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Par Alaindependant

La Véritable Démocratie (un extrait choisi - parmi les nombreux possibles - de Castoriadis)

Par Étienne Chouard, mercredi 31 octobre 2012

un billet Facebook bien intéressant, posté par Sylvain Rochex :

CASTORIADIS parle de la DÉMOCRATIE

http://www.facebook.com/notes/sylvain-rochex/la-v%C3%A9ritable-d%C3%A9mocratie-un-extrait-choisi-parmi-les-nombreux-possibles-de-castor/431239330257811

Voici un extrait du livre : « La Cité et les Lois », un recueil de séminaires par Castoriadis (1983-1984).

Il faut, si l'on peut, lire TOUT Castoriadis. Il démonte point par point tous les enfumages sur les deux derniers siècles d'une part, mais aussi sur l'ensemble des 25 derniers siècles après la chute de la démocratie athénienne.

Tous les textes castoriadiens se recoupent entre eux. Celui que j'ai choisi ci-dessous offre un assez bon résumé de bon nombre de points. Et d'une manière générale, le livre « La Cité et les Lois » est en lui-même un bon résumé des autres.

Sylvain Rochex

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LA DÉMOCRATIE

Il s'agit du pouvoir du peuple et non celui de ses représentants - l'idée de représentation politique, spécifique de la société et de l'aliénation d'aujourd'hui, est là totalement absente ; ensuite, le peuple ne saurait être remplacé par les experts, qui sont certes reconnus comme tels dans leurs domaines respectifs, mais sans qu'ils puissent prétendre à une expertise politique générale, qui n'existe pas : il n'y a pas de science de la politique ou du gouvernement ; enfin, il s'agit bel et bien de la communauté politique et non d'un État au sens moderne du terme, séparé de la société, qui lui fait face et la gouverne.

Tout cela implique aussi que les membres de la communauté participent effectivement à l'activité politique. Non pas, bien-sûr, que 100% d'entre eux prennent part à tout instant aux délibérations ou aux décisions ; mais tout simplement qu'une majorité substantielle du peuple est présente et se manifeste activement chaque fois qu'il s'agit de délibérer et de décider. Cette participation n'est pas un droit abstrait, mais une pratique effective ; et elle n'est pas laissée au hasard ou au bon vouloir des citoyens. C'est toute la vie de la cité, toute l'éducation des citoyens, la paideia pros ta koina, l'éducation en vue des affaires communes, qui conditionne cette participation effective. Et cela est manifeste, dans la vie politique d'Athènes, pratiquement de la révolution de Clisthène à la fin de l'indépendance d'Athènes (bataille de Chéronée, domination macédonienne, etc.), c'est-à-dire à peu près pendant deux siècles. Parmi les composantes du dispositif qui rend possible cette pratique de la démocratie, il y a la création d'un espace public, (...), à savoir la publicité des affaires, par opposition radicale au secret - monarchique, étatique ou bureaucratique - (...), la création aussi d'un temps public, (...), par temps public, j'entends une mémoire qui, là encore, n'est pas la possession privée de prêtres, de fonctionnaires, du monarque ou d'une bureaucratie, mais est explicitement mise en commune et publiquement élaborée, (...).

Dès qu'il s'est institutionnalisé, le monde politique moderne, (...), a commencé par reconnaître les principes, les significations imaginaires politiques constitutives du monde grec, tout en affirmant que ces principes sont inapplicables dans les sociétés modernes. (...), il est absolument clair, en tout cas chez Ferguson, dans l'Essai sur la société civile, mais déjà avant chez Montesquieu, que la véritable démocratie signifie la participation de la communauté entière ; c'est évidemment aussi l'idée centrale de Rousseau. Et dans la mesure où une théorie libérale de la constitution politique s'élabore et prévaut à partir de la fin du XVIIIe siècle, elle s'appuie sur l'affirmation explicite de l'impossibilité de cette participation dans les sociétés contemporaine et sur l'acceptation de l'État comme distinct de la communauté politique, étranger à elle. (...) Cette philosophie politique se trouve face à une quadrature du cercle : on maintient un État séparé dont on essaie de limiter le pouvoir, on tient pour acquis que les citoyens ne peuvent ou ne veulent pas, sauf exception passagère, s'occuper des affaires publiques, et en même temps on prétend fonder là-dessus un régime qui se réclame de la souveraineté du peuple et qui se donne le nom de démocratie. On aboutit à l'autoorganisation de la société dite civile à travers le marché - la dimension essentielle de la société étant ici la dimension économique -, processus avec lequel la communauté politique devrait donc s'abstenir d'interférer.

La grande question de la démocratie, est de savoir qui fait la loi et comment. Autrement dit, dans le langage de Rousseau, qui est le souverain. Réponse évidente : le peuple ; c'est « nous » qui faisons la loi, et c'est dans ce « nous » qui se trouvent impliquées l'égalité, la liberté et la communauté comme réalité concrète sans laquelle ce « nous » ne serait pas. (...) C'est en ce sens que la démocratie grecque antique instaure vraiment l'autonomie : en disant que la loi est faite par nous et pour nous, et en définissant ce nous comme la collectivité des citoyens libres, adultes, mâles, etc. (...) Il y a donc là, (...) auto-institution explicite de la société. Ce qui, bien entendu, pose immédiatement le problème des limites de cette auto-institution. (...) Nous pouvons tout faire ; mais évidemment, nous ne devons pas tout faire : c'est la question de l'autolimitation. Y répondent, d'abord, un certain nombre d'institutions formelles, dont j'ai donné un exemple avec la graphè paranomôn. (...) Il y a un extraordinaire développement à Athènes de ce que nous appellerions le pouvoir judiciaire, qui n'est qu'une autre forme du pouvoir que le peuple exerce aussi à travers l'agora et l'Ekklèsia. Il y a aussi des institutions qui, sans être politique au sens strict, apparaissent comme une réponse à cette question de l'autolimitation, en particulier la tragédie.

Tout cela sera étouffé par la contre-révolution platonicienne, et par la constitution, à sa suite, d'une philosophie politique qui va s'édifier en opposition frontale avec ce qui avait été créé au cours du VIe et du Ve siècle (avant J.C.).

(...) Ce chœur de l'Antigone de Sophocle où il est dit explicitement que c'est l'homme lui-même (c'est-à-dire l'humanité) qui invente, crée, pose les lois qui constituent les cités. (...) C'est la communauté qui forme l'individu tel qu'il va devenir. On reconnaît l'idée de la paideia explicité par Aristote, mais qui est là bien avant lui, pratiquement depuis toujours. (...) polis andra didaskei, c'est la cité qui éduque l'homme, qui fait de lui un homme. (...) Chez les humains le nomos devient phusis, c'est-à-dire que leur nature, c'est ce qui leur a été imposé et inculqué par l'institution de la cité dans laquelle ils ont grandi.

(...) C'est bien évidemment à partir du moment où l'on reconnaît, (...), cette autocréation de l'humanité, autoconstituante et auto-instituante, que la question du nomos et de la doxa surgit avec toute sa profondeur. Il n'y a plus lieu, alors, de penser à une naturalité ou à une quelconque origine divine ou transcendante des dispositions qui règlent la vie sociale des êtres humains : tout cela, c'est du nomos ; et quant aux vues de ces mêmes humains sur le monde, c'est de la doxa, de l'opinion.

Cornelius Castoriadis

Source : http://www.facebook.com/notes/sylvain-rochex/la-v%C3%A9ritable-d%C3%A9mocratie-un-extrait-choisi-parmi-les-nombreux-possibles-de-castor/431239330257811

 (Transmis par Michel Peyret)