En salle depuis le mercredi 7 novembre, Argo, le dernier film de Ben Affleck encourage le constat suivant : Ben Affleck est un bon ! Pour la simple et bonne raison que son troisième film est un très grand film. Une œuvre mature, passionnante, haletante et drôle. Un hommage classieux au cinéma des années 70. Celui de Sidney Lumet et d’Alan J. Pakula. Un long-métrage qui est amené à rester dans les mémoires collectives et qui confirme tout le bien qu’il faut penser de Ben Affleck. Un mec qui revient de très loin et qui a su, par le biais de la réalisation, se racheter une réputation, une image et plus globalement s’offrir une résurrection comme on en voit peu à Hollywood.
Retour sur une carrière caillouteuse…
Ben Affleck et Matt Damon, les deux enfants prodiges
Ben voit le jour le 15 août 1972 en Californie, mais grandit dans l’état du Massachussets. En 1975, vient au monde son frère, Casey, qui se lancera lui aussi dans une carrière d’acteur. Dans la famille, se trouve aussi un certain Matt Damon. Ben et Matt sont des cousins éloignés, mais s’entendent comme des frères (« Si je me réveillais avec une prostituée morte dans ma chambre d’hôtel, Matt (Damon) serait la première personne que j’appellerais. »).
Les débuts de Ben au cinéma sont discrets. Il tourne son premier métrage à l’age de 9 ans, puis apparaît, en 1991, dans le téléfilm, Un papa sur mesure. Non crédité (et ce n’est peut-être pas plus mal) lorsqu’il tourne dans le film Buffy, tueuse de vampires, Affleck arrive néanmoins à véritablement s’imposer dans Génération rebelle de Richard Linklater et dans Les Glandeurs de Kevin Smith, avec lequel il se lie d’amitié. Plus tard, Ben retrouvera Smith, cinq fois, ce qui fait probablement de Ben, l’acteur fétiche de Smith.
Cela dit, au début des années 90, Ben tourne en rond. Ça tombe bien, car Matt Damon aussi. Matt, de son côté, a joué dans Jusqu’au bout du rêve, dans Geronimo de Walter Hill, ou encore dans À l’Épreuve du feu, où il combattait avec une Meg Ryan encore vierge de toute intervention chirurgicale.
À l’époque, Ben Affleck et Matt Damon sont toujours inséparables. Ils ont d’ailleurs tourné ensemble dans Une virée d’enfer, long-métrage de Rich Wilkes, avec notamment Alyssa Milano et Sam Rockwell.
Prenant exemple sur Sylvester Stallone qui, en écrivant le scénario de Rocky, avait réussi à se créer son propre tremplin vers la gloire et les premiers rôles, Ben Affleck et Matt Damon décident de se mettre à table et de coucher sur le papier le script de Will Hunting. Tout comme Stallone, le scénario leur vaudra un Oscar (et un Golden Globes). Le hic, c’est que si tout le monde salue le scénario de Will Hunting et que le film est lui-même un triomphe, c’est Matt Damon qui sort vraiment gagnant de l’entreprise. Lui qui apparaît au premier plan, alors que Ben campe un second rôle. C’est Matt le surdoué qui taille le bout de gras avec Robin Williams. Nous sommes en 1997.
Les deux cousins sont célèbres. On loue leur plume, leurs belles gueules et Hollywood leur promet monts et merveilles. Et c’est effectivement ce qu’il se passe.
Entre 1997 et 2000, Matt Damon est courtisé par Francis Ford Coppola (L’Idéaliste), par John Dahl (Les Joueurs), par Steven Spielberg (Il faut sauver le soldat Ryan), et par Anthony Minghella (Le Talentueux Monsieur Ripley). Soit, que des bons trucs.
