Source :
http://www.artac.info/fic_bdd/pdf_fr_fichier/nap42_13510811380.pdf
EUROPEAN CANCER AND ENVIRONMENT RESEARCH INSTITUTE
Newsletter de l’Appel de Paris n° 42
À propos des recherches de Gilles-Eric SERALINI
par le Pr Dominique BELPOMME, Professeur de cancérologie honoraire de l’Université Paris-Descartes,
Président de l’ARTAC, Directeur exécutif de l’ECERI.
Il m’est demandé un avis scientifique concernant le récent article de
Gilles-Eric Seralini publié en septembre dernier dans le journal
scientifique à comité de lecture "Food and chemical toxicology".
Ayant lu attentivement cet article, c’est au strict plan scientifique
que je réponds à cette demande.
Le travail réalisé est une expérimentation lourde puisqu’impliquant le
suivi de 200 rats (100 femelles et 100 mâles) pendant deux ans. L’étude
est tout autant ambitieuse, compte tenu des 10 groupes étudiés selon la
dose d’OGM et la présence ou non de Round up, ce qui explique la
faiblesse des effectifs dans chacun des groupes.
Au demeurant, comme clairement indiqué dans l’article, les reproches
méthodologiques à faire, si tel est le cas, seraient encore beaucoup
plus nombreuses et importantes concernant les études réalisées pour la
mise sur le marché des OGM et des pesticides. Ainsi les critiques
formulées par la plupart de ceux qui le font ne peuvent se retourner que
contre eux-mêmes, puisque ceux-ci en invoquant la science, oublient
l’extrême faiblesse des études réalisées pour la mise sur le marché de
tels produits.
Si on peut considérer l’étude de Seralini comme présentant une certaine
faiblesse méthodologique concernant notamment le choix du modèle (les
rats Sprague – Dawley font déjà spontanément de nombreuses tumeurs) et
l’absence d’estimation statistique des résultats obtenus par comparaison
à des témoins concernant la première partie de l’étude, il n’en demeure
pas moins que les observations réalisées sont particulièrement
intéressantes. Au minimum ils créent un doute sur l’innocuité de l’OGM
utilisé – le maïs NKG03 intolérant au Round up – et du Round up lui-même.
Je connais suffisamment Seralini pour savoir qu’il est un chercheur
intègre. En outre, s’il doit y avoir une discussion sur la valeur
scientifique de cet article notamment du point de vue des mécanismes de
la cancérogenèse, c’est au sein de la communauté des chercheurs
spécialisés dans le domaine qu’elle doit avoir lieu et non sur la place
publique, par le biais d’Institutions en réalité non expertes dans le
domaine et qui manifestement agissent sans le dire, en vertu d’intérêts
économiques et/ou d’une complaisance aux autorités politiciennes. Le
message de telle ou telle académie ou de telle ou telle agence, sur
cette thématique bien particulière, est donc sans fondement scientifique.
La polémique d’aujourd’hui, fomentée par les lobbies économiques et
financiers et aggravée par les représentants de ces agences ou
académies, qu’ils se targuent ou non d’être les "vrais" scientifiques du
pays, est inacceptable. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que de
telles agences ou académies se trompent. L’histoire de l’amiante est
toujours présente dans la mémoire de nos concitoyens, l’inconscient
collectif de notre société, pour nous rappeler les méfaits sociétaux de
telles affirmations prises dans l’urgence et sans réelle confrontation
scientifique. Il n’est d’ailleurs pas dit qu’à l’étranger le son de
cloche ne soit pas différent ; l’acceptation de l’article par le comité
ad hoc du journal scientifique "Food and chemical toxicology" en témoigne.
Il serait en outre largement préjudiciable à la science et à son
indépendance que cet article, sous la pression de tels lobbies et du
flot d’incompétences qu’ils suscitent, soit supprimé du journal qui l’a
accepté le 2 août 2012. En réalité, je ne pense pas qu’il puisse en être
ainsi, car si tel était le cas, le journal en question perdrait toute
crédibilité scientifique.
Comme en témoignent les références scientifiques citées dans l’article,
Seralini n’est pas le seul chercheur à remettre en cause l’innocuité des
OGM et des pesticides, en particulier du Round up. Grâce au doute qu’il
a su créer, cet article va donc avoir en réalité pour immense intérêt de
redynamiser les équipes de chercheurs travaillant dans le monde sur un
tel sujet – y compris celle de Seralini – à poursuivre les travaux dans
cette direction et par conséquent à ne pas accepter comme
scientifiquement établi l’innocuité de ces deux types de produits. La
recherche scientifique pour ceux qui réellement la font, est une longue
marche souvent hérissée d’épines, mais aussi parfois de gratifications.
Seralini a fait un premier pas. Parions comme ce fut le cas pour
l’amiante, qu’il y en aura d’autres et cela de plus en plus et très
prochainement.