La quête d'authenticité de François Pelosse

Par Titus @TitusFR
"Menaces d'amour", c'est le nom du premier roman signé par François Pelosse aux éditions Le Manuscrit... C'est aussi le nom du blog qu'il a lancé, dans le but d'établir un lien privilégié avec ses lecteurs et où il évoque ses coups de coeur, ses inspirations. Dans l'entretien qui suit, l'auteur analyse notamment sa venue tardive à l'écriture, liée selon lui à une quête d'authenticité...

Titus - François Pelosse, vous avez fêté vos vingt ans en 1968... et c'est quarante ans plus tard que vous publiez votre premier roman. Est-ce que c'est du fait d'une vie professionnelle bien remplie que vous avez tant tardé ?
Comme beaucoup de gens de ma génération (on en a presque honte aujourd’hui), j’ai eu la chance d’accéder à une vie professionnelle — et personnelle aussi — à la fois bien remplie et terriblement heureuse, parce que facile et ascendante. Fils unique d’une famille modeste, je suis né malgré tout « le cul dans le beurre » comme on dit, de parents qui avaient, eux, surtout connu la margarine avant ma naissance. C’est vous dire l’espérance dans laquelle mes géniteurs m’enveloppèrent.
Titus - Dans quel milieu avez-vous grandi ?
J’ai été élevé dans ces valeurs d’honnêteté, de travail, de gentillesse et d’amour désintéressé qui constituaient la fierté de la « classe ouvrière » du siècle précédent, valeurs qu’il me fallait pratiquer au quotidien, sous peine de coups de pieds au cul bien compris. Ca vous marque ça ! Et puis c’est vrai, l’ascenseur social fonctionnait (oh ! un peu, faut rien exagérer). J’ai migré comme ça de mon modeste collège de banlieue vers un lycée plus prestigieux où j’ai découvert les enfants de la bourgeoisie, leurs us et coutumes, les appartements haussmanniens et les résidences secondaires. Puis je m’en suis allé avec eux vers l’enseignement supérieur, sans entrave ni obligation, avec cette conviction collective de l’époque que le monde des trente glorieuses allait tout permettre. Et puis, vous l’évoquez, ce fut le beau mois de mai 1968 ! Nos « vieux » nous avaient transmis les recettes du bonheur, faut dire enveloppées d’un sacré carcan. Et nous les « merdeux » en nombre d’après-guerre, nous avions grandi. Nous étions devenus des jeunes cons bien bâtis, capables de répondre au père : "Ta gueule vieux con !". Une première ! Alors on a lancé des pavés, puis balancé au feu joyeux des bagnoles cramées rue Gay-Lussac, à la fois le bon et le mauvais de ce qu’on nous avait légué. On s’est mis à marcher à l’interdiction d’interdire et aux utopies, dont nos brillants aînés et philosophes imbéciles du Café de Flore s’étaient bien gardé de nous dire qu’elles débouchaient sur le goulag...
Titus - Professionnellement, quel fut votre parcours ?
Vite lassé de tout ça, j’ai décliné comme beaucoup les moutons en Ardèche et la baise collective pour embarquer à bord de l’ascenseur, professionnel cette fois. Cadre, cadre sup, cadre de direction, dirigeant, j’ai vite déménagé des quartiers populaires pour une banlieue chic et les années fric m’ont pollué. Peu à peu, cette vie très active dont je ne ressentais que les bienfaits matériels, m’a à mon insu un peu rongé de l’intérieur : plus beaucoup de temps pour autre chose que le boulot, la consommation un rien ostentatoire et l’exercice convenu des mondanités petites bourgeoises. Bref, sans rien renier, j’ai commencé à comprendre, qu’à l’heure où blanchissait la campagne au dessus de mon crâne, il était temps de le remplir de choses plus authentiques. Alors pourquoi pas écrire, au lieu de jouer au golf ?, me suis-je dit…
Titus - Comment expliquez-vous cette venue tardive à l'écriture ? On devine, à vous lire, que cette passion d’écrire n'est pas nouvelle car votre écriture ne manque pas de style. Quelqu'un vous a-t-il encouragé à passer à la vitesse supérieure ?