Ben Affleck n’a pas autant le nez creux que son pote. Il tourne certes dans le carton intersidéral de Michael Bay, Armageddon, qui lui attire les faveurs des banquiers, mais participe aussi à Phantoms, à Shakespeare in Love et à Un Vent de Folie. Armageddon qui ne vole pas bien haut, mais qui s’avère efficace, entérinant l’image romantico-héroïque de Ben, Phantoms, que tout le monde a oublié, Shakespeare in Love qui, à ce jour, reste l’un des films oscarisé, les plus mauvais de tous les temps et la comédie romantique alcoolisée et à la ramasse, Un Vent de Folie, avec Sandra Bullock.
En 2000, quand ils se retrouvent dans Dogman, Matt Damon et Ben Affleck ne vivent déjà plus sur la même planète. Les personnes qui pensent à eux pour coller leurs trombines sur les affiches de leurs films ne sont pas les mêmes. En gros, Matt Damon incarne le beau mec qui peut tout faire et Ben Affleck, le beau mec qui peut faire le beau mec… et accessoirement sauver le monde entre deux roulages de pelle à Liv Tyler et trois regards en biais à Bruce Willis.
Une question se pose alors :
Le pire ennemi de Ben Affleck ne serait-il pas Matt Damon ?
Une question légitime non pas pour questionner sur le bien fondé de l’amitié entre les deux hommes qui est indéniable, mais sur le fait qu’Affleck ait souvent été comparé à Damon.
Il suffit d’accoler les filmographies des deux hommes pour s’apercevoir à quel point leurs trajectoires diffèrent. Même quand Affleck tourne avec de bons réalisateurs, comme avec Paycheck de John Woo, les résultats sont décevants. Matt Damon lui, se rapproche de George Clooney, connait certes un petit passage à vide (De si jolis chevaux, La Légende de Bagger Vance et cie), il rebondit vite et s’attire toutes les faveurs. Il devient le nouveau James Bond en enfilant les frusques de Jason Bourne dans les trois volets de la saga adaptée de Robert Ludlum, tourne avec Scorsese dans Les Infiltrés, fait un carton avec les Ocean’s, copine avec Steven Soderbergh et s’amuse chez les Farrely (Deux en un).
Ben Affleck lui, a tendance à s’enfoncer dans le rôle du gendre idéal aux trois expressions faciales. Les titres de ses films, à eux seuls, illustrent le marasme qui caractérise alors la carrière le Ben : Un amour infini, Une soirée parfaite, Amours troubles, Famille à louer… Pas besoin d’en rajouter. Affleck touche le fond à plusieurs reprises, comme quand il tourne l’un des pires navets de l’histoire du septième-art, Amours troubles, qui permet aussi à Al Pacino de montrer qu’il n’est pas imperméable à la médiocrité. Une maigre consolation pour Ben, qui se doit de trouver une solution pour faire valoir un talent que tout le monde (ou presque) s’accorde à contester.
À noter que Ben est aussi apparu dans l’une des plus pathétiques adaptations de comics, à savoir l’inénarrable Daredevil…
Ben Affleck et J-Lo
Les fans de South Park se souviennent certainement de cet épisode, où Eric Cartman imite Jennifer Lopez avec sa main, avant que cette dernière ne devienne la cible des avances graveleuses d’un Ben Affleck totalement aux fraises. Un épisode révélateur de la manière dont Hollywood et une large partie du public, perçoivent l’acteur. Connu pour avoir flirté un temps avec Gwyneth Paltrow, Ben créé l’évènement dans les tabloïds le jour où il officialise sa relation avec l’actrice pop-star Jennifer Lopez. Il apparaît même dans un de ses clips, histoire de bien montrer que le mec qui couche avec la Bomba Latina, c’est bien lui et pas un autre.
Jennifer Lopez et Ben Affleck dans Gigli, alias Amours troubles.
Avec J-Lo, Ben tourne donc Amours troubles. Film dont la nullité force le respect. Toute personne ayant réussi à le regarder jusqu’au bout mériterait une médaille. Et peu importe si le film sort entre le très bons Dérapages incontrôlés et le tout à fait respectable Père et fille. Amours troubles donne un coup dévastateur à l’image de Ben qui devient une bête people.
