtout, en creux, la démonstration que les choses ne sont pas bloquées comme elles purent l’être et que les marges de manœuvre américaines sont plus grandes.
On sent bien en effet, depuis plusieurs mois, que B. Obama n’est pas sur une ligne dure avec l’Iran. Il a temporisé les excitations israéliennes, en attendant trois élections. La sienne est acquise, il ne reste plus qu’à attendre à court terme la réélection de Netanyahou en janvier pour relancer les choses. En effet, les négociations ont l’air d’être menées en sous-mains depuis quelques mois avec l’Iran. Toutefois, il faut également attendre le résultat des élections iraniennes. Personne ne s’attend à un triomphe de l’opposition, mais au contraire à la fin du jeu interne au régime, entre la ligne du Guide et celle d’Ahmadinedjad.
Celui-ci semble en mauvaise posture, mais tant que les jeux ne sont pas faits, personne n’acceptera de transiger à l’extérieur, sous peine de se voir accuser par l’autre de trahison. Cette troisième élection étant passée, alors on peut envisager le grand deal : l’Iran accepterait de demeurer un État du seuil nucléaire, donc un pays officiellement non nucléaire, ce qui devrait satisfaire les Occidentaux, et en tous cas les Américains. En échange, on accepterait un adoucissement des sanctions économiques qui sont en train d’étrangler le pays et de faire monter la tension interne.
Ceci, bien sûr, en espérant qu’un autre choc régional, en Syrie, Palestine ou dans la péninsule, ne vienne bouleverser ce scénario qui n’est pas hollywoodien. La nomination envisagée de John Brennan à la succession de David Petraeus à la tête de la CIA accréditerait ce scénario, lui qui est connu pour tenir de la « patience stratégique » envers l’Iran.
O. Kempf