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Tibet : Nonnerie et village de Shugseb

Publié le 01 avril 2008 par Argoul

Encore de l’orage cette nuit, éclairs et tonnerre suivis d’une pluie diluvienne. Cette fois Graziella ne s’avise plus de courir en slip dans l’obscurité. Mon sommeil est bon malgré l’altitude ; le besoin de récupérer l’emporte. Mon duvet résiste à sa mise en sac et l’altitude me donne un peu mal à la tête durant les efforts que je fais pour l’amener à la raison.

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Le départ n’est pas aisé, l’échauffement lent. Heureusement la pente est douce et le col que nous devons franchir est à 4800 m seulement. Les buissons ras de genévriers répandent leur odeur puissante. Dans un trou du sol entre deux fleurs j’aperçois un nid d’oiseaux, trois grosses larves ocre jaune aux yeux fermés dont on ne voit que le bec qui dépasse. Ils remuent à peine et ne font aucun bruit pour ne pas attirer l’attention des prédateurs. Il fait froid et nous marchons la veste fermée.

L’arrivée au col Kama s’effectue en moins d’une heure alors que le soleil émerge enfin de la couche de nuages. Nous sommes presque à l’altitude du Mont Blanc mais l’herbe pousse dru et les fleurs s’ouvrent tranquillement. Rien du paysage de glace et de rochers de nos contrées à cette altitude. Au-delà du passage s’ouvre une vallée serpentant en ocre et vert, des bouquets d’arbres disséminés délimitant les bords d’une rivière loin en contrebas. Nous examinons un moment les plantes du sommet, Michel et Verena s’y connaissant un peu. Michel aime beaucoup les photographier en macro. On trouve le curieux pavot de l’Himalaya d’un bleu pervenche ou turquoise clair et au cœur jaune d’or, le renoé bistorte, une brosse à dent dure, le pélargonium mauve à cinq pétales, des asters aux pétales mauves et au cœur orange, les potentilles jaune d’or et minuscules, le saxifrage en touffes vertes et collées, le silène acanthe, ces petites fleurs roses en bouquets. La flore est intermédiaire entre la flore alpine et celle de l’arctique. On trouve aussi la véronique, minuscule fleur bleu pervenche aux dix pétales pointus, la grassette, une labiée bleue.

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Nous longeons longuement la courbe de niveau avant de piquer directement vers la vallée. Le terrain est glissant, l’herbe rase. Nous pique-niquons près d’un enclos de yacks. Pas d’autres bruits que des chants d’oiseaux. Nous avalons de la conserve de poisson frit avec de gros haricots noirs salés – un met chinois. En anglais sur la boite, le nom du poisson en anglais est « dace ». Le dictionnaire dit que c’est de la « vandoise » - vous connaissez un poisson pareil, vous ? Le Larousse dit que le nom est bien de chez nous puisqu’il vient du gaulois ; c’est un poisson d’eau douce proche du gardon ! Il faut vraiment venir jusqu’en Chine pour en apprendre sur son propre pays !

L’après-midi, après une courte pause sieste, nous remontons jusqu’à une nonnerie dans le village de Shugseb, à 3750 m. Plus de 80 nonnes méditent là, au pied de la montagne sainte de Gangri Tökar, la « montagne du crâne blanc » qui s’élève à 5336 m. Les montagnes remarquables sont, pour les tibétains, les dieux de l’endroit, maîtres d’un territoire et ancêtres de sa population. Si elles ne sont pas contentes, elles envoient orages et grêle.

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La nonnerie est « l’un des plus importants couvents de la tradition nyingmapa ». Ce n’est pas Tawa qui nous fournit ces détails historiques mais le très précis « Guide du Pèlerin » au Tibet de Victor Chan. Tawa s’en fout, de la culture tibétaine. Fonctionnaire maoïste, tibétain enchinoisé, parlant peu français et n’ayant aucune envie d’en apprendre un peu plus en parlant avec les gens, on se demande pourquoi il est là – sinon pour nous « contrôler » selon les méthodes léninistes.

