La prochaine légalisation du mariage homosexuel tient déjà toutes ses promesses. Les critiques caricaturales s'accumulent, et même d'où on ne les attend pas.
Et les autorités religieuses ont aussi commis l'inévitable maladresse ultime de s'inviter brutalement dans le débat.
Religieux en rage
Ce n'était qu'une promesse de François Hollande. Nul reniement ni revirement, donc; simplement l'application d'un élément de son programme de campagne. Et ce mercredi 7 novembre, la mesure était adoptée en Conseil des ministres. Il y en a pour penser que le gouvernement hésite.
Il était prévisible que nos Eglises de France se choquent. Ce projet est contraire aux représentations officielles du couple dans toutes les religions du pays. On aurait pu espérer que quelques esprits croyants éclairés réalisent qu'une telle ouverture du mariage civil pourrait mieux différencier l'importance symbolique de leurs unions religieuses.
En vain.
Après les propos outranciers puis démentis d'un cardinal Barbarin, Monseigneur André Vingt-Trois, a « sonné la charge » dimanche 4 novembre, devant un parterre de confrères: « Imposer, dans le mariage et la famille où la parité est nécessaire et constitutive, une vision de l'être humain sans reconnaître la différence sexuelle serait une supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société et instaurerait une discrimination entre les enfants. »
Mais au final, de quoi se mêle-t-il, cet archevêque ? Que ne reste-t-il cloitré dans son domaine des cieux ? Seul le mariage civil est reconnu en France qui, rappelons-lui, est une République laïque. La légalisation du mariage gay détachera enfin, symboliquement et totalement le mariage civil de la sphère religieuse.
« Nous ne touchons pas à la Bible, nous touchons au Code Civil »Sans surprise, la quasi-totalité de la droite politique a suivi ces hiérarques catholiques.
Christiane Taubira, 7 novembre 2012.
Valérie Pécresse, l'une des supportrices du candidat François Fillon rappelle sa position, dès dimanche, après la déclaration de l'archevêque: « Nous, nous ne sommes pas favorables au mariage homosexuel (...) non pas parce que nous ne sommes pas favorables à la reconnaissance de l'amour des couples homosexuels mais parce que ça touche à la filiation et que nous ne voulons pas voir disparaître la référence au père et à la mère dans le code civil ». Le mercredi suivant, Serge Dassault, l'industriel propriétaire du Figaro et sénateur UMP, grand amateur de formules qui tachent, nous lâche sur France Culture: « Y'a plus de renouvellement de la population à quoi ça rime ? On veut un pays d'homos ? Dans dix ans y'a plus personne, c'est stupide.» On ne touche plus le fond, mais les sous-sols.
La messe était dite.
Plus sexy que les traditions, il y avait la science et les droits de l'enfant. Le Figaro Magazine nous avait exhumé un militant et pédopsychiatre qui affirmait qu'un enfant devait pouvoir « s'originer », fut-ce dans une famille hétérosexuelle démembrée.
Caricatures
On accuse aussi la gauche de vouloir réécrire les manuels d'histoire pour revaloriser l'homosexualité. La critique vient même ... de la la gauche. Certain(e)s se troublent: «Pourquoi faut-il que, même à gauche, des ministres se mêlent du contenu des manuels scolaires ? En quoi Najat Vallaud-Belkacem est-elle légitime pour affirmer que l’homosexualité de Rimbaud explique une grande partie de son œuvre ?» titre Rue89, le site affilié au Nouvel Obs.
La ministre et porte-parole du gouvernement avait osé cette remarque, un sacrilège: « Aujourd’hui, ces manuels s’obstinent à passer sous silence l’orientation LGBT (lesbien, gay, bi et trans) de certains personnages historiques ou auteurs, même quand elle explique une grande partie de leur œuvre comme Rimbaud. » Et voici certains d'allonger la sauce, d'enchaîner la prose comme si la ministre avait annoncé une prochaine réécriture des manuels scolaires.
Rue89 renvoie en fait vers un autre billet, plus accablant, publié par RAGEMAG contre Caroline de Haas, conseillère en charge des relations avec les associations et de la lutte contre les violences faites aux femmes auprès de la ministre Najat Vallaud-Belkacem. En cause, elle en ferait trop pour les droits des gays.
La charge fut violente, aussi violente que la critique s'avère finalement vaine. La cause - la légalisation du mariage gay - ne serait pas en cause. Mais il faudrait la jouer discret, cesser de proclamer autant d'urgence sur un sujet prétendument évident. Ainsi écrit l'auteur de RAGEMAG:
« L’exemple du « mariage pour tous » est révélateur de la stupidité ambiante : des guenons et des macaques font une bataille de boue. Le citoyen, au milieu, s’excuse de s’inquiéter pour son pouvoir d’achat. Disons-le sans ambages : le mariage pour tous peut bien passer, non parce que cela va dans le sens de l’Histoire – il n’y en a pas – mais simplement parce qu’il n’y a aucun bon argument contre.»Fichtre !
Quelle ignorance du monde! Les discriminations contre l'homosexualité commencent jeune, très jeune.
Pourquoi ne pas reconnaître ce besoin de dé-passionner, dé-stigmatiser le débat dès l'adolescence ?
Il y a ensuite l'autre argument. Le gouvernement devrait être mono-sujet. Variante du « it's the economy, stupid ! » que nous proclamions contre Nicolas Sarkozy quand il nous lançait à la figure et sans crier gare son débat sur l'identité nationale, certains estimeraient donc que la Grande Crise exclurait toute avancée sociétale. Quel choix ! La crise, protéiforme, frappe tout. Elle favorise déjà les clivages, aggrave les inégalités, facilite les caricatures. Elle sert d'argument régulièrement invoqué comme une technique bien facile de management du plus grand nombre.
Pourquoi donc se priver d'avancées de nos libertés publiques ?