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Amour

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Amour

Deux Palmes d’or en trois ans, c’est peu dire que Michael Haneke a ses entrées privées au Festival de Cannes et qu’il est un ultra-privilégié dans la sphère cinématographique. Beaucoup loue la haute qualité artistique de son cinéma et Amour ne veut pas échapper à la règle.

Ce dernier métrage du cinéaste autrichien est fort. Le générique du début et l’introduction sont d’une froideur incommensurable et laisse d’emblée entrevoir, comme une profession de foi, le pouvoir d’Amour. Absence totale de musique, un lettrage blanc sur fond noir d’une simplicité désarmante, un grand appartement vide, des pompiers en train de forcer des portes, un corps inerte. Plus qu’un aspect morbide avec cette vision mortuaire, c’est la construction du motif de l’absence qui arrive au spectateur. Absence d’une émotion préfabriquée, tout d’abord. Seuls la mise en scène, le scénario et les acteurs font faire communiquer les émotions. Cela tombe sous le sens convenu mais force est de reconnaître que la bande originale joue un rôle prépondérant d’accompagnement dramatique. Ici, en tant que musique de fosse, celle-ci ne sera pas là pour suggérer ou montrer, cela dépend ce que chacun met comme résonance derrière ce procédé, ce que le spectateur devra ressentir. Il n’y a que les morceaux joués à l’écran, au piano, en disque, en concert, qui sont présents. Le propos est d’inscrire non seulement l’art dans le parcours des personnages afin de les caractériser, un couple lettré et à l’aise financièrement et socialement, mais surtout de simplifier la représentation cinématographique pour être au plus près de la réalité des protagonistes. Les autres dispositifs formels se rajoutent aisément à ce discours. A ce titre, la réalisation pure est d’une sécheresse inouïe. Les cadres sont précis quand ils rendent honneur à la géométrie et aux décors de l’appartement, les mouvements de caméra rares et discrets sont au service de la perte et l’échelle des plans ne veut pas rentrer pas dans le vif physique du sujet. La caméra sait, en fait, rester globalement à bonne distance pour qu’un maximum de pudeur innerve le film. Si les échappatoires se font absentes grâce à ce système de représentations, c’est bien évidemment pour montrer la condition moderne de la vieillesse, nous y reviendrons, mais surtout pour montrer que l’émotion peut être saine car d’une simplicité désarmante quand elle n’est pas soumise aux gros artifices dictatoriaux. Michael Haneke a voulu que cet Amour soit tendu et sec pour qu’il soit le plus fort possible. La démarche peut paraître certes brutale mais elle s’avère nécessaire.

Amour est rare dans le sens où il exploite des territoires peu vus au cinéma. C’est un drame gériatrique et c’est l’absence de sortie physique qui se rajoute au projet du film. La difficulté de se mouvoir, de se coucher, d’aller aux toilettes, de lire, la solitude prenante et pesante de chacun quand l’Autre commence à partir, les querelles avec les proches qui n’arrivent pas à comprendre, le ras-le-bol d’assister à la déchéance humaine sont autant de thématiques que le film embrasse avec bonheur et qu’il regarde les yeux dans les yeux, avec pudeur donc mais surtout sans tabou. Les protagonistes sont condamnés dans leurs vieillesses respectives et le spectateur de se rendre compte du drame contemporain de la vieillesse dans notre société. Rarement le cinéma était allé aussi loin dans cette voie. Pour nous faire vivre cette dernière aventure, il fallait des acteurs au sommet et ils sont admirables. Jean-Louis Trintignant est d’une immense pudeur quand Emmanuelle Riva fait ressortir une dignité et un courage de tous les instants. Il n’y a qu’à voir la façon désorientée de fumer une cigarette ou la scène d’une douche donnée par une tierce personne pour se rendre compte qu’ils sont touchés par la grâce. Plus que par leurs indéniables qualités qui ne faisaient de doutes à personne ou par la direction d’un Michael Haneke concerné, c’est bien par une description du quotidien que le film brille, permettant ainsi un tel ballet de comédiens indéniablement volontaires. Grâce à leur faculté à sonner juste, les dialogues sont, ici, le nerf de la guerre. S’ils arrivent à tirer le meilleur du couple, ils servent également à nous plonger au cœur des préoccupations des protagonistes. Avec ce refus du spectaculaire mais avec cette simplicité comme si ce film pouvait se vivre à tout moment et à tout endroit, les actions nous mettent tous sur un pied d’égalité quant à cette condition. C’est une façon de viser à l’universalité et de montrer que cette histoire, c’est celle des millions d’autres personnes et qu’elle peut toucher chacun d’entre nous. D’artistique, le film change alors de statut. Il devient citoyen.

Tous ces éléments appelleraient à qualifier Amour de chef d’œuvre. Oui mais voilà, la sauce ne prend pas et un malaise s’installe. Malgré les indéniables qualités que le film offre, il a un énorme défaut. C’est Michael Haneke. Loin de là une quelconque pensée négative sur les compétences prouvées et approuvées du cinéaste, il faut d’abord réfléchir en terme d’intégrité. Amour est, en fait, trop beau pour être vrai. Certains choix comme le cauchemar de Georges sous haute influence du cinéma fantastique japonais fin 90’ / Début 00’, la figure du pigeon, démarche intellectualiste maladroite tellement elle pêche par son évidence que réellement utile ou la fin qui veut clairement choquer, sont manifestes de la démarche du cinéaste. Mal déguisées dans l’ensemble, venant comme des cheveux sur la soupe, trop appuyées dans leur ponctualité, ces séquences trahissent un Michael Haneke malhonnête qui ne veut pas élever mais rabaisser tant le spectateur se retrouve de fait en dehors de la simplicité quotidienne et universelle revendiquée tout au long du métrage. On le sait, le réalisateur aime à parler de manipulation. Cette thématique constante et traitée de manière plurielle dans son cinéma lui a permis de donner des objets forts et dérangeants qui mettent réellement le spectateur mal à l’aise. Mais qui dit manipulation dit également images. Comme ne pas voir alors dans Amour un exemple type de la propre argumentation du réalisateur ? Ici, ce ne sont les personnages qui actent cette manipulation, ce sont bien les spectateurs, comme si la fiction était passée à la réalité. Cette dernière livraison montre finalement que le réalisateur autrichien veut s’acheter des consciences intellectuelle (« je sais penser »), émotionnelle (« je sais attendrir » ), critique et institutionnelle (« je sais filmer »). On n’est pas loin de penser au statut d’un sportif pour qui l’important n’est pas de participer mais de gagner afin de se construire un palmarès pur, quitte à se doper. La perfection de la démarche de cet Amour saute alors aux yeux. Elle est faite exprès, non pas dans un souci de discours cinématographique mais dans une recherche égotique. A l’inverse d’une démarche à la Lars Von Trier par exemple qui, lui, n’en a rien à foutre de son spectateur, Michael Haneke nous brosse dans le sens du poil, nous prend par la main, pour nous amener là où il veut : à ce que tout le monde crie au chef d’œuvre, publie des articles élogieux sur son génie, lui offre Palme d’or et autres Césars. Il veut plaire à tout le monde, que son auditoire soit lambda, critique ou institutionnel. C’est dommage, le cinéaste n’avait pas besoin de ça, il était déjà suffisamment installé dans la conscience cinématographique pour être vu comme un grand.

Amour aurait pu être un grand film car rarement on aura à voir un film d’une telle maîtrise et d’une telle conscience sociétale. Malheureusement, il souffre d’une attitude de la part de son réalisateur qui vire au détestable. Ce métrage est alors tout bonnement incompréhensible.


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