Personne n'interviendra jamais dans la guerre civile Syrienne.
Israël a beaucoup de poids sur terre, et Israël aime ses voisins faibles.
Tant qu'ils s'entretuent, l'OTAN, l'ONU whoever n'interviendront pas.
Heureusement, (ou pas, c'est selon le degré de désolation), il y a quelques correspondants étrangers qui osent braver la logique et plonger dans le désordre afin d'essayer d'y voir plus clair. Et de nous éclairer dans le processus.
Jonathan Littell est un homme brillant pour lequel j'ai beaucoup d'estime et d'admiration. Du 16 janvier au 2 février 2012 dernier, il a plongé clandestinement au coeur du désastre en passant une vingtaine de jours à Homs, coeur saignant de la Syrie.
Il en a produit, au mois d'avril suivant, un livre appelé Carnet de Homs, témoignage de son passage là-bas. Récit que j'ai consommé en trois jours.
Accompagné d'un traducteur/photographe, il a pondu des chroniques lors de son voyage secret pour le journal Le Monde. Il n'était pas connu là-bas sous son nom d'auteur récipiendaire du prix Goncourt 2006 mais plutôt sous le nom de code, Abu Emir.
Quand un homme explique à l'auteur pourquoi certains "guides" de journalistes ne leur font voir ce que les guides eux-mêmes décident qu'ils devraient voir en leur disant: "Il faut les comprendre, 40 ans de peur" , Litell rajoute une phrase qui à elle seule résume toute la situation là-bas:
pour tuer le vrai Bachar, il faudra d'abord tuer le Bachar dans leurs têtes.
À Homs, vous êtes en perpétuelle situation de mort si vous ne prêtez pas allégeance ouvertement à Bachar Al-Assad et à son régime.
On arrête les médecins soignants et les pharmaciens, même les alaouites (al-Assad est alaouite). On s'assure de les empêcher de travailler pendant trois mois, six mois. Pour que les bléssés agonisent et meurent. Dans la rue, on vous arrête pour un rien. Quels postes de télés tes parents écoutent-ils? demandent-on lâchement aux enfants. Si ils répondent CNN, France 2 ou un poste anti gouvernement Syrien, l'enfant, sans le savoir, vient de condamner sa famille à la mort. Comment tes parents réagissent quand le président parle? Même piège. Tu portes la barbe? tu es donc de la bande à Ben Laden? vous voilà coffré pour un brin de pilosité. Tu étudies la littérature française? tu es donc un ami de Sarkozy? Raisonnement douteux, peu importe, vous êtes embarqué. Il y a des billes chez vous? La bille placée dans une fronde, c'est une arme contre l'armée ça. Même si vous n'avez jamais ouvert le sac de billes, qu'il apparatient à votre enfant de 3 ans, vous êtes embarqués en tôle pour contre-interrogatoire.
Et les contre-interrogatoires...
Certains prisonniers soupçonnés de la sorte peuvent être perpétuellement torturés, aussi souvent qu'il y a rotation des barbares qui les questionnent. Pendant 9 heures, suspendus à des chaines, fouéttés par des câbles électriques, brûlés par de l'alcool quand la chair est exposée, écartelés, humiliés. Si vous vous évanouissez, un médecin vous ranime si on pense que vous pourriez encore fournir des renseignements utiles sur les résistances à Bachar Al-Assad. Des fois ce médecin est carrément enchainé au prisonnier. Si on vous croit peu utile, on vous laisse mourir. Quelques fois, dans un moment de relâche mentale, on vous laisse partir. Non pas sans vous avoir brisé au préalable.
On foudroie la population de détresse extrême jour après jour, heure après heure. Des enfants à la tête éclatée, des intestins qui trainent, des hommes sans jambes, tout y passe...
À Khaldiye, il y a comme un absurde entente tacite entre les tireurs embusqués pro-Al-Assad et les infirmères: Nous, nous tirons dessus, et vous vous les sauvez. Pour les contre-interroger. Et mieux les torturer.
Les tireurs embusqués ont quelques fois une différente stratégie. Ils tirent, pour blesser, dans l'espoir que le bléssé qui traine attirera une foule venue à son aide. Pour la phase deux, on tirera dans le tas de gens qui venaient aider le/la meurtrie. Les tireurs visent la colonne vertébrale. Si il ne tuent pas, ils veulent au minimum paralyser.
Les secrets sont multiples sur place. La mission de Littell se devait de l'être afin de rester objective. Le contrôle de l'information et de l'image en Syrie est la première gestion face aux étrangers qui s'inflitre dans le conflit. Une caméra est une arme. Elle peut signer votre mort si vous ne la placer pas au bon endroit, au bon moment. Le niveau de confiance est pratiquement inexistant. L'ami du jour est peut-être l'ennemi de demain. La vérité, toujours la première victime de la guerre.
À Homs, on vole les cadavres pour obliger les familles qui veulent les récupérer à signer des papiers qui indiquent que le mort a été tué par des terroristes anti-régime. Mentir, toujours mentir.
Ce sont des professionnels de l'information, ils mentent beaucoup.
Danny Abdul Dayem , syro-britannique de 23 ans, a été récupéré dès son arrivée d'Angleterre en Syrie par le bureau de l'information pour mettre en scène certaines scènes . Au début, il était à la solde du régime d'Al-Assad puis, il a tourné sa veste et décrié le régime publiquement en ondes.
Quand Littell veut quitter à la fin de son mandat, il a des emmerdes car le service de contrôle de l'information découvre qu'il lui a passé entre les mains. Qu'ils ont été court-circuités.
Le régime putride, sclérosé de Bachar Al-Assad passe de deuils hystériques en horreur totalitaire.
Les vidéos sur téléphones portables sont de véritables musées des horreurs. Les gens que croisent Littell ont tous quelque chose à raconter, SURTOUT, aux journalistes étrangers. Dans le royaume du mensonge, tout le monde semble savoir ce qu'il y a de mieux à faire. Tout le monde a vu. Tout le monde a compris.
Tout le monde nage poutant dans la plus parfaite confusion.
Il y a des parfums de cour de récréation d'école primaire ou chacun fait sa loi en changeant les régles au fur et à mesure des jeux de la guerre. Littell s'en lasse en fin de parcours. Tout ça est si absurde.
Il lit Plutarque pendant que les tirs pétaradent à gauche et à droite, fatigué, désabusé, ne voulant plus jouer à la guerre...
Pratiquement tous les intervenants des carnets de Littell sont aujourd'hui fort potentiellement morts ou emprisonnés ou perpétuellement torturés jusqu'à extinction des sens.
Et nous, de se plaindre de nos conditions de temps à autre...
On a pas la mort en pleine gueule tous les jours. Pas comme ça en tout cas.
Ce régime, 7 mois après les écrits de Littell, met encore son peuple à feu et à sang.
On espère qu'il soit à terme, condamné.
On espère à Homs.
On rêve encore.
Entre les cauchemars et les bains de sang.
Inch' Allah.
Les religions tuent.