En ce dimanche trop automnal, morose et pluvieux, si on se tournait déjà vers ce qui nous attend dans quelques semaines ? Vous m'objecterez que nous avons encore un peu de temps avant d'envisager les fêtes de fin d'année, mais ABC1 a décidé de prendre les devants. La chaîne propose en effet aux Australiens de s'y préparer psychologiquement grâce à une nouvelle série qu'elle a lancée le 31 octobre dernier : A Moody Christmas.
Créée par Trent O'Donnell et Phil Lloyd, cette comédie teintée d'amertume, programmée pour six épisodes d'une demi-heure, a l'art et la manière de capturer le chaos ambiant qui accompagne nombre des réunions familiales occasionnées par cette période de l'année. Ayant su passer au travers mon allergie aux comédies grâce à sa tonalité nuancée (jurisprudence Rev), elle est ma découverte - surprise - positive de la semaine (un grand merci à Toeman et LadyTeruki pour m'avoir convaincue de tenter l'expérience).
A Moody Christmas se propose de nous faire vivre six Noëls consécutifs au sein de la famille Moody, chaque épisode relatant une nouvelle réunion familiale annuelle, permise par les fêtes, sur six années. Le personnage principal que nous suivons est Dan Moody, trentenaire vivant à Londres, qui traverse le globe une fois par an pour retrouver une famille, certes attachante à ses heures, mais aussi excentrique et dysfonctionnelle, dont les réunions font souvent des étincelles. Il retrouve ainsi un frère irresponsable inconséquent évoluant dans son monde, une soeur centrée sur elle-même, un oncle original ou encore un cousin bien sur lui dont la compagne ne laisse pas Dan indifférent. Chaque Noël se révèle donc éprouvant pour ce dernier, mettant ses nerfs à rude épreuve. Le ton est d'ailleurs donné dès le départ, avant même que les célébrations ne commencent : Dan n'est pas fait pour être heureux à Noël, sa petite-amie rompant avec lui à l'aéroport même alors qu'ils allaient embarquer pour l'Australie...
A Moody Christmas est une de ces séries qui sait habilement jouer sur les nuances et le mélange des tonalités. Loin du simple divertissement léger cherchant l'hilarité pour l'hilarité, la série propose au contraire une comédie douce-amère et humaine qui s'attache avant tout à dresser un portrait de famille, avec sa dose de dysfonctionnements. C'est un tableau entier, incluant la part d'abrasivité et de flottements - de malaise même - inhérente à de telles retrouvailles. Le rire est bien là, au détour de plusieurs scènes, mais il s'insère naturellement dans le récit, découlant de la manière dont l'écriture crée des décalages et des contrastes entre l'observateur extérieur dépité par les situations (Dan, et à travers lui, le téléspectateur) et les engrenages hors de contrôle d'évènements ou de réactions dans son entourage. Ne reniant jamais l'absurde de certaines chutes, s'amusant des véritables running gags que constituent certains comportements, la série installe un ton bien à elle, décalé et rythmé, très plaisant à suivre.
Le format suivi est en soi une expérience narrative avec du potentiel. La discontinuité, provoquée par le fait qu'on se retrouve, à chaque fois, parachuté dans une famille qui a continué à vivre pendant une année, n'est pas préjudiciable. Ce parti pris est d'ailleurs exploité pour renforcer l'impression d'assister à une suite d'instantanés qui ne requièrent aucune réelle introduction. Le temps d'exposition est volontairement réduit au minimum durant le pilote ; et la série se permet même de laisser l'imagination/déduction du téléspectateur remplir certains blancs non explicités. Pourtant, le portrait brouillon ainsi dressé nous parle immédiatement. A Moody Christmas a le mérite de savoir forcer les traits et embrasser la caricature, tout en demeurant proche, confusant familière malgré tous ces excès propres à la fiction. Les étiquettes sont spontanément apposées sans besoin de s'étendre : il y a le cousin trop bien sur lui qui rend vaguement jaloux, l'oncle excentrique, le père jamais satisfait, la soeur centre du monde, etc... autant de caractérisations sur lesquelles les dynamiques de la série vont ensuite facilement se construire.
Si A Moody Christmas nous raconte les journées de Noël du point de vue quelque peu en retrait et désabusé de Dan, happé malgré lui dans le chaos ambiant, elle n'en reste pas moins une vraie fiction chorale qui fonctionne avant tout par et grâce à son collectif. En effet, ce sont les scènes de groupe, comme les repas, lorsque chacun essaie de maintenir l'illusion d'un ordonnancement policé qui s'effrite soudain, qui sont les plus savoureuses. A contrario, dès que la série essaie de creuser un peu plus l'histoire personnelle de Dan, tel son flirt avec l'amie de son cousin, elle sonne plus convenue et calibrée. Ce qui fait l'attrait de A Moody Christmas est la photographie familiale d'ensemble dépeinte, dotée de cet équilibre étrange, riche en paradoxes et tout simplement humain. On pardonne même aux scénaristes de donner l'impression de se laisser parfois dépasser par la vitalité de leur oeuvre : ce relatif manque de maîtrise a presque un parfum d'authenticité.
Sur la forme, on retiendra surtout une photographie aux couleurs claires, représentant bien l'ambiance ensoleillée, quasi-caniculaire, qui accompagne Noël dans l'hémisphère sud. A Moody Christmas a donc une atmosphère toute Australienne ; et c'est d'ailleurs sans doute la première chose que retient un téléspectateur européen qui visualise plutôt des fêtes de fin d'année que l'on passe en regardant tomber un épais manteau blanc de neige, plutôt qu'en discutant de la nécessité de construire une piscine pour rafraîchir dans la perspective de l'an prochain. Pour le reste, peu de particularité si ce n'est une volonté de proposer une réalisation proche de ses protagonistes.
Côté casting, A Moody Christmas présente un ensemble correct. La série parvient bien à opposer et à marquer le contraste attendu entre la rationalité distante et posée de Ian Meadows, point d'ancrage du téléspectateur et interprète de Dan, et les caractéristiques vaguement excentriques ou vite exaspérantes pour le mieux de son entourage familial. Compose notamment ce dernier, Patrick Brammall, Danny Adcock, Tina Bursill, Darren Gilshenan ou encore Rachel Gordon. La petite amie de son cousin à laquelle Dan n'est pas insensible est, elle, jouée par Jane Harber.
Bilan : Sorte de dramédie douce-amère, excentrique dans son versant comédie, plus désabusée lorsqu'elle touche à des thèmes de la vie du quotidien, A Moody Christmas s'annonce comme une suite de six instantanés aussi chaotiques que colorés pour nous faire vivre Noël dans la famille Moody. Avec un personnage central, repère stable et rationnel auprès duquel on s'investit facilement, la série croque toute une suite de portraits et de situations qui sonnent à la fois familières et improbables/inadéquates. Sans rechercher le rire à tout prix, elle trouve le juste équilibre et la nuance qu'il convient dans sa tonalité pour s'assurer de la fidélité du téléspectateur. Reste aux scénaristes à maîtriser un peu mieux le chaos ambiant qu'ils génèrent. A surveiller.
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la série :