Par Bernard Vassor
Le 5 décembre 1865, les frères Jules et Edmond Goncourt sont au Théâtre Français pour assister à la première de leur pièce "Henriette Maréchal". les siamois s'étaient bien promis dans la journée que si ils voyaient, vers la fin de la pièce l'enthousiasme aller trop loin, ils fileraient bien vite pour ne pas être trainés en triomphe sur le théâtre !
"Les corridors sont pleins. Il y a comme une grande émotion bavarde dans tout ce monde. Nous attrapons au vol des mots, des rumeurs de bruits : -On a cassé des barrières à la queue"
Arrivés dans les coulisses, ils tentent de voir dans la salle à travers le trou du rideau, mais ne peuvent que distinguer qu'une sorte d'éblouissement d'une foule très éclairée. Ils n'entendent pas les trois coups; le rideau se lève, et avant que les comédiens n'aient placés un mot on entend : "un sifflet, deux sifflets, trois sifflets une tempête à laquelle répond un ouragan de bravos". Le premier acte est sans cesse interrompu par des cris hostiles suivis de la claque en réconfort. Le rideau se baisse en attendant le deuxième acte qui reprend sous des cris d'animaux singeant les acteurs et des sifflets de rage. Jusqu'à la fin de la pièce, ce ne seront que des interruptions bruyantes, laissant les acteurs sans voix.
Dépités, Jules et Edmond vont souper à la Maison d'Or en compagnie de Flaubert, de Bouilhet, Pouthier et d'Osmoy.
Maintenant, une énigme non encore résolue se présente à nous : d'où provient cette cabale, si cabale il y a ? Le beau site des Amis des frères Goncourt a consacré un important dossier à ce sujet, évoquant différentes hypothèses fondées ou infondées.
Nous pouvons cependant soulever d'autres questions concernant la participation de Georges Cavalier, surnommé par Jules Vallès selon lui "Pipe en bois". Mais certains étudiants du quartier latin prétendirent l'avoir déjà affublé de ce surnom bien avant !
Sa présence lors de la première est contestée, seul Jules Vallès (d'après moi,) a attesté sa présence ce jour là. Deux jours plus tard, cinq jeunes gens : Charles Dupuy,, futur rédacteur de la Gazette de France, Duchaylar qui devint préfet, et Toinet de la Turmelière fils du député du même nom, déclarèrent avoir sifflé parce que ils étaient mal placés, parce que la pièce les ennuyait et surtout parce que les amis des auteurs manifestaient bruyamment. Il y eut des bagarres dans les couloirs. Quelques siffleurs se rendirent au journal de Villemessant, l'Evènement pour lui demander l'insertion d'un article en réponse aux attaques dont ils avaient été l'objet de la part des amis des Goncourt.
En bon journaliste, Villemessant questionna ses visiiteurs et leur demanda si ils connaissaient des personnage curieux du quartier latin. Parmi une liste de nom, celui de Pipe en Bois attira l'attention du marquis qui obtint de Albert Wolff de faire une chronique dans laquelle il attriburait une part de l'action perturbatrice au Français.
La légende Pipe en Bois était née.
Le lendemain, Georges Cavalier écrivit une lettre humoristique au journal, ne refusant pas la paternité de la campagne menée contre la pièce. D'autant plus qu'un faussaire facétieux faiseur, avait publié sous le pseudonyme de Pipe en Bois, une brochure qui obtint un succès fulgurant. Cavalier en réclama donc les droits d'auteur. Ce n'est que le 23 décembre que le "Journal des Goncourt" mentionne le nom de Pipe en Bois (sans trait d'union s'il vous plait). La pièce avait été arrêtée après 5 représentations le 15 décembre.
Le critique Henri Pessard écrit dans son journal : "La vérité est que Cavalier n'assistait pas à (la première) cette pièce". Mais il fut sans doute selon Vallès le premier à applaudir dans les représentations suivantes. Les siffleurs étaient des jeunes étudiants furieux d'avoir fait la queue et de ne pas avoir obtenu au bureau les places qu'ils convoitaient pour se retrouver au Paradis.
Il reste d'autres pistes que je n'ai pas encore explorées.
Georges Cavalier fut ensuite très impliqué dans la Commune de Paris et joua un rôle de conseiller, en tant qu'ingénieur et polytechnicien,
de la démolition de la Colonne Vendôme. Notons qu'au moment précis de la démolition, Edmond était assis sur un banc au jardin des Tuileries à une cinquantaine de mètres à vol d'oiseau de son ennemi juré....
A suivre donc