Comme dit Russell Banks dans la promo récente de son dernier bouquin : « Avant d’écrire il faut apprendre à lire ». Et c’est vrai qu’après des études exclusivement consacrées à l’économie et à la gestion, je n’avais pas «lu» grand chose. Mais par chance, je fus contraint quelques années plus tard à la vraie lecture, seul moyen de séduire une fille de rêve, hélas pour moi lettrée. J’ai été récompensé de mes efforts et goûté aux délices de l’une comme de l’autre ; et même si comme toutes passions, ces deux-là se sont émoussées, elles m’ont à jamais marqué. Pourtant de la lecture à l’écriture il y a encore un long chemin à parcourir. Il y a cet élan à trouver qui ne peut venir que du fond de soi-même. Et là, disons qu’il m’a fallu du temps pour aller chercher de ce côté.
Titus - L'histoire de votre premier roman vous est paraît-il venue lors d'un séjour à New York. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Oui… Vous avez sans doute remarqué comment souvent ce qui couve en nous a besoin d’un lieu ou d’un moment hors norme pour éclore. Bizarrement, et même si j’y ai maintenant quelques repères, New York reste pour moi un ailleurs qui me transporte hors de moi-même quand j’y suis. Chaud et froid, bruit et silence, foule et solitude, misère et richesse, beauté et laideur, New York est par excellence l’endroit des extrêmes à vous brûler les nerfs. Comme ces déserts aux paysages fantasmagoriques et aux personnages étranges, c’est un lieu propice aux mirages. Dieux et chimères peuvent tout à coup se révéler à l’imagination survoltée. Et ce fut le cas. C’est bien ainsi que le personnage de Béatrice, qui sans doute sommeillait en moi depuis longtemps, s’est échappé un soir de mon cerveau. Comme l’esprit sortant de la lampe d’Aladin, elle a subitement envahi ma chambre au 33° étage ; puis dans un silence ouaté, à peine altéré par le chuintement de la clim, elle m’a bafouillé son histoire. Avais-je rêvé ?
Titus - Parlez-nous justement de votre héroïne, Béatrice...
Disons qu’elle est le type classique du héros, un personnage dont on a envie d’écrire l’histoire justement parce qu’il se révèle, de façon inattendue, sous la pression d’événements extraordinaires. Il y déjà là, matière à histoire : l’évolution psychologique du personnage, la mise en scène de circonstances hors normes. Ca, c’est la première partie du bouquin. Mais ce qui m’intéressait, c’était aussi et surtout de voir ce que devient un héros une fois sorti de son exploit. En quoi cela change-t-il son destin et que devient-il ? Béatrice, en ce sens, fait l’apprentissage d’une révolution, qui veut dire à la fois bouleversement profond et tour sur soi-même, pour revenir à la case départ. Mais je n’en dirai pas plus… Quant à savoir si Béatrice c’est moi, j’éviterai de répondre, question trop intime. Tiens d’ailleurs, à ce propos, la Bovary c’était lui ? On dit que non !
Titus - Parmi les auteurs qui vous inspirent, j'ai relevé les noms de Dostoïevski, Blaise Cendrars, Flaubert et Céline. Quels rôles ces auteurs ont joué dans votre propre développement littéraire ?
Un rôle énorme, constant. C’est dans mes périodes d’écriture que je lis aussi le plus. Je fais appel aux maîtres, comme à des experts et pour qu’ils me disent ce qu’ils pensent de ce que je fais, j’en relis des passages. Je suis ainsi sous leur influence. Attention, je reste le boss tout de même ; ils m’éclairent mais je décide en dernier ressort. C’est pour ça que ma prose n’atteint pas la leur. Mais bon ! Disons que j’avance mon chemin à l’ombre des leurs. Ainsi, pour moi, écrire c’est aussi et peut-être surtout apprendre à mieux lire encore. Ce sera ça sans doute mon plus grand succès littéraire.
Titus - On vous devine amateur de romans policiers... Avez-vous des auteurs fétiches au sein de cette production qui s'est beaucoup développée ?
Paradoxalement, je n’aime pas trop le roman policier en soi, centré soit sur le crime façon « L’affaire machin ! » soit sur le policier lui-même façon « les enquêtes du commissaire Chose ». Je préfère le roman qui relate une histoire policière « par accident », si je puis dire. Celles dans laquelle des personnages sont jetés au hasard de leur vie dans des situations particulières et défavorables, et tentent de s’en sortir. Ainsi, je n’ai pas d’auteur fétiche, mais plutôt des romans que j’ai aimés, plus ou moins soft, plus ou moins hard : « Lettre à mon juge » de Georges Simenon, « Nécropolis » d’Herbert Lieberman, « Ville noire, ville blanche » de Richard Price, « Putain de cargo » d’Eric Legastelois, « Génésis » de John Case, et d’autres encore.
