Russell Westbrook et Kevin Durant, le feu et la glace

Publié le 09 novembre 2012 par Insidebasket @insidebasket
Le débat est vieux comme le monde. D'accord, on exagère. Mais depuis la montée en puissance de Russell Westbrook et de celle du Thunder, la question se pose inlassablement : les deux peuvent-ils fonctionner correctement ensembles ? Cette interrogation peut pourtant paraître saugrenue. Comment deux joueurs qui n'arriveraient pas à jouer ensembles auraient-ils pu emmener leur équipe d'abord en finale de conférence contre Dallas (2011) puis en finale NBA contre le Heat (2012) ?
Les styles de jeu de ces deux jeunes joueurs semblent pourtant diamétralement opposés. Kevin Durant, le soyeux scoreur, capable de shooter du vestiaire avec efficacité, au jeu très propre, qui ne force que rarement un tir, mais qui a besoin d'être mis sur orbite, ce qui n'enlève rien à ses autres capacités (capable de se créer un tir n'importe quand, et meilleur passeur ces derniers mois). De l'autre, le pétard ambulant comme dirait Jacques Monclar. Mais un pétard grand luxe. Une bombe physique capable d'exploser à tout moment, dans les deux sens du terme. Combien de joueurs seraient capables de claquer 43pts à 20/32 aux tirs face à la défense du Heat en finale NBA ? Ils se comptent sur les doigts d'une main. Mais combien d'entre eux enchaîneraient avec un match à 4/20 aux tirs le lendemain ? Là est tout le paradoxe Westbrook.
Arrière reconverti meneur, Westbrook ne cesse de prendre plus d'épaisseur dans le collectif du Thunder, au fur et à mesure que les années passent. Et si jusque-là, Kevin Durant (le vrai patron de l'équipe, gardons bien cela à l'esprit) arrivait encore à prendre plus de tirs que Westbrook (19.7 contre 19.2 en moyenne l'an dernier), la tendance s'est inversée cette année. Westbrook tente en moyenne 19.4 fois sa chance (à 37%), alors que Durant ne shoote que 15.8 fois en moyenne sur les cinq premiers matchs. Un chiffre historiquement bas pour celui qui est considéré comme le meilleur scoreur pur de la planète.
Du côté de la franchise du Thunder, il n'y a officiellement jamais eu de problème. Les rumeurs d'un échange avec Rajon Rondo ont été balayées d'un revers de la main en décembre dernier. Le Thunder n'a pas hésité à prolonger Westbrook au contrat maximum, là où d'autres ont eu moins de chance. Il en va de même pour les joueurs, Kevin Durant indiquant même lors des derniers playoffs que le Thunder n'était jamais plus fort que lorsque Westbrook était agressif. Dans ce contexte, être agressif signifie shooter, driver, créer, malheureusement plus souvent pour lui, que pour les autres.
Autre problème désormais au Thunder. Entre ces deux phénomènes, il y avait jusque-là un régulateur nommé James Harden. Le départ de ce dernier a placé les deux stars devant leurs responsabilités. Mais là où Kevin Durant a pensé qu'il devait compenser le déficit en création que le départ du barbu avait créé, Russell Westbrook s'est senti devoir shooter encore plus pour compenser le manque de scoring. Une réaction étrange, sachant que Kevin Martin, le substitut de Harden remplit parfaitement son rôle jusque-là. On se trouve donc avec un Durant plus passeur, moins scoreur, et un Westbrook encore plus "agressif".
Depuis le début de cette saison, le Thunder a lâché deux matchs. Les stats de Westbrook ces jours-là ? 18pts à 6/21 contre San Antonio (9/18 et 23pts pour Durant sur un temps de jeu plus important) et 14pts à 5/18 contre Atlanta (22pts à 7/17 pour Durant, encore sur un temps de jeu supérieur).
Hier face aux Bulls, Kevin Durant a réglé le money time avec classe. Il termine à 24pts à 11/19 aux tirs. Pendant ce temps, Russell Westbrook alignait péniblement 16pts à 7/22. Certes, cela ne reste que des chiffres de début de saison. Mais cela ne semble pas être des chiffres issus de deux joueurs à la hiérarchie bien établie.
Interrogé sur le match de son compagnon, Russell Westbrook offrait une analyse plutôt étonnante dans le journal local, The Oklahoman.
"Je crois que Kevin joue simplement son jeu. Il laisse le jeu venir à lui. Chacun a une personnalité différente. Kevin est le gars décontracté. Tout le monde sait que moi, je suis le dingue. Mon job est donc de jouer mon rôle et le sien, de se relaxer.
C'était son heure (le money time). Tout le monde sait que c'est son moment. Il a pris son temps et a trouvé les shoots dont il avait besoin."

Inutile donc d'espérer un quelconque changement de style de jeu dans les prochains mois pour Russell Westbrook. Pour caricaturer, on pourrait penser que Westbrook joue les chien-fous pendant la majeure partie de la rencontre, tandis que Kevin Durant attend sagement le money time pour exécuter l'adversaire. Une drôle de manière d'utiliser l'un des deux meilleurs joueurs du monde à l'heure actuelle.
Westbrook devrait donc continuer de jouer avec le peu de discernement qui le caractérise. Servi par des qualités physiques surnaturelles, il peut à tout moment sortir des exploits qui feront de lui le héros des highlights le lendemain matin. Quand arrivera le moment de gagner les matchs en revanche, Kevin Durant entrera en scène. Un partage des rôles qui, une fois encore, semble convenir à tout le monde. Pourquoi donc Westbrook se priverait-il ?
Il ne sera jamais un passeur naturel. Il a certes compilé 12pds hier, et tourne à presque 7pds en carrière. Mais son instinct restera toujours celui du scoreur. Comme d'autres dans la ligue (Derrick Rose par exemple, ou Tony Parker au début de sa carrière, par exemple). Seulement ces deux exemples sont très différents. Rose est le go-to-guy des Bulls, et Parker a compris rapidement (sans quoi il n'aurait pas fait la carrière qu'il mène actuellement) que le patron des Spurs s'appelait Tim Duncan. Sans parler de son évolution au fil des années, car les deux autres n'en sont pas encore là, dans leur carrière respective. Malgré ses belles paroles, Westbrook comprend-il vraiment que le boss du Thunder s'appelle Durant ?
On ne dira jamais assez quel joueur sensationnel est Kevin Durant. Avec le Thunder, avec Team USA en compétition internationale, il domine le jeu comme de joueurs en sont capables. Mais on ne nous empêchera pas de penser qu'il serait un peu plus monstrueux encore, avec un vrai meneur de jeu à ses côtés. Ce type de joueur que ne sera jamais Westbrook. Tant que le Thunder ne connaîtra pas de vraie déception collective (l'excuse de la jeunesse tient encore jusque-là), ce style-là ne sera pas remis en cause par le front office. Pourquoi le serait-il, il fonctionne. Mais fonctionnera-t-il jusqu'au Graal ? Seul l'avenir le dira.