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Les paradis fiscaux se portent bien, merci pour eux. Les dirigeants des grands pays d’origine de l’évasion fiscale ne sont pas trop pressés d’y mettre fin pour des raisons obscures ou des subtilités économiques qui échappent au commun des mortels. La pantalonnade du G20 où ils avaient été rapidement abordés n’a donné lieu qu’à une feinte indignation qui n’ a pas duré plus que le temps du voyage retour des participants. Des problèmes bien plus importants à traiter sans doute.
Le recours aux paradis fiscaux n’est pas seulement une pratique mafieuse contre les pays développés. Il prend une tournure bien plus dramatique lorsqu’ils abritent des fonds volés aux pays pauvres dits « en développement ». C’est ce que vient de montrer une étude récente commentée par l’Agence Latino-Américaine d’Information que nous relayons.
« Paradis fiscaux et fuite des capitaux : les pays en développement, premières victimes
Sally Burch
Une étude sur les paradis fiscaux [1] publiée il y a quelques semaines par Tax Justice Network(TJN) révèle la gravité de la fuite des capitaux et de l’évasion fiscale, qui atteint des dimensions beaucoup plus importantes que ce qu’on estimait précédemment. Ces données confirment, de plus, que cela constitue l’un des plus graves problèmes économiques aux quels font face les pays en développement, et par conséquence cela contribue à accroitre la pauvreté.L’étude estime – estimation a minima – que pour 2010, le montant des fonds de la richesse privée qui se trouvent investis dans plus de 80 juridictions offshore (extraterritoriales) – où les comptes sont administrés sans être pratiquement assujettis à aucun impôts – fluctue entre 21 et 32 milliards de dollars.De ce total, près d’un tiers, soit entre 7,3 et 9,3 milliards de dollars, proviendrait de 139 pays à faibles ou moyens revenus. De plus, 61 % de ce montant correspond à un groupe de seulement 10 pays qui inclut le Brésil, Mexique, Venezuela et l’Argentine. Il s’agit principalement de rentes financières accumulées depuis les années 70 par les élites privées de ces pays, et qui n’ont pas été enregistrées dans leurs pays d’origine. Ces chiffres comprennent seulement les actifs financiers ; d’autre type d’investissements n’ont pas été pris en compte, par exemple ceux en or, biens immobiliers, yachts, etc.Après avoir fait un bilan des actifs – passifs, l’étude démontre qu’une grande partie des pays considérés débiteurs seraient en réalité des prêteurs nets, si ces ressources n’avaient pas été soustraites à leur système financier. En effet, les 139 pays mentionnés qui incluent toutes les principales économies en développement « enregistraient une dette extérieure brute agrégée de 4,08 milliards de dollars en 2010 ». Après avoir conservé les réserves à l’extérieur de ces pays, investies majoritairement dans des valeurs du dit « Premier Monde », on constate que « leur dette extérieure nette agrégée devient un chiffre négatif de 2,8 milliards de dollars pour 2010 ». De là, on estime que, si s’ajoutent à cela les ressources détournées vers le système offshore, ces pays à ce qu’on suppose endettés, « n’ont rien de pays débiteurs : ce sont des prêteurs nets, à hauteur d’ entre 10,1 à 13,1 milliards de dollars ».Cependant, le problème est que « les actifs de ces pays sont dans les mains d’un petit nombre d’individus riches tandis que les dettes retombent sur les gens ordinaires de ces pays à travers leurs gouvernements ».La perte en termes fiscaux est aussi énorme : en tenant en compte des bénéfices non déclarés que ces investissements off shore ont généré depuis 1970, la perte au cours des 40 dernières années pourrait atteindre environ 3,7 milliards de dollars, estime l’étude.Le TJN – un réseau international consacré à la justice fiscale, dont le siège se trouve au Royaume-Uni – a développé une nouvelle méthodologie pour élaborer ces calculs, qu’il estime nettement plus fiable que les méthodes traditionnellement utilisées par les institutions financières internationales. Ainsi, il critique fortement ces organismes qui « ils ont prêté