Un roman qui mêle la petite histoire à la grande, celle de ces hommes et de ces femmes secrètement placés dans des camps de travail en plein cœur de Paris, en 1943, