Titus - François Pelosse, vous avez fêté vos vingt ans en 1968... et c'est quarante ans plus tard que vous publiez votre premier roman. Est-ce que c'est du fait d'une vie professionnelle bien remplie que vous avez tant tardé ?
Comme beaucoup de gens de ma génération (on en a presque honte aujourd’hui), j’ai eu la chance d’accéder à une vie professionnelle — et personnelle aussi — à la fois bien remplie et terriblement heureuse, parce que facile et ascendante. Fils unique d’une famille modeste, je suis né malgré tout « le cul dans le beurre » comme on dit, de parents qui avaient, eux, surtout connu la margarine avant ma naissance. C’est vous dire l’espérance dans laquelle mes géniteurs m’enveloppèrent.
Titus - Dans quel milieu avez-vous grandi ?
Titus - Professionnellement, quel fut votre parcours ?
Vite lassé de tout ça, j’ai décliné comme beaucoup les moutons en Ardèche et la baise collective pour embarquer à bord de l’ascenseur, professionnel cette fois. Cadre, cadre sup, cadre de direction, dirigeant, j’ai vite déménagé des quartiers populaires pour une banlieue chic et les années fric m’ont pollué. Peu à peu, cette vie très active dont je ne ressentais que les bienfaits matériels, m’a à mon insu un peu rongé de l’intérieur : plus beaucoup de temps pour autre chose que le boulot, la consommation un rien ostentatoire et l’exercice convenu des mondanités petites bourgeoises. Bref, sans rien renier, j’ai commencé à comprendre, qu’à l’heure où blanchissait la campagne au dessus de mon crâne, il était temps de le remplir de choses plus authentiques. Alors pourquoi pas écrire, au lieu de jouer au golf ?, me suis-je dit…
Titus - Comment expliquez-vous cette venue tardive à l'écriture ? On devine, à vous lire, que cette passion d’écrire n'est pas nouvelle car votre écriture ne manque pas de style. Quelqu'un vous a-t-il encouragé à passer à la vitesse supérieure ?
Titus - L'histoire de votre premier roman vous est paraît-il venue lors d'un séjour à New York. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Oui… Vous avez sans doute remarqué comment souvent ce qui couve en nous a besoin d’un lieu ou d’un moment hors norme pour éclore. Bizarrement, et même si j’y ai maintenant quelques repères, New York reste pour moi un ailleurs qui me transporte hors de moi-même quand j’y suis. Chaud et froid, bruit et silence, foule et solitude, misère et richesse, beauté et laideur, New York est par excellence l’endroit des extrêmes à vous brûler les nerfs. Comme ces déserts aux paysages fantasmagoriques et aux personnages étranges, c’est un lieu propice aux mirages. Dieux et chimères peuvent tout à coup se révéler à l’imagination survoltée. Et ce fut le cas. C’est bien ainsi que le personnage de Béatrice, qui sans doute sommeillait en moi depuis longtemps, s’est échappé un soir de mon cerveau. Comme l’esprit sortant de la lampe d’Aladin, elle a subitement envahi ma chambre au 33° étage ; puis dans un silence ouaté, à peine altéré par le chuintement de la clim, elle m’a bafouillé son histoire. Avais-je rêvé ?
Titus - Parlez-nous justement de votre héroïne, Béatrice...
Titus - Parmi les auteurs qui vous inspirent, j'ai relevé les noms de Dostoïevski, Blaise Cendrars, Flaubert et Céline. Quels rôles ces auteurs ont joué dans votre propre développement littéraire ?
Un rôle énorme, constant. C’est dans mes périodes d’écriture que je lis aussi le plus. Je fais appel aux maîtres, comme à des experts et pour qu’ils me disent ce qu’ils pensent de ce que je fais, j’en relis des passages. Je suis ainsi sous leur influence. Attention, je reste le boss tout de même ; ils m’éclairent mais je décide en dernier ressort. C’est pour ça que ma prose n’atteint pas la leur. Mais bon ! Disons que j’avance mon chemin à l’ombre des leurs. Ainsi, pour moi, écrire c’est aussi et peut-être surtout apprendre à mieux lire encore. Ce sera ça sans doute mon plus grand succès littéraire.
