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Eric HEYER : « nous nous trouvons au début de la crise »

Publié le 08 novembre 2012 par Delits

Pour faire le point sur l’actualité économique, Délits d’Opinion a rencontré Eric HEYER, Directeur adjoint au Département analyse et prévision.

Délits d’Opinion : La rentrée a été marquée par une chute libre du moral des Français, notamment concernant l’avenir économique. Les premières mesures prises par le Gouvernement Ayrault ont déçu une majorité. En tant qu’économiste, partagez-vous cette déception ?

Eric HEYER : Oui et non. C’est en fait difficile d’être véritablement déçu dans la mesure où il fait ce qu’il avait promis. Il met pour le moment simplement en application son programme.

La déception viendrait plutôt d’un problème de fond qui persiste : le gouvernement actuel a repris les engagements des gouvernements précédents de diminution drastique des déficits. Malgré ses propos durant la campagne, François HOLLANDE n’a pas profondément modifié le calendrier européen et reste sur un retour à 3% dès 2013. Le candidat avait parlé de renégociation en instaurant un volet croissance, ce qui a été en partie réalisé mais pas suffisamment, ce qui n’a pas modifié la donne sur le fond.

Au final ce qui ressort c’est avant tout une logique d’austérité, or l’ensemble des agents se situent dans une situation économique dégradée : les ménages, l’État, les entreprises et la contrainte extérieure est forte. Si on veut améliorer la situation des entreprises, par qui passe-t-on ? En confirmant que l’État doit en priorité tenir l’engagement des 3% de déficit, on s’enlève toute marge de manœuvre.

On allait dans le mur avec le précédent gouvernement, comme la stratégie globale européenne n’a pas été fondamentalement modifiée, avec cette stratégie on ne peut se diriger que vers une récession ou une croissance très faible. D’ailleurs tous les instituts de conjoncture ont déjà commencé à diminuer leurs prévisions de croissance en Europe.

Délits d’Opinion : Reprenant la série d’événements et de mesures économiques prises depuis le mois de mai (consensus européen permettant d’envisager une sortie de crise, bouclage du budget 2012, limitation du déficit pour 2013), ne trouve-t-on pas pourtant des raisons d’espérer ?

Eric HEYER : Concernant la situation européenne, on peut effectivement penser qu’il y a des éléments positifs laissant penser à une sortie progressive de la crise. Plusieurs mécanismes se mettent en place, leur ampleur progresse et s’amplifie. On parle moins de la faillite d’un État ou d’un éclatement de la zone euro. On constate effectivement certaines avancées : la BCE a accentué ses efforts et a mis en place des mécanismes de stabilisation.

Il n’en reste pas moins que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise : l’incertitude perdure et la mise en place d’une Union bancaire n’est pas actée. Ca se débloque, lentement, trop lentement sans doute mais ça se débloque malgré tout.

En revanche, en ce qui concerne l’économie réelle, nous nous trouvons en fait au début de la crise : on ne peut pas affirmer que le pire est passé. Le chômage va continuer à se dégrader, partout l’incertitude est très grande pour les entreprises. Le PIB est en phase de stabilisation, ce qui va entraîner une montée continue du chômage. A court terme il n’y a pas de raisons d’espérer de ce point de vue.

Délits d’Opinion : L’autre grand volet, c’est bien sûr la remise du rapport Gallois hier au Premier Ministre. Sitôt rendu, sitôt disponible sur le net, quelles sont vos analyses quant aux recommandations de ce rapport à la possible faisabilité d’une mise en œuvre d’un choc fiscal ?

Eric HEYER : L’idée du rapport Gallois pose globalement le bon diagnostic : perte de compétitivité, due à des raisons multifactorielles depuis 15 ans, à la fois hors coût et prix. Il est effectivement important d’agir sur ces deux éléments, notamment à court terme.

Le reproche que je ferais à ce rapport est qu’on aurait pu formuler le même diagnostic en 2007, depuis la crise la France n’a pas perdu de parts de marché. De ce fait, il ne tient pas vraiment compte de la situation conjoncturelle actuelle.

Il nous dit : il faut faire un choc de compétitivité mais comme c’est la crise il faut que ce soit les ménages qui la financent, ce qui permettra de ne pas remettre en cause l’engagement de l’État en matière de réduction de déficit public. Ici il ne tient pas compte de la conjoncture : si les entreprises de produisent pas c’est en raison d’une insuffisance de la demande, pas en raison d’une contrainte sur l’offre.

En 2013, les effets positifs du choc d’offre vont être « mangés » par les chocs de demande négatifs et probablement même être plus que mangés.

La réponse du gouvernement est bien plus maline. On ne peut pas rajouter aux ménages une contrainte supplémentaire, du coup on décale d’un an la contrainte en portant sur 2014. Or en 2014 la conjoncture sera moins dégradée (on parle d’une croissance supérieure à 1%) et la marche vers une réduction de déficit sera moins haute.

Au final ce plan doit permettre un choc d’offre en 2015, sans nuire de manière important à une conjoncture déprimée.

Propos recueillis par Olivier.


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