Il y a encore quelques années, les séries à concept, au Japon, relevaient encore de l'exception. Mais désormais, les formats d'une demi-heure diffusés en nocturne se sont multipliés, de plus en plus de chaînes s'y essayent, et surtout, ils se révèlent être une véritable mine d'idées originales, empruntant à divers genres afin de mieux dépeindre l'âme humaine. Ces petites séries font rarement des audiences de feu, pour ne pas dire jamais, mais elles ont un autre point en commun : leur budget est généralement très humble. Leur ambition se situe tout simplement ailleurs, pourrait-on dire.
Alors, quand à désormais chaque saison, débarque un nouveau concept, généralement, je me frotte les mains et je saute dessus. C'est le cas pour Doku , qui figure dans la grille de NTV cet automne.
Le concept de Doku (le second mot étant la traduction du premier, pour ceux qui se demandent) reprenait la plupart des thématiques des dorama à concept : un étrange personnage qui donne à des protagonistes de passage l'opportunité de changer de vie grâce à un item aux propriétés uniques (pour Mirai Nikki c'était un téléphone portable qui annonce par SMS ce qui va se passer dans quelques secondes, par exemple). Ici, nous avons u drôle de type affublé d'un chapeau qui promet un poison totalement indétectable, et, qui plus est, dont les effets ne se mettent en route que 24 après administratrion, ce qui est parfait pour ficher le camps vite fait et/ou se fabriquer un alibi. Un outil parfait pour ce genre de séries, donc.
Doku présente d'elle-même son concept en faisant tomber le quatrième mur : après avoir expliqué que nous avons tous dit au moins une fois que nous aimerions voir quelqu'un mort (ce sur quoi je suis assez d'accord), Mr. Chapeau présente son poison aux spectateurs, expliquant qu'il permet de distinguer facilement le Mal du Bien, comprenez que quiconque choisit d'en faire usage est forcément mauvais.
La présentation est peut-être pas mal pour l'ambiance, mais pour servir le concept, on a vu mieux : empoisonner quelqu'un, c'est mal ? You don't say...
Lorsque nous rencontrons notre premier cobaye, il a précisément une conversation à propos d'un poison potentiellement indécelable avec sa petite amie (d'ailleurs, quelle curieuse conversation à aborder juste après le sexe !), et clame que de toute façon, lui, il n'a personne qu'il voudrait tuer. Et puis, ça ne vaudrait pas le coup, pour tous les ennuis qu'il y a après. Sur l'insistance de sa douce, qui insiste sur l'indécelabilité d'un poison pour le moment imaginaire, il ajoute simplement que cela ferait un super scoop. Et c'est comme ça qu'on apprend que le héros de notre épisode est un journaliste.
Il y a dans cette première scène trop de maladresses pour les compter toutes. La façon dont la petite amie insiste sur l'histoire du poison indécelable, par exemple, est la plus ennuyeuse : elle prête à confusion, parce qu'en réalité la petite amie n'a aucun rôle à jouer dans notre affaire, ou si peu. Mais cette conversation laisse imaginer au spectateur des tas de revirements par la suite, et aucun ne se produit. De fait, cette séquence bien inutile consistant à présenter le personnage central de l'épisode et sa moralité soi-disant inattaquable est en réalité plus lourde qu'efficace.
Dans le même ordre d'idée, d'autres bévues se produiront par la suite, toutes mettant en place des éléménts totalement mis de côté par la suite de l'épisode. Ainsi, notre journaliste arrive au boulot le lendemain matin et que fait-il immédiatement ? Il lit des articles sur un poison indécelable dont on parle sur internet. Ok, là ça devient un peu gros, quand même.
Pendant ce temps, dans un poste de police du coin, une équipe s'intéresse elle aussi aux rumeurs sur un poison indécelable (le fait que toute la ville soit au courant de son existence gâche un petit peu l'effet, je l'avoue), quand une jeune recrue débarque au commissariat : elle était auparavant la mascotte de la police, désormais elle intègre un service de police en tant qu'enquêtrice. Tout cela est du plus haut normal évidemment.
De son côté, notre journaliste de héros nous révèle qu'il mène une double-vie : il fréquente la fameuse petite-amie, fille du propriétaire de son journal, mais il a aussi retrouvé une vieille amie récemment avec laquelle il a une aventure. Comme les choses se précisent avec la petite-amie riche, il veut laisser tomber l'autre (une dénommée Mayumi, qui n'a pas un sou en poche, en plus), mais il apprend qu'elle est enceinte. Pas de bol.
Mesdames et Messieurs, entre en scène notre fameux poison, dont on nous rebat les oreilles depuis le début de l'épisode. A un tel point qu'on est surpris qu'il faille attendre une ruelle mal éclairée pour que le Mr. Chapeau fasse une apparition : j'aurais juré qu'il avait une échoppe avec pignon sur rue quelque part dans Akihabara.
Le dilemme du journaliste n'est pas très long : oui, il va s'en servir ! Pour tuer la femme enceinte, Mayumi. Comme ça, sa vie sera nickel pour quand il épousera la fille de son patron, et vogue la calère ! Ce qui fut dit, fut fait, et croyez-moi si vous le voulez : tout se passe comme prévu. A un tel point qu'on a atteint quelque chose comme le milieu de l'épisode, et que le suspense est aussi indécelable que peut l'être le poison.
Pas une seule fois le spectateur ne s'est demandé si le journaliste allait se servir du poison, et à peine plus s'est-il demandé contre qui il allait l'utiliser. Le scénario a plusieurs fois posé quelques petites pierres qui aurait permis de maintenir un doute, ou de créer une hésitation même temporaire dans l'esprit du spectateur, mais rien de tout cela ne sera utilisé.
Parmi ces questions : et si finalement le journaliste tuait l'autre fille ? Et si le poison ne marchait pas ? Et s'il n'était pas intraçable ? Et s'il avait une autre conséquence cachée ? Et si sa petite-amie avait fait exprès de lui parler du poison ? Et si Mayumi n'était pas celle qu'il pensait ?
Au lieu de quoi, l'enquêtrice nouvellement nommée travaille sur l'affaire du meurtre de Mayumi, sur laquelle comme par hasard le journaliste est envoyé, et au final... nan je vous raconte pas le final, mais sachez que c'est littéralement à pleurer. Au lieu de mettre en place des éléments de thrillers, Doku finit sur une morale larmoyante qui cherche bêtement à nous émouvoir. "Pourquoi ?!" s'écrie notre journaliste, honteux d'avoir tué Mayumi sur laquelle il a découvert tout un tas de choses sans importance prouvant, en substance, ce qu'il savait déjà. Eh bien, on le sait, le pourquoi. Une demi-heure plus tard, on n'a pas avancé d'un pouce.
Tout ce qu'on retiendra de cette première affaire, c'est que l'ex-mascotte aujourd'hui fliquette a elle aussi perdu son père, un enquêteur, dans des circonstances troubles (laissez-moi deviner... elle est sûre que c'est avec un poison indétectable qu'on l'a tué ?).
Loin des temps forts qu'ont pu offrir, par exemple, LOVE GAME ou FACE MAKER, avec de puissants revirements de situation et une interrogation sur la nature humaine, Doku s'acharne à essayer d'en suivre l'exemple sans décoller du petit psychodrame totalement anecdotique. C'est très décevant.
Désormais à chaque saison, débarque un nouveau concept dans les grilles nippones. Mais tous ne se valent pas. Doku manque d'ambition dans l'écriture, dommage. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'à la prochaine saison, on aura un nouvelle chance d'être séduits par un concept nippon...