La rupture entre J-Lo et Ben ne suffit pas à détourner de lui les objectifs des paparazzis, qui couvrent allègrement le début de la romance de Ben et de Jennifer Garner, qu’il a rencontré sur le plateau de Pearl Harbor et qui a eu la gentillesse de couler avec lui dans Daredevil. Ben, pour sa part, a carrément accepté de venir faire coucou à sa belle, quand celle-ci accepte de rempiler dans le rôle d’Elektra dans le film éponyme. Son intervention sera coupée au montage mais que nenni, Ben est amoureux et dans l’ombre, il prépare sa résurrection.
Ben Affleck ou l’envol du phœnix !
Comme si cela ne suffisait pas, Ben est depuis le début des années 2000, comparé à son jeune frère, Casey. Casey a beau avoir tourné dans les deux premiers American Pie, il possède une vraie crédibilité arty. Une image solide gagnée par le biais de ses collaborations avec Gus Van Sant (Gerry, avec Matt Damon), Steve Buscemi (Lonesome Jim), ou encore avec Andrew Dominik ( L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford). Quand on souligne l’intensité dramatique et la faculté à se couler dans des rôles extrêmement différents de Casey, on ne peut s’empêcher de critiquer le caractère monolithique de Ben. Casey est en ordre de sainteté à Hollywood, tandis que Ben devient de plus en plus tricard.
Ben et Casey Affleck
Mais Ben est un gentil garçon et la rivalité créée par les médias, il s’en tamponne. Lorsqu’il décide de se lancer dans la réalisation et de porter à l’écran le roman de Dennis Lehane, Gone Baby Gone, c’est son frère qu’il choisit pour incarner le rôle titre. Ben n’apparaît pas dans le film. Il est malin et choisit d’entamer sa seconde carrière dans la discrétion. À Hollywood et ailleurs, tout le monde se prépare à fusiller le film et à tuer dans l’œuf la tentative de Ben. Malheureusement -ou heureusement c’est selon- Gone Baby Gone ne laisse aucune chance à la critique vindicative. Réussite indéniable, il apporte la preuve d’un véritable talent de metteur en scène. Ben aurait-il trouvé sa vraie vocation ? Peu importe la réponse, mais les faits sont là. On souligne la performance, le film est une réussite. Comme Clint Eastwood, Kevin Costner ou Robert Redford avant lui, Ben Affleck prend les devants en lançant ses propres projets et en prenant les commandes.
En 2010, The Town, son deuxième film, enfonce le bouchon. Polar urbain de très haute volée, prenant toujours pied à Boston, la ville de prédilection de Ben, le long-métrage illustre un talent grandissant. Les thèmes abordés sont forts et le sont avec pertinence, sensibilité et parfois brutalité. La maîtrise est exemplaire et cette fois-ci, Ben joue le premier rôle. De manière fort crédible.
Entre Gone Baby Gone, Ben, l’acteur ,refait étape chez Kevin Smith pour une petite apparition dans Clerks 2, s’amuse dans le Mi$e à Prix de Joe Carnahan, fait marche arrière avec Ce que pensent les hommes (mais il y côtoie Scarlett Johansson, donc on le comprend), apparaît dans la sympathique comédie Extract et brille dans le Jeux de pouvoir de Kevin McDonald.
Blake Lively et Ben Affleck dans The Town.
Après The Town, Affleck est impressionnant de sobriété dans Company Men, entérinant la théorie qui affirme que oui, Affleck a toujours eu du talent pour jouer la comédie, mais que non, il n’a pas souvent fait les bons choix.
Quand il est au creux de la vague, Affleck flatte son image de belle bagnole sans rien sous le capot. Il joue les bellâtres dans des films mineurs et s’attire les foudres de la critique.
Pourtant, dans le lot, quelques long-métrages ressortent de manière très significative dans sa filmographie, comme Dérapages incontrôlés ou Hollywoodland. Et ce sans compter les métrages pas terribles où Affleck est plutôt bon.