Titus - Le polar est devenu un style à la mode mais la production est parfois assez inégale. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Le polar ne peut être que de production inégale, d’abord parce que toute production créative est à la source de qualité inégale. Si nous devions nous infuser tout ce qui s’est édité et lu dans les siècles passés, on constaterait la même inégalité. Mais c’est aussi parce qu’au départ, le polar est un genre qui ne se veut pas littéraire. Il y a en lui un côté populaire, rebelle, qui s’oppose à la culture savante, comme il y a une musique populaire. On dit que Colette conseillant le jeune Simenon lui recommande, pour réussir, d’abandonner toute velléité de faire littéraire justement. Car dans le pur polar, l’écriture n’est pas une fin en soi mais le moyen d’atteindre le lecteur au plus court, par la sensation. Il vise ni le cœur, ni la raison, il tape au foie, direct. Il faut ainsi l’apprécier pour ce qu’il est, et non pour ce que des critiques « littéraires » voudraient qu’il soit. A contrario, certains jeunes auteurs, aux qualités littéraires encore mal assurées, se rangent sans doute sous l’étiquette polar pour éviter les fourches caudines des gardiens d’un temple.
Titus - Qu'est-ce qui fait à votre avis votre originalité dans ce domaine ?
L’originalité (s’il y en a une), c’est justement de rester dans la recherche d’une qualité par essence narrative. D’éviter de faire le malin, de faire « style », sans pour autant me refuser d’introduire quelques passages dans lesquels la forme est un peu plus recherchée. Comme le comique nous transporte une seconde au bord des larmes, j’aimerais conduire le lecteur, par instants, juste au bord de la littérature…
Titus - Quelles ont été jusqu'ici les réactions de votre lectorat ?
Plutôt enthousiastes et donc encourageantes. Notamment parce que le personnage de Béatrice accroche le lecteur et, en contrepoint, le personnage de Vallon. Quand certains me disent être déçus de ne pas les voir à la fin former un couple, je me réjouis : j’ai tapé au foie, pas au cœur ! Et puis les lecteurs aiment bien que je les balade dans des endroits inattendus, comme les Balkans ou les paradis fiscaux. Ce sont des lieux réels à la perception un peu irréelle. (Vous voyez, on revient à mes impressions new-yorkaises).
Titus - Comme beaucoup d'auteurs, vous avez créé votre propre blog "Menaces d'amour" . Quelle était votre intention première : publicité ou établissement d'un lien privilégié avec vos lecteurs ?
C'est clair ! Je souhaitais établir un lien avec des lecteurs...
Titus - Est-ce aujourd'hui une nécessité d'être présent sur la toile, pour un auteur ?
La révolution internet et ses modes de fonctionnement de type Web 2.0 sont en marche. Des communautés, des intermédiations littéraires aux formes jusqu’ici inconnues se constituent. Concernant les éléphants habitués des gros tirages, ce sont leurs maisons d’édition qui, pour l’instant, se chargent d’apprendre ce qu’est le Web marketing et le blog marketing. Mais je pense que cela va aller plus loin encore et que, comme dans d’autres secteurs, les modes d’édition classiques feront, dans une certaine mesure, place à des relations directes entre les œuvres et les lecteurs. Et tout cela m’intéresse évidemment autant que de vendre mon bouquin via un éditeur, même s’il est présent sur la toile.
Titus - Après la publication de ce premier roman, avez-vous d'autres projets d'écriture ?
Oui, un deuxième bébé est en route. Sans être une suite de « Menaces d’amour », disons que les deux histoires se raccordent. Mais on change de sujet, d’univers, pour aller cette fois vers cette grande pagaïe qu’introduisent entre le cerveau et le sexe les nouvelles capacités technologiques de mêler réel, virtuel et imaginaire. Le tout sur fond de mondialisation et de sociétés aux sources d’énergie en déconfiture…
(Photos : DR)
PRATIQUE
"Menaces d'amour" (458 pages) aux Editions Le Manuscrit. En vente chez tous les libraires en ligne au prix de 29,45 €. L'éditeur propose également une version PDF téléchargeable au prix de 7,90 €.