une attention minimale à ce ’trou noir’ de l’économie globale », étant donné qu’ils « ont un accès facile, non seulement aux ressources analytiques, mais aussi à plusieurs des données primaires qui sont requises pour quantifier avec plus de précision les dimensions de ce problème ». Aussi, il demande : « Pourquoi regardez-vous ailleurs ? »La perte pour les pays en développement est encore plus grande, si nous additionnons à cela le fait que la majorité des accords d’investissement étranger – y compris les TLCs – s’accompagne d’accords de double imposition. Ces accords prévoient en général que les investisseurs étrangers peuvent payer leur impôt dans leur pays d’origine, et non dans le pays qui leur fournit les ressources, la main-d’œuvre, les services, etc. avec lesquels réalisent leurs profits. Souvent, grâce à des subterfuges comme la sousfacturation d’exportations ou la surfacturation d’importations, ces entreprises finissent par ne payer dans aucun des deux pays : c’est à dire, qu’une double évasion se produit, et ces revenus se tournent vers les paradis fiscaux.Changer les schémas de négociationUne chose est de reconnaître le problème, une autre est ce que les pays latino-américains puissent faire pour commencer à les résoudre. Dans un entretien avec ALAI, David Spencer, avocat étasunien spécialisé en droit de la finance et conseiller de TJN, pense qu’une plus grande collaboration entre des gouvernements de la région pourrait améliorer leur capacité de négociation. Il considère que, par exemple, UNASUR pourrait intensifier ses efforts dans ce sens. En même temps, il souligne la faible collaboration qui se fait au sein de groupes comme le G77 pour aborder ce sujet devant les instances correspondantes de l’ONU. L’une des solutions que suggère Spencer est d’insister pour ce que les centres financiers fournissent des informations à d’autres pays sur les actifs que leurs résidants détiennent dans leurs système financier.L’avocat reconnaît, cependant, qu’une forte résistance des économies avancées existe pour aborder sérieusement le sujet, puisque elles « bénéficient énormément de ce flux de capitaux vers leurs institutions financières : de la City Bank à New York à la City Bank aux iles Cayman ; ou de la Morgan Bank jusqu’à la Morgan Panamá, par exemple. Ces institutions financières dépendent fortement des dépôts de riches latino-américains, et elles ne veulent pas arrêter le flux de fonds » ; ce qui se traduit par des pressions sur leurs gouvernements pour que les choses ne changent pas.L’OCDE (l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique qui regroupe les principales économies développées) au départ a exprimé sa préoccupation par cette fuite des capitaux ; mais a fait très peu pour l’en empêcher. Spencer reconnaît que l’OCDE a établi une espèce de « liste noire » de 40 pays considérés comme des paradis fiscaux, mais elle a mis comme condition requise pour qu’un pays soit retiré de la liste, qu’il signe au moins 12 accords d’échange d’information. Ce que ces paradis fiscaux ont fait fut de signer des accords entre eux, et ainsi presque tous sont sortis de la liste, sans que rien n’ait changé.Spencer souligne qu’une négociation possible réside dans le fait que, par exemple, les Etats-Unis souhaitent aussi d’obtenir une information fiscale sur ses résidents ayant des actifs en Amérique Latine. Alors il devient possible d’établir des accords d’échange d’information fiscale. En revanche il semble beaucoup plus complexe, de le faire avec les paradis fiscaux, où ne s’appliquent pas les mêmes règles. Et de fait, une grande partie des fonds régionaux soustraits se trouvent dans des pays comme les Iles Cayman, les Bermudes, les Bahamas, les Iles Vierge Britanniques ou Panama.Pour TJN, la recherche de solutions comme celles-ci à la fuite des capitaux et à l’évasion fiscale devrait être établie parmi les premières priorités des politiques mondiales de réduction de la pauvreté.* Sally Burch, journaliste, est membre d’ALAI.Alai-Amlatina. Équateur, le 30 Octobre de 2012.-Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi »Source: ALAI