La photo annonce la couleur : il va y avoir un certain larmoiement dans Beyond Skin, voire de la douleur, mais pas de souffrance. L’artiste d’origine indienne par ses parents y traite effectivement de sujets humains importants à ses yeux (et qui devraient l’être aux yeux de tous). Forcément, le nom de sa maison de disque, Outcaste, se réfère directement à ses origines.
Malgré tout, il faut voir en Nitin Sawhney un véritable artiste anglais, qui a d’ailleurs grandit dans le Kent. Ainsi, il est définitivement un artiste multiethnique, cosmopolite, ouvert à toutes les influences aussi bien occidentales qu’orientales, aussi bien mainstream que populaire (au sens premier du terme). En ces termes, alors oui, il faudrait le mettre dans la même catégorie que Talvin Singh. Mais en ces termes uniquement, car les similitudes s’arrêteront là.
Aussi trouve-t-on dans sa musique, du piano, du violon, de l’alto, du violoncelle, de la guitare et de la basse, de la batterie, des percussions, des tablas, de l’électronique sous toutes ses formes, etc. Avec ou sans paroles, paroles sous différentes formes : chants en hindi, en anglais, en portugais (!) sur « Homelands, en Qawwali, ou alors voix tirés d’extraits radiotélévisés de la BBC pour un discours du premier ministre indien de l’époque (Vajpayee y parle notamment d’essais de bombes nucléaires sur le sol de son pays, lequel reste officiellement en guerre contre son voisin le Pakistan, également détenteur de l’arme atomique) ou de NBC pour la lecture d’un poème intitulé « Now I’m become death, the destroyer of worlds », d’après Vishnu, voire des mots de son propre père.
Malgré la prise de position flagrante de Nitin Sawhney, que je qualifierais de position tout simplement humaniste (et dès lors apolitique, comme il le dit lui-même), la musique de Beyond Skin demeure incroyablement paisible, pacifiste. À l’image de la magnifique pièce piano-batterie « Tides ».
Musicalement, l’ambiance est plutôt calme, avec tout de même de belles variations, notamment grâce à un usage de rythmes traditionnels indiens (« Anthem without nation », ou par exemple grâce aux tablas comme sur « The conference ») ou plus contemporains (rythmes drum’n’bass sur le très arabisant « Nadia », « Beyond skin », et dans une moindre mesure « Nostalgia »).
Pour moi, il y a bien quelques défauts à la musique de Nitin Sawhney : peut-être parce qu’il se prend trop au sérieux, ou plus vraisemblablement prend-il trop au sérieux la musique (certes, il n’a pas fondamentalement tort). Les douze titres tendent ainsi à manquer parfois de spontanéité, alors même qu’il y a énormément de recherche, d’envie de ne pas se répéter. Ça en devient justement trop visible à l’oreille. Et l’un des titres, « Anthem without nation », est tout simplement long et insupportable, en plus d’être mal placé et de casser littéralement l’album en deux, même en le zappant, ce que je conseille.
Outre ces quelques défauts, le reste finit par toucher parfois au sublime, et c’est bien là l’essentiel. À noter, pour clore cet avis tout à fait subjectif, le dernier titre, qui m’a fait connaître et aimer cette musique ; ainsi qu’une collaboration en 2006 avec Ojos De Brujo sur le titre « Feedback », en écho évident à « The conference » mais en plus international encore.
(in heepro.wordpress.com, le 09/11/2012)