Un disque AEON (Outhere) pouvant être achetéICI
... Passée la première surprise de la Sonate K (Kirkpatrick) 492, pouvant au premier abord sembler un peu trop métronomique, nous sommes conquis, dès la K 381 (à l'écoute en bas d'article), par le jeu du pianiste Olivier Cavé - un jeu qui n'est pas sans rappeler, avec peut être un imperceptible zeste de poésie en moins, celui d'Alexandre Tharaud au long de son recueil publié en 2011 chez Virgin...Écrites bien entendu à l'origine pour le clavecin, les Sonates (essercizi, exercices) de Domenico Scarlatti (1685-1757) se laissent toujours aisément, de par leur fraîche inventivité, leur naturel bondissant, leur (purement apparente) "improvisation" - pour tout dire, leur faconde... entendre sur un piano dit "moderne". Outre Tharaud précité, de nombreux interprètes nous l'ont d'ailleurs déjà démontré.
Une autre particularité de Scarlatti "le jeune" est d'avoir vécu, à l'exception de quelques rares retours en Italie (ou de passages à Londres), plus de trois décennies dans la péninsule ibérique : d'abord au service de la cour du Portugal, puis de celle d'Espagne. Le musicien, devenu veuf, alla jusqu'à s'unir en secondes noces à une Espagnole. Il s'éteignit, d'ailleurs, à Madrid, loin de l'Italie natale, y devançant d'un demi-siècle le sort d'un autre illustre Péninsulaire adopté par la Castille, Luigi Boccherini.
Olivier Cavé, © www.olivier-cave.com
Olivier Cavé (ci-dessus) - dont cet enregistrement Aeon (distribution Outhere) de 2008 constitue ses débuts discographiques - est un jeune Suisse... qui n'omet jamais de revendiquer une ascendance napolitaine, qu'il tient de sa mère. Le titre de l'album, Naples 1685, n'a évidemment rien d'un hasard, la date de naissance du compositeur ayant moins d'importance, ici, que la revendication marquée d'une filiation directe avec la capitale de la Campanie.Il est déterminant à cet égard que deux de ses grands mentors, soient non seulement napolitains eux-mêmes, mais aient été également de prestigieux interprètes de Scarlatti au piano, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de Maria Tipo et d'Aldo Ciccolini. Laissons s'en ouvrir l'artiste : "J’ai découvert Scarlatti un peu par hasard. C’était à Naples justement, chez Ricordi, je vois ce disque exposé – Maria Tipo joue Scarlatti – mon père m’explique que c’est une très grande pianiste et pédagogue napolitaine. Une fois à la maison, c’est le coup de foudre, le disque tourne en boucle… Maria Tipo sera mon professeur ! J’avais huit ans."
Une vision de Naples qui inspira peut-être Scarlatti - © Napoli, la città più bella del mondo
Le souvenir de ses origines (la baie de Naples et le Vésuve à la tombée de la nuit, illustration ci-dessus) n'a jamais cessé d'inspirer Domenico Scarlatti : le caractère dansant de maintes de ses partitions "espagnoles" de maturité dédiées au clavier tient autant, à l'évidence, à la pratique du fandango étudié à Séville, qu'à la rémanence des musiques populaires nées et transmises dans les rues de la cité parthénopéenne.Domenico Scarlatti (1685-1757)
Cavé s'amuse nettement de cette apparente improvisation, de cette liberté permanente - dont la spontanéité festive est facilement trompeuse, tant le métier du compositeur est énorme, et le travail de l'interprète, colossal. Les Sonates K 381 déjà citée, ou K 427 (à l'écoute en bas d'article), convoquent des farfadets jaillissant des touches comme au cours d''un rêve. Maniant tantôt la douceur extrême du toucher, tantôt l'impétuosité nécessaire aux Gavotte ou Fandango (Sonates K 64 et K 239, la seconde à l'écoute en bas d'article), l'Italo-Suisse nous entraîne dans l'atmosphère napolitaine qu'il a appelée de ses vœux. D'un naturel confondant, d'une aisance et d’une sûreté absolue (Sonates K 470 et K 32, la seconde à l'écoute en bas d'article), son jeu se plie à tous les caprices du compositeur, sans jamais - et c'est un point essentiel - surjouer, ou dépasser les intentions de celui-ci.Olivier Cavé prend ainsi place, naturellement, aux côtés d'autres sommités nous ayant légué, depuis des décennies, des lectures admirables de ces Sonates... Celles-ci débutent, au clavecin, avec les fabuleuses premières gravures de Wanda Landowska - abstraction faite de l'instrument dont elle joue -, ouvrant la voie à Scott Ross, incontournable, Hantaï et autres Cuiller (1) ! N'oublions pas non plus, au piano "moderne", outre Tipo et Ciccolini déjà nommés : Marcelle Meyer, Vladimir Horowitz, Clara Haskil, Alain Planès ou Christian Zacharias.
L'artiste prépare par ailleurs pour 2013 un troisième volume Aeon, intitulé Nel Gusto Italiano – Concerti, Capriccio e Aria : dédié à Johann Sebastian Bach, il continuera de prouver avec opiniâtreté que la lecture du répertoire baroque au piano conserve son entière justification.
(1) Le récent et somptueux enregistrement de Bertrand Cuiller, comportant également un Fandango de Soler à perdre la tête, représente, au clavecin, une approche moderne, idéalement à même de faire écho à celle, pianistique, d'Olivier Cavé. Les deux sont chaudement recommandées, ne serait-ce que pour un premier contact avec l'art merveilleux de Domenico Scarlatti.
‣ Un entretien avec Olivier Cavé, sur le site du Poisson Rêveur.
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article ‣ 1) Sonate K 381 - 2) Sonate K 427 - 3) Sonate K 239 - 4) Sonate K 32. © Aeon Outhere, 2008.
▸ Stéphane Houssier
‣ Naples, 1685 : Dix-sept Sonates (Essercizi) de Domenico Scarlatti (1685-1757). Olivier Cavé, piano.
‣ Le site web d'Olivier Cavé.
‣ Un disque Aeon (Outhere) pouvant être acheté ICI.