Vessel – Order Of Noise

Publié le 11 novembre 2012 par Lcassetta

Ca aura été une belle année pour Tri-Angle. Après avoir sorti le toujours-aussi-parfait Held de Holy Other et plein d’autres trucs très sympa (Evian Christ, Howse, Wife, etc.), ils continuent de s’imposer comme l’un des labels les plus intéressants de ces dernières années avec leur nouvelle égérie : Vessel. Après 2 EPs passés incognitos sur d’autres labels, le jeune producteur dont on sait peu de choses sort son 1er album et croyez nous, la techno a de longs jours devant elle.

Techno. Un peu, beaucoup, à la folie, passionnément, pas du tout. Depuis la sortie de l’album R.I.P. d’Actress en début d’année, on a eu droit à une vague d’albums fricotant avec le genre et le déstructurant avec une précision et une maîtrise alarmante. Classical Curves de Jam City, Luxury Problems d’Andy Stott, et maintenant ce Order Of Noise qui, comme le titre laisse à penser, réarrange les genres et ordonne le tout d’une main de fer.

On ne peut pas réellement appeler cet album un album de “techno”. Comme l’ouvre l’excellente chronique de Resident Advisor, How far  off the grid can you stretch techno and still call it techno? C’est la question que se pose Vessel ici. Déjà, c’est le rare album de techno qui couvre beaucoup de domaines en moins d’1h (46 minutes) et en 12 tracks, dont beaucoup n’excèdent pas les 3 minutes et certains passant même sous cette barre. Alors on écoute, oui, et on sent déjà la patte du label. Parce que voilà, après tant de sorties peu communes, on commence (enfin non, on a pris l’habitude, plutôt) à se dire tiens, c’est bien du Tri-Angle dès le premier track. L’ambiance sombre, les basses profondes, les structures originales, les samples flippants… Et pourtant Vessel est très différent de ses camarades.

Je vous bassine avec cette histoire de techno depuis maintenant 2 paragraphes alors que des moments techno, on en voit peu au final. Et justement, c’est ce qui rend cet album aussi singulier et splendide. Alors que des cuts comme Silten, Lache ou Court Of Lions intègrent cet esprit purement techno avec des loops, de la basse, des kick drums à profusion etc., c’est jamais le même schéma. Tous les samples éparpillés avec précision sur Order Of Noise rappellent un travail Burialesque, avec leurs sonorités profondes et détachées de leur corps. Vizar, l’intro, fait rebondir les échos d’un gémissement féminin sur de gros layers de dark ambient et de noise glorieuse, avec des claques bien métalliques et industrielles, sans beat, et cette beauté pure nous fixe déjà sur les sonorités globales de l’album. On retrouvera cette utilisation singulière du sampling sur beaucoup d’autres tracks tout aussi maîtrisés. A certains moments, les samples s’entrechoquent, accompagnent un loop, de la basse sombre et puissante, etc.

Mais ce n’est pas ça qui captive le plus. Tout comme Burial (ou Holy Other), Vessel a son monde, cet univers glacial et hanté, à mi-chemin entre randonnée nocturne et moment de méditation occulte. Ici, le noise rencontre l’intensité poignante du dark ambient, la dub techno aliénante, les bruits métalliques, la folie de l’expérimental, etc. avec la précision d’un chef d’orchestre qui placerait chaque section de son équipe selon un ordre précis et calculé. Prenons Court Of Lions, l’un des meilleurs tracks. S’ouvrant sur un beat graduellement prenant, chaque écho résonne de plus en plus fort et de plus en plus vicieusement. Chaque loop s’accompagne d’une nouvelle sonorité, et on est vite immergés dans cette ambiance délicieusement gênante, bien avant que les strings psychotiques ne fassent leur apparition. On pourrait se croire dans un track de Silent Shout, le glacial et majestueux album de The Knife, comme dans une expérimentation de Shackleton, avec de nombreux samples d’instruments et une structure de plus en plus fascinante. Les strings plus classiques et les beats coexistent dans un ensemble d’une synergie frappante, avant que le vrai deal n’apparaisse. Au bout de 3 minutes, on a droit à quelque chose de réellement poignant, avec une folie techno purement maîtrisée entre breakdowns et moments d’intensité. Ça pourrait sembler pâle question ambiance angoissante comparé au reste du label, sur le papier. Mais en pratique, c’est encore plus monstrueux que ce que font ses camarades.

Silten déconstruit aussi la techno, s’ouvrant sur une sonnerie incessante de téléphone qui s’écho-ise en bells avant de placer une somptueuse basse bien dub et des sonorités qui grincent. Ce n’est que le début : Comme Court Of Lions, on est déjà captivés dès le début, mais quand le reste fait son apparition, on passe à un autre échelon de la techno. Non, là, c’est des drums fous, des synthés déments et intenses comme pas possible, guidant la basse avec une précision dingue. L’ambient glorieux et délicieusement répétitif sonne les moments les plus prenants de l’album. Dès que ça redescend, il y a toujours un élément qui reprend les mêmes bases en encore plus puissant et intense. Chaque loop est différent de l’autre et le tout est servi avec une précision spectaculaire qui fait de ce track l’un des plus poignants de l’année.

Chaque track apporte sa pierre au monument que bâtit l’artiste : Le noise splendide d’un Stillborn Dub, les synthés ténébreux d’Image Of Bodies avec ses percussions lourdes, Scarletta avec son noise et son glitch mind-boggling… Lache reste le moment qui fera le plus s’affoler les vrais techno-heads, avec ses 7 minutes et sa basse bien classique. Vers la moitié, on retrouvera encore ce côté très Like A Pen de The Knife et si c’est l’un des tracks les moins uniques de l’album, il n’en reste pas l’un des meilleurs et des plus captivants.

Techno-pas techno. Il n’y a aucun doute qu’Order Of Noise est un album formidable qui, plutôt que d’être une simple n-ième itération d’un concept évolutif de la techno en 2012, sort son artiste d’une hypothétique liste des suiveurs pour le placer tout devant, parmi les meneurs. Tout est maîtrisé à souhait et les sonorités splendides de cet album, renforcées par des moments extrêmement glorieux, sont très agréablement audibles. Plusieurs fois, de préférence. A un moment, il faudrait arrêter de se poser des questions sur la nature de la musique de cet album et simplement se laisser torturer avec plaisir par la folie de Silten ou de Court Of Lions. 8.7/10

Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)

Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouve énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !


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