La résurrection d’Affleck est symptomatique de son habitat naturel, à savoir Hollywood, l’endroit où il est de bon ton de massacrer les stars, pour mieux leur offrir une invitation au come-back par la suite. Tout ceci est très subjectif. Et dans le cas de Ben Affleck, c’est lui et personne d’autre qui a mis le feu aux poudres, en passant derrière la caméra.
Argo, son dernier film (critique ici), va dans ce sens. Argo qui introduit un metteur en scène en pleine possession de ses moyens. Certes, il n’a tourné que trois films (on ne compte pas son premier court-métrage au nom fantastiquement long, I Killed My Lesbian Wife, Hung Her on a Meat Hook, and Now I Have a Three-Picture Deal at Disney). Chacun étant meilleur et plus abouti que le précédent. Dans Argo, Affleck joue aussi au premier plan, au milieu d’acteurs confirmés et reconnus pour leur talent (Alan Arkin, Bryan Cranston, John Goodman…), et brille. Il ne se fait jamais étouffer par le charisme de ses collègues, mais ne donne pas l’impression non plus de tirer en permanence la couverture à lui. Il est discret, mais néanmoins impressionnant au possible.
Le nouveau Ben Affleck
Aujourd’hui, après s’être offert, avec une assurance et une maîtrise exceptionnelle, une nouvelle virginité, Ben Affleck est tout en haut du cirque hollywoodien. Le fait que Terrence Malick l’ait embauché pour figurer au générique de son dernier film, À la merveille, prouve à quel point l’image de l’acteur a changé. Ses réalisations ont prouvé qu’il en avait sous le capot. Un mec qui est capable de sortir des trucs comme The Town ou Argo ne peut qu’être intéressant, si on sait un tant soit peu comment le diriger.
Pendant des années, Ben Affleck a donné l’impression de se laisser gouverner par ce que l’on pensait de lui, et par ses fréquentations (J-Lo, à propos de laquelle il déclara « Avec Jennifer Lopez, je me sentais misérable et vulgaire »). Quand un certain public désirait le voir exploiter sa belle tronche dans des comédies romantiques sans relief, au point de faire de lui une Sandra Bullock au masculin, Ben s’est laissé faire. Jamais bien loin de Kevin Smith qui, heureusement, a ébréché régulièrement ce charisme de pacotille fabriqué par les tabloïds. Il a sombré, mais ne s’est jamais découragé, attendant son heure.
Deux acteurs/réalisateurs de talent : Kevin Costner et Ben Affleck dans Company Men.
Son court-métrage, réalisé en 1993, prouve très tôt l’ambition d’Affleck concernant la mise en scène. Pourtant, Ben a pris son temps. Aujourd’hui mature, il peut se permettre d’aborder des sujets aussi importants que celui de la crise des otages iraniens. Il peut jouer dans Company Men, à savoir l’un des films les plus pertinents jamais réalisés sur les conséquences de la crise, sans pour autant paraître hors-sujet. Il se tient loin des paparazzis et franchement, ces derniers n’ont plus l’air de s’y intéresser vraiment. En couple avec Jennifer Garner depuis un bail, père de famille heureux, il n’a plus rien de palpitant pour ses derniers. Il captive maintenant la critique qui voit en lui (la plupart du temps), un réalisateur à suivre et un acteur qui sait aussi faire les bons choix. Un mec qui s’est longtemps reposé sur ses lauriers, en se spécialisant dans la culture des navets, mais qui a pigé le truc (« J’ai grandi très vite, vous savez. On m’a exploité. On exigeait beaucoup de moi. (…) Cela m’a sans doute un peu bousillé. »). Un mec qui n’a plus à rougir de la comparaison avec son cousin et ami Matt Damon, ni avec son frère Casey. Un mec qui peut prendre parti pour Obama sans s’attirer les foudres du public. Un mec dont le dernier film est produit par George Clooney. Un mec parti pour durer. Un mec sur qui il faut compter.
@ Gilles Rolland