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La fable du choc de compétitivité: 20 ans que ça dure

Publié le 10 novembre 2012 par Eldon

© inconnu

Les Démocrates ont donc repris quelques unes des mesures préconisées par le rapport Gallois au titre du choc de compétitivité dont la France a besoin pour relancer ses exportations et l’embauche et donc son économie.

Les Républicains, sans trop l’avouer, sont contents. Ils râlent et trépignent histoire de marquer le coup, mais sur le fond, ils approuvent et sont allés boire un coup avec les pigeons et le clan des 93. Bref tout va pour le mieux dans le meilleur des Mondes possibles.

Mais ce « choc de compétitivité » n’est qu’une fable. Non pas parce qu’il ne faudrait  pas que les entreprises françaises soient compétitives,  mais parce que ça fait 20 ans qu’il y en a régulièrement pour le résultat qu’on connaît et que la France reste compétitive… pour les étrangers.

Quelles sont les mesures prises suite au rapport Gallois

- crédit d’impôt de  20 milliards compensé par une baisse des dépenses publiques pour une moitié, augmentation de la TVA et de la fiscalité écologique pour l’autre

Baisses de cotisations sur les salaires de 1 Smic à 2,5 Smic:  l’allègement sera de 20 milliards d’euros du prix  du travail » sur trois ans

Evolution de la TVA à partir du 1er janvier 2014: Le taux normal est relevé de 19,6% à 20%. Le taux intermédiaire passera de 7 à 10%. Le taux minimal de TVA est ramené de 5,5% à 5% en 2014

Nouvelle fiscalité écologique à partir de 2016, pour un montant de 3 milliards d’euros

Fonds de 500 millions d’euros pour les PME en difficultés, dont le financement n’est pas précisé

Bref 40 milliards de contributions à la collectivité en moins pour les entreprises et dépenses supplémentaires sur les ménages (350 à 500 euros par an), une fiscalité pesant sur l’écologie qui devrait être plutôt encouragée

20 ans de chocs de compétitivité

En effet depuis 1990, la contribution des sociétés  à la collectivité ne fait que diminuer sous forme d’allègements. Dès le début des années 1990, estimant que le coût du travail au niveau du smic est trop élevé – et explique en partie l’incessante hausse du chômage, notamment dans l’industrie –, gouvernements et économistes sont unanimes : il faut réduire les charges sur les bas salaires afin d’inciter les employeurs à embaucher.

- Gouvernement  Balladur: En juillet 1993, Edouard Balladur exonère totalement de cotisations sociales les salaires jusqu’à 1,1 smic, puis à 50 % jusqu’à 1,2 smic, avec extension progressive jusqu’à 1,6 smic. En 1995, les cotisations patronales d’assurance maladie sont aussi réduites.

-Gouvernement Juppé: Alain Juppé fusionne les deux mesures en 1996, et permet, en 1997, à des entreprises de bénéficier d’allègement sur les salaires de 5 millions d’employés, ce qui abaisse le coût du travail au niveau du smig de 12 %

- Gouvernement Jospin: à partir de 1997, le gouvernement Jospin maintient l’ensemble de ces dispositifs, et en ajoute d’autres, destinés à accompagner le passage aux 35 heures, et qui touchent cette fois toutes les entreprises. Ce sont les « lois Aubry », qui instaurent des allègements plus élevés, tant en montant que dans le niveau des salaires en bénéficiant (jusqu’à 1,7 smic).

- 2003: En 2003, la droite, revenue au pouvoir, poursuit cette politique, fusionne les allègements de charge Aubry, Juppé et Balladur en « allègements Fillon », et met en place une réduction de cotisations sociales pour les employeurs, qui les diminue de 26 points au niveau du salaire minimum.

- 2007: En 2007, l’exonération est à nouveau augmentée, jusqu’à 28 points. Le coût de ces allègements explose, représentant, en 2009, 22,9 milliards d’euros de manque à gagner pour l’Etat.

- dispositifs d’allègements fiscaux: Dans un rapport de 2010, le Conseil des prélévements obligatoires (CPO) de la Cour des comptes en recense 293, contre 252 en 2002. Toujours selon le Conseil, ces dépenses représentaient en 2010 (en y incluant les baisses de charges) 35,3 milliards d’euros, un chiffre en hausse de 33 % depuis 2005. Les niches fiscales représentent une part très importante dans ces dispositifs. Le CPO écrit que « la France se caractérise comme un pays où les dépenses fiscales [niches fiscales] sont particulièrement nombreuses et diversifiées et ont un impact relativement plus important que dans d’autres pays de l’OCDE sur l’imposition effective des activités économiques correspondantes ». 