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Nous sommes un jour de cérémonie et plusieurs villages se sont donné rendez-vous, ce qui nous permet de faire quelques photos humaines. Les jeunes garçons ont été endimanchés pour la cérémonie : certains ont simplement enfilé un survêtement neuf par-dessus leurs hardes de tous les jours ; d’autres sont en véritables « costumes » comme ce quatorze ans en trois pièces bordeaux à rayures, chapeau, chemise blanche immaculée et cravate rouge ! Tout à fait le chic chinois des maquereaux de Shanghai style années trente. Un frère et d’une sœur de dix à douze ans sont tous deux vêtus du même survêtement bleu turquoise à la veste ouverte marquée « Reng Rong ». Ils ont les yeux allongés, le nez écrasé, le visage plat. Le garçon a tout du chinois sauf ses pommettes carrées comme son menton. Une jolie risette étire ses traits de temps à autre. Nous échangeons de grands sourires tandis qu’ils nous accompagnent dans le temple pour se faire bénir par la réincarnation du lama Shugseb Jetsünma. Nous nous faisons bénir aussi et recevons de minuscules pilules amères à croquer.

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Les nonnes psalmodient dans le hall central du temple en buvant des bouilloires entières de thé au beurre. On entend quelque chose comme « how many paid the room » (combien avez-vous payé la chambre ?) - qui doit être en fait « om mani padme aum », la formule sacrée du bouddhisme. Les rues du village sont serrées sur la pente et construites d’argile et de paille. L’endroit possède de remarquables propriétés géomantiques, selon la tradition tibétaine, c’est pourquoi une célèbre yogini s’y est installé au XIème siècle. Il n’en a pas l’air, mais ce village n’est qu’à une vingtaine d’heures de marche de Lhassa.

La descente pour rejoindre le camp par la piste nous paraît interminable, peut-être parce que nous cheminons lentement, amusés par les villageois qui caquettent tout en se gavant de baies. Enfants comme adultes qui regagnent leurs demeures grappillent des arbouses à même les arbres. Après un village plus bas il se met à pleuvoir : tous aux capes de pluie. La mienne est rouge, ce qui me déguise en moine bouddhiste. Cela ne dure qu’un quart d’heure mais, selon Gérard, les gens d’ici « n’ont jamais vu ça ». Il pleut si rarement au Tibet. Cette année, la mousson passe par-dessus les Himalaya, ce qui n’est pas si courant.

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Le camp est posé dans un pré près d’un village, ce qui nous amène de nombreux visiteurs venus en curieux, grands comme petits. Nous sommes leur émission de télé vespérale. Pour quelques photos de plus nous passons bien une demi-heure à échanger gestes et sourires, ou des mots en langues incompatibles. Mais il est difficile de rompre pour nous retirer dans nos tentes. Les relations avec les villageois rencontrés ne peuvent être les mêmes que si l’on séjournait. Nous sommes vers 3800 m et l’on se sent bien mieux qu’hier. Au dîner, après la soupe à l’ail et à l’œuf comme chaque jour depuis le début, nous avons du steak de yack acheté à Lhassa par le cuisinier. La sauce d’accompagnement est épicée, aux herbes, mais on distingue quand même le goût brut de la viande, intermédiaire entre celui du bœuf et celui du chevreuil. C’est bon ! Nous sommes servis assiette par assiette avec le chic anglais : la viande est entourée de quelques frites et de quelques légumes verts, décorée de tranches de carottes et de céleri cru. En dessert, nous est servi un gâteau fait ici, sous la tente, probablement à la cocotte minute. C’est une génoise décorée au blanc d’œuf battu en neige. Après la tisane pour se réhydrater, il est vingt et une heure et, comme tous les jours, chacun regagne sa tente pour se coucher. La nuit est tombée il y a deux heures déjà et la fatigue du jour et de l’altitude se fait sentir.

Depuis l’intérieur de la tente, on entend les clarines au cou des mules qui broutent autour des tentes, les cris de la foire au village à 300 m de là, quelques aboiements canins aux ombres qui bougent, et des gouttes de pluie qui tombent sporadiquement. Nous avons bien cru prendre un orage sur la tête tout à l’heure, mais il est parti gronder plus loin, après avoir lâché quelques rafales de vent.

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