Je ne pouvais pas
m'envol... prendre le train pour les Utopiales, Festival
incontournable de science-fiction, sans prendre le temps de vous
parler de deux livres qui ont tous deux eu un effet certain sur ma
personne. J'ai pris une gifle avec le premier, et j'ai comme qui
dirait tendu l'autre joue pour le second. A la réflexion, cette image
là ne sied pas à un super-héros, aussi vous dirais-je donc plus
exactement que, de ces lectures, j'en suis resté sur les fesses
comme après avoir reçu une rafale ectoplasmique à ondes
réfractalement hostiles. Dans les deux cas, l'équilibre est
rétabli, merci.
On commence avec le
premier dans l'ordre d'apparition derrière le masque :
Rendez-vous au 10 avril, signé Benoît Séverac. Vous pouvez
toujours aller chercher ce livre sur les étagères de votre
librairie préférée, je doute que vous le trouviez (hormis
peut-être si vous habitez Toulouse, mais il s'agira là d'un cas
particulier sur lequel je vais revenir). On connaît la rotation
infernale des livres sur les présentoirs, on ne va pas refaire
l'histoire. Si Benoît Séverac est connu du monde du polar, il ne
l'est pas encore complètement du grand public, et c'est regrettable.
Quant à la maison d'édition, tme, basée à Toulouse où se situe
l'action du livre (j'y suis revenu plus vite que prévu tout compte
fait), elle ne l'est pas du tout.
J'ai fait l'acquisition
de Rendez-vous au 10 avril au Festival de polar de Villeneuve lesAvignon, en 2011, où l'auteur était présent. Près d'un an plus
tard, je me décide enfin à le lire. L'envie était là de me
frotter à un roman noir situant son action au lendemain de la
première guerre mondiale. Et trouver un passage du Témoin oculaire
de Ernst Weiss en préambule du livre, a été une passerelle plus
qu'encourageante (à lire, lire, et relire !).
Un inspecteur de police,
vétéran de la guerre, est confronté à deux décès aux apparences trompeuses
survenus dans la nuit : le suicide d'un professeur de l'école
vétérinaire de Toulouse et la mort d'un
notable de la ville. Si l'enquête
se révèle assez classique dans son traitement et bénéficie de
quelques heureuses coïncidences, la part belle est ici donnée au
narrateur de l'histoire, lequel porte en lui les stigmates
de la guerre mais aussi le poids d'un secret qu'il a bien pris soin
d'enfouir à fortes doses d'alcools et de morphine. Son état n'est
pas sans embarrasser sa hiérarchie, sans gêner non plus certaines
personnes qu'il est amené à rencontrer au cours de ses enquêtes.
Tous les soirs, au lieu de rentrer chez lui, il trouve un semblant de
réconfort dans une maison close, où la tenancière l'autorise à
dormir. Ses seuls moments de répit sont là, dans ces maigres heures volées
aux images qui l'assaillent : souvenirs de guerre ou passants dans la
rue le renvoyant à un passé révolu à jamais. Cet homme, dans son
désespoir, sa ruine, sa douleur, Benoït Séverac a su le rendre
authentique jusqu'au final sidérant de cette histoire. Le tout servi
par une belle écriture.
L'écriture. On ne peut
pas ne pas l'évoquer en ce qui concerne Un petit jouet mécanique de
Marie Neuser. C'est en tout cas un des aspects du livre qui retient
immédiatement l'attention. Elle est là, comme cette petite musique à
laquelle fait référence l'auteur dans le livre : « Quoi
que tu aies envie d'écrire, tu dois trouver ta petite musique.
Trouve-la et suis-la. Et elle te fera aller au plus près de la
vérité. ». Elle est là, donc, et emporte irrémédiablement le
lecteur dans les filets de son histoire, dont, désolé pour le
cliché, on ne ressort pas indemne (mince, je viens de me rendre
compte que ce sont les termes exacts de la quatrième de
couverture... mais comme c'est exactement ça, on ne va rien
changer aux mots !
Après bien des années,
Anna revient en Corse, à Acquargento, demeure où ses parents
passaient leurs vacances avec elle. Elle se rappelle son
dernier été passé là-bas, lorsqu'elle avait seize ans. L'été où
sa sœur, Hélène, est tout à coup réapparue sur leur lieu de
villégiature, bébé au bras. Étrangères de cœur, étrangères en
tous points, les deux filles ne s'apprécient guère. Les
douze années qui les séparent n'ont sans doute rien arrangé. Et
si l'arrivée de la jeune femme et de son enfant chamboulent au début le quotidien des uns et des autres, les jours filent pourtant,
semblables, chacun vaquant à ses occupations. Anna écoute de la
musique, peint, écrit, se rend à la plage, se nourrit de son ras-le
bol d'être ici et pas ailleurs, se nourrit aussi de sa solitude
quand elle ne joue pas avec le bébé. Pourtant à mesure que les
jours passent, Anna en vient à s'interroger sur le comportement de
sa sœur à l'égard du bébé.
L'été, le quotidien
transfiguré petit à petit, le malaise prégnant sans qu'on puisse
clairement en identifier la nature, ou même l'apaiser. C'est en
cela, dans sa faculté à générer cette impression que l'écriture
de Marie Neuser est redoutable. Les mots, leur sens et ce qu'ils
génèrent deviennent purement indissociables. La « petite
distillation progressive », évoquée dans le roman, est en
marche. Que ce soit le glissement d'Anna dans son approche de l'âge
adulte ou dans les événements qui se nouent. Les phrases
effleurent, s'inscrivent dans le cerveau comme un sillon qui passe et
repasse, gravent sournoisement mais implacablement la monstruosité
d'un instant, d'une période de la vie où la normalité n'a plus sa
place. A moins bien sûr qu'elle ne soit constitutive d'un tout,
drame compris.
Et ces mots là - on en revient à eux - vous touchent d'autant plus, vous lecteur, lorsqu'Anna raconte son histoire à la deuxième personne du pluriel. Une manière de prendre de la distance face aux événements, dont le temps n'a en rien altéré la douleur.
Tout est à sa place dans
ce roman. Il n'y a rien à enlever, rien à rajouter. Juste à se
laisser prendre, se laisser aller au doute, à l'amertume et à
l'espoir aussi.
J'ai du mal à lâcher le
clavier parce que je voudrais dire encore bien des choses pour vous
inciter à le lire ce bouquin, mais il faut quand même vous laisser le
"plaisir" de la découverte.
Enfin, si vous ne savez
pas quoi lire en ce moment, hein...
Moi, ce que j'en dis...
Ah si, tout de même, il est utile de le préciser : Un petit jouet mécanique est apparemment le deuxième livre de Marie Neuser, je vais donc m'empresser de me procurer le premier, Je tue les enfants français dans les jardins.