- taxe professionnelle: supprimée en 2010 et que partiellement compensée. Coût pour les ménages: 7,5 milliards d’euros (voir La Taxe professionnelle, vous vous en souvenez?)

Par ailleurs comment prétendre entre en concurrence avec les Etats Européens à qui sont destinées 60% de nos exportations, vu l’état de L’Europe actuel, les écarts de salaires pharaoniques existants, la déréglementation du droit du travail et de la protection sociale  pratiqués par certains de « nos partenaires ». Sans compter que des pays européens au prix horaire plus élevé que ceux de la France se portent mieux et que d’autres au prix bien plus bas sont au fond du seau (On nous refait le coup du coût du travail)

La compétitivité a le dos large bien souvent: Les producteurs agricoles obligés de vendre à perte à la grande distribution ont des prix plus que compétitifs dont ne se soucie pas le Medef et pourtant leur situation est dramatique. L’artisan boulanger concurrencé par des baguettes industrielles à moitié prix souffre de compétitivité. Qui s’en soucie?  L’artisan électricien qui se voit concurrencé par des entreprises multinationales prestataires de services souffre de compétitivité. Et alors?

La France très attractive pour les étrangers, pas pour les patrons français

La France était, en 2011, la seconde destination des investissements étrangers en Europe, derrière le Royaume-Uni, mais devant des pays généralement jugés comme bien plus « attractifs » fiscalement, comme l’Irlande, la Pologne ou les ex-pays de l’Est. Et que notre pays reste parmi lespremières destinations mondiales en matière d’investissements. Parmi les raisons citées le plus souvent, la qualité des infrastructures françaises, la productivité horaire des salariés et le degré élevé de qualification sont autant d’atouts pour la France.

Autre point qui va à l’encontre de certaines idées reçues : selon une étude du cabinet KPMG, qui a comparé les coûts d’implantation d’une entreprise dans neuf pays, la France est au 4e rang, devant les Etats-Unis, l’Allemagne ou le Japon, bon dernier.

Si la France n’est pas toujours bien placée en Europe en matière de fiscalité des entreprises, le vieux continent est, en général, fiscalement plus avantageux pour les entreprises que l’Amérique du Nord ou l’Asie, comme le montre ce graphe extrait de cette étude de l’Assemblée.

Ces deux premiers paragraphes montrent bien que le « choc de compétitivité » réclamé à corps et à cris n’est qu’un moyen mis en avant pour pouvoir diminuer la contribution des grandes entreprises à la collectivité qui veulent recevoir collectivement ce qu’elles refusent de donner individuellement. Parler de retard de la France en ce sens est un mensonge.

La compétitivité « prix » n’est que poudre aux yeux, et quid de la compétitivité « produit »? Nada.

Quel est le prix d’une Renault fabriquée au Maroc et une autre fabriquée en France?. M Ghosn, on attend. Merci d’avoir expatrié les compétences acquises en France grâce à l’effort collectif par les ingénieurs que vous y en voyez. Inutile d’ évoquer les bénéfices qui seraient acquis par les salariés d’un pays dictatorial. On sait comment ça va se passer et où ira l’argent au bout du compte.

Cet état d’esprit du « toujours plus pour nous et moins pour vous » peut s’illustrer par trois exemples concrets:

- la « fuite » de Bernard Arnault en Belgique afin de se protéger contre le prétendu pillage de ses milliards

- la menace des armateurs grecs qui exemptés d’impôts jusqu’ici menacent d’aller voir ailleurs

- Les entrepreneurs chinois qui commencent à délocaliser en Afrique car la main d’oeuvre en Chine serait trop chère…

Faire des profits est dans la logique interne d’une entreprise et il n’y a rien à dire là-dessus. Reste que ce profit s’est réincarné en dirigeant et actionnaire et que cela a changé la donne.

D’autres chocs bien plus réels existent et ne sont pas pris en compte

- Le choc de la répartition des richesses: les salariés participent à l’enrichissement des entreprises mais n’en tirent pas profit.  Michel Husson et d’autres économistes voient dans la baisse de la part des salaires dans la répartition du  profit la cause ultime de la crise (Voir Les baisés comptez-vous  et Les chiffres de la dette 2012). Par ailleurs, 3,6 millions de salariés occupent un emploi à bas salaire, soit 16 % des 22,3 millions de salariés du privé et du public, selon une étude du ministère du travail. Les salaires inférieurs aux deux tiers du salaire mensuel net médian sont considérés comme « bas ». Le salaire net médian atteignant 1 580 euros en 2011, le seuil se situe à 1 050 euros, très proche du Smic.

