Tribune libre
;
Le curé de Cucugnan, célèbre curé rouquin connu pour son sermon sur Notre Dame des courants d’air (si ma mémoire est bonne), prit récemment la parole :
Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, … j’ai fait un rêve.
Notre cathédrale était pleine. C’était le soir et on n’y voyait pas plus clair que dans une auberge de Galilée, mais j’avais la certitude que nous y étions tous, mes bien chers frères et sœurs. Dans la cathédrale unplugged, douze torches éclairaient l’autel, portées par douze jeunes gens dont je voyais bien qu’ils étaient des saints de Dieu. La lumière hésitante, reprise ici ou là dans la nef le long des piliers, jouait avec l’ombre, tremblotante comme une main de parkinsonien russe torché, ou comme nos âmes perdues entre la grâce et le péché.
Sur l’autel, le Très Saint Corps de Jésus dans son Eucharistie, au milieu d’un ostensoir d’or, brillait dans son silence et son éternité. Seul point stable et lumineux dans ce qui nous ressemblait, ce temple de l’Esprit que nous délaissons parfois pour en faire un champ d’après rave-party, il semblait tout ramener charitablement à Lui, désarmé, aussi nu qu’un prêtre roumain dans les geôles caucescueiennes. Dans cette hostie de quelques centimètres se retrouvait le bouton ON/OFF de tout l’amour du monde…
Autour de l’autel, dans deux vasques brulaient de l’encens qu’un enfant de choeur blondinet venait régulièrement raviver. C’était de l’encens pontifical, celui des grands jours, à 15 € les cent grammes à la Trappe voisine [on reconnaissait là la célèbre gestion serrée du curé].
Devant l’autel, seul et face à face avec son Créateur et Seigneur, se tenait Monseigneur l’évêque, droit sur son prie-Dieu d’ébène et de velours, les yeux clos, son aube enserrée du fin cordon du guerrier et de l’ascète. Sa cape d’or, longuement étendue derrière lui, formait comme un tremplin de BMX pour que les âmes s’envolent vers le Dieu humblement incarné qui s’offrait à eux.
Au premier rang, ensuite, les chanoines à genoux. On y reconnaissait Monsieur le chanoine Jeannot, le geek fou, qui avait initié -avec la permission de Monseigneur- la bénédiction des mobiles et iPad, le 24 mars, en la saint Gabriel. Le père Benoît, le petit abbé bègue et rasoir, qui faisait des ravages dans les HLM afros était là aussi, et je me dit alors qu’il avait dû venir avec son monde. Derrière les chanoines et les abbés, les soeurs de la Très Sainte Pitié de Jésus Pour Les Âmes du Purgatoire étaient là, planquées derrière leur cornettes comme des autonomistes corses dans le maquis.
L’archevêque de Paris et le primat des Gaules avaient demandé en effet une veillée permanente, une adoration de notre Dieu incarné en Son Hostie, tous les soirs pour tous les diocèses, afin d’exiger, comme la veuve avec son juge inique et avec la force de la bernique sur son rocher, le retrait du si sinistre projet de loi contre la famille telle que voulue par Dieu dans son admirable création et telle que voulaient la flinguer comme le faisan d’ouverture les invertis de tous poils -enfin, mes frères, je me comprends, ces gens étant en général amateurs d’épilations diverses-.
Ainsi, dans toutes les cathédrales de France, veillant chaque soir devant leur Dieu, les chrétiens venaient emmerder Dieu, exiger de Lui qu’il Se bouge, qu’il fasse je ne sais pas quoi, qu’Il tonne, qu’Il vente, qu’Il emporte l’un ou l’autre vers son Paradis, afin que Sa Loi d’amour reste dans les cœurs, dans les âmes, et, surtout, entre les hommes. Que la femme reste l’amour d’ici bas de l’homme et l’homme celui de la femme, que l’enfant voit la nature humaine aussi sexuée qu’un guerrier wolof rentrant de guerre, que le don de l’un à l’autre soit entier et sans réserve, acceptant charitablement ses limites et toutes les exigences de sa condition. Et cela sans que les chrétiens n’abandonnent la partie laïque, dans le monde, en écrivant, se manifestant.