Titus - On vous devine amateur de romans policiers... Avez-vous des auteurs fétiches au sein de cette production qui s'est beaucoup développée ?
Titus - Le polar est devenu un style à la mode mais la production est parfois assez inégale. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Le polar ne peut être que de production inégale, d’abord parce que toute production créative est à la source de qualité inégale. Si nous devions nous infuser tout ce qui s’est édité et lu dans les siècles passés, on constaterait la même inégalité. Mais c’est aussi parce qu’au départ, le polar est un genre qui ne se veut pas littéraire. Il y a en lui un côté populaire, rebelle, qui s’oppose à la culture savante, comme il y a une musique populaire. On dit que Colette conseillant le jeune Simenon lui recommande, pour réussir, d’abandonner toute velléité de faire littéraire justement. Car dans le pur polar, l’écriture n’est pas une fin en soi mais le moyen d’atteindre le lecteur au plus court, par la sensation. Il vise ni le cœur, ni la raison, il tape au foie, direct. Il faut ainsi l’apprécier pour ce qu’il est, et non pour ce que des critiques « littéraires » voudraient qu’il soit. A contrario, certains jeunes auteurs, aux qualités littéraires encore mal assurées, se rangent sans doute sous l’étiquette polar pour éviter les fourches caudines des gardiens d’un temple.
Titus - Qu'est-ce qui fait à votre avis votre originalité dans ce domaine ?
L’originalité (s’il y en a une), c’est justement de rester dans la recherche d’une qualité par essence narrative. D’éviter de faire le malin, de faire « style », sans pour autant me refuser d’introduire quelques passages dans lesquels la forme est un peu plus recherchée. Comme le comique nous transporte une seconde au bord des larmes, j’aimerais conduire le lecteur, par instants, juste au bord de la littérature…
Titus - Quelles ont été jusqu'ici les réactions de votre lectorat ?
Plutôt enthousiastes et donc encourageantes. Notamment parce que le personnage de Béatrice accroche le lecteur et, en contrepoint, le personnage de Vallon. Quand certains me disent être déçus de ne pas les voir à la fin former un couple, je me réjouis : j’ai tapé au foie, pas au cœur ! Et puis les lecteurs aiment bien que je les balade dans des endroits inattendus, comme les Balkans ou les paradis fiscaux. Ce sont des lieux réels à la perception un peu irréelle. (Vous voyez, on revient à mes impressions new-yorkaises).
Titus - Comme beaucoup d'auteurs, vous avez créé votre propre blog "Menaces d'amour" . Quelle était votre intention première : publicité ou établissement d'un lien privilégié avec vos lecteurs ?
C'est clair ! Je souhaitais établir un lien avec des lecteurs...
Titus - Est-ce aujourd'hui une nécessité d'être présent sur la toile, pour un auteur ?
Titus - Après la publication de ce premier roman, avez-vous d'autres projets d'écriture ?
Oui, un deuxième bébé est en route. Sans être une suite de « Menaces d’amour », disons que les deux histoires se raccordent. Mais on change de sujet, d’univers, pour aller cette fois vers cette grande pagaïe qu’introduisent entre le cerveau et le sexe les nouvelles capacités technologiques de mêler réel, virtuel et imaginaire. Le tout sur fond de mondialisation et de sociétés aux sources d’énergie en déconfiture…
(Photos : DR)
PRATIQUE
"Menaces d'amour" (458 pages) aux Editions Le Manuscrit. En vente chez tous les libraires en ligne au prix de 29,45 €. L'éditeur propose également une version PDF téléchargeable au prix de 7,90 €.