Les Grands patrons et les actionnaires, eux, se portent mieux: en 2011 les bénéfices ont augmenté de 48% par rapport à 2010. En 2008, les entreprises ont distribué 54,7 milliards d’Euros de dividendes à leurs actionnaires. En 2009, Total a versé 10% de plus de bénéfices qu’en 2008 , en réalisera près de 12 milliards cette année. En 2011 les revenus des grands patrons ont augmenté de 34% et sont de 4, 1 millions d’euros en moyenne par an. La BNP, au 3e trimestre 2012 a fait un bénéfice net de 1,32 milliards d’euros, chiffre presque 3 fois supérieur à celui de l’an dernier à la même époque (Marianne n°812)….

- Le choc de la pauvreté en France: le nombre de français en situation de grande pauvreté s’est accru de 500 000 personnes en 10 ans et est désormais supérieur à 2 millions  selon le dernier rapport du Secours catholique. L’observatoire des inégalités a fait le même constat en septembre dernier: la France  compte entre 4,7 et 8,6 millions de pauvres, selon le critère retenu.

- Le choc dans l’accès aux soins: on y a consacré un article « Le choc de l’accès aux soins »

-Le choc de la recherche: Le % des demandes des brevets dans le Monde illustre la place qu’accorde La France à la recherche: USA 24,40% , Japon 19,40%, Allemagne 13,60%, Chine 6,90%, Corée du Sud 5,40%, France 5%, Suisse 3,20%, autres pays européens 10,70% (source Marianne N°812  d’après Office européen des brevets)

- Le choc de la Formation: La paupérisation des étudiants en France s’accentue d’année en année, les familles s’appauvrissant.  Le coût de la vie étudiante a augmenté en 2012 de 3,7 %, soit le double de l’inflation. Le coût de la vie étudiante a augmenté de 50 % en 10 ans. À cela s’ajoute la difficulté croissante que rencontrent les étudiants à décrocher un job d’été et un logement. Les petits boulots autrefois réservés aux étudiants sont aujourd’hui de plus en plus prisés des salariés au chômage. Le budget par étudiant attribué par la France est à peine dans la moyenne de ceux des pays de l’OCDE… Loin derrière l’Allemagne.

- Le choc des paradis fiscaux, stocks options, retraites chapeaux, sociétés écrans pour expatrier les chiffres d’affaires et les bénéfices,…: nombreux articles déjà parus ici à ce sujet. Des exemples récents? Total ne paye que 8% d’impôts sur les Sociétés. D’autres  sont donnés par Médiapart. « Sur l’exercice fiscal 2011, Apple a payé en France 7 millions d’euros d’impôts sur les bénéfices, après avoir déclaré 257 millions de chiffre d’affaires. Alors qu’on peut estimer son bénéfice réel dans l’Hexagone à… environ 1 milliard d’euros.  C’est BFM Business, dans une enquête fouillée publiée sur son site, qui met le doigt sur cet ahurissant tour de passe-passe fiscal. 2 % d’impôts sur les bénéfices, qui dit mieux? »

Les entreprises refusent de plus en plus la responsabilité sociétale qu’est la leur; elles deviennent des entités abstraites, détachées de la collectivité, prétendant vivre en dehors d’elle, pelleteuses à main-d’oeuvre bon marché ne comptant que sur une partie de la population argentée pour faire leurs profits,  où l’effort, la responsabilité, le talent, l’investissement, la compétence, ne sont pris en compte qu’à un certain niveau de leur structure en pyramide.

Sur les 1, 3 milliards de Chinois, seuls 70 millions tirent profit de la croissance Chinoise , les autres y contribuent mais sans en bénéficier (Source: « C’est dans l’air » du 9 novembre 2012). Tous les autres rament, triment, ou meurent. Chose inquiétante,  la Chine sera la première puissance mondiale en 2016.

Bref: Mettez des fables, de la pensée unique, de la mauvaise foi, des pleurs et des indignations feints, des raccourcis faciles dans un récipient. Mélangez. Vous obtiendrez un conte à dormir de bout.

L’économie de la subsistance permettra la dictature par la dette. Demandez à M Draghi ce qu’il en pense, lui qui nous a expliqué dans son dernier entretien, sans en être ému bien au contraire, comment les Etats perdent leur souveraineté par la dette.

Dans l’économie rêvée de certains, à nous les mini-jobs cumulés, les crédits à la consommation, le retour chez nos parents, les aides sociales qu’on pourra, le travail au noir qu’on dégotera, les soins qu’on arrachera, les caméras qui nous épierons.  A eux les richesses et la liberté.

Sources: France 24- Le Monde -

Lecture indispensable: Compétitivité Attack Copernic: le contre -rapport sur la compétitivité en France


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