Les psaumes se succédaient, accompagnés par le bourdon de l’orgue et les tam-tams des immigrés afros du père Benoît. Le chapelet coulait dans les doigts, le temps offert ne comptait plus, les âmes s’emmêlaient et montaient vers Lui, le Seul Maître du temps et de l »histoire. Les chants, le silence , l’encens et la lumière faisaient participer les sens des hommes et des femmes à quelque chose qui pouvait ressembler au Paradis…
Voilà, mes frères, le rêve que je fit, et qu’il me paraît souhaitable que nous entreprenions hic et nunc, ici et maintenant. A partir de demain, donc, adoration, chapelet et imploration. »
;
Mais, le lendemain de ce sermon aux amphétamines, le curé de Cucugnan s’éveilla avec une barre à mine entre les temps, s’enferma trois jours durant, trifouillant ici et là, disparut pour de bon, et voici la lettre que Monseigneur reçut :
;
Monseigneur,
L’autre jour j’ai fait un rêve. Mais j’ai menti à mes paroissiens. Je leur ai raconté une histoire folle, celle de l’amour de Dieu pour les hommes, celle de la veuve qui négocie, insiste et ne lâche pas son Dieu omnipotent. Quelque chose autour de l’enracinement dans notre histoire et dans les murs anciens, celle de l’amour des familles et du Dieu qui entre dans notre intimité la plus profonde. L’histoire du silence, celle de la grâce qui est notre espérance et du péché qui se joue de nous.
Mais mon rêve était en fait tout autre, un cauchemar Matrix à la sauce catho. Celui de la résignation molle, du refus de la foi en la prière. Dans mon vrai rêve, Monseigneur, vous ne priiez pas, vous étiez assis, une de ces aubes modernes informes sur votre complet-cravate dans une salle blanche éclairée au néon, votre pauvreté qui n’est qu’ignorance crasse ayant ainsi transformé des salles glauques en oratoires laborieux et artificiels. Vous écoutiez le chant syncopé et débile qu’un nonne défroquée déchiffrait sur une partition à la mode. Un clavier foireux et une guitare molle l’accompagnait sans grâce. Trois bonne-femmes faisaient office d’assemblée, personne n’étant venu, vos curés ne battant plus le rappel des troupes. Aucun chanoine, bien sur, la réunionite cléricale et la téloche presbytérale ayant frappé. Nul chapelet, nulle adoration, une vague prière molle et un sermon photocopié bourré de poncifs avaient suffit pour ce pensum… et passé l’heure, vous avez filé, sans même saluer vos ouailles sur le perron de la maison diocésaine.
Nous irons au combat, mais qui n’a pas fait le nécessaire au moment venu est simplement fou.
Ainsi, Monseigneur, je n’en peux plus. Je n’en peux plus de supporter l’affadissement du sel de la terre, la fonctionnarisation du clergé et le feu mort auquel seule l’inertie des choses fait croire. Je n’en peux plus de me faire encore moquer non pas dans la rue mais dans votre propre évêché ma soutane de pauvre, mon attachement au silence et à la tradition de mon pays et de mon Eglise de France. Je n’en puis plus de l’incompétence quant à la gestion des âmes et du réel.
Je vous quitte donc, appliquant le précepte de Jésus, nettoyant la crasse occidentale moderne de mes Doc Martens usées. J’emprunte dans la caisse paroissiale de quoi payer un aller simple vers ce pays où votre prédécesseur m’avait envoyé Fidei Donum, et dont la foi enfantine m’avait comblé. Je ne m’attends pas à des saints ni à la perfection, juste à avoir des hommes qui ressemble à des hommes et non plus à des zombies décérébrés. Vous trouverez la solution canonique qui va bien,
Bien à vous en Jésus-Christ,
Le curé de Cucugnan.
Bref, tout çà en attendant que nos évêques et nos curés montent la lourde, longue et insistante prière qui va bien contre la dénaturation du mariage… sans attendre tout des laïcs qu’ils prennent leur responsabilité et autres poncifs. Les laïcs dans le monde, les clercs à la manœuvre liturgico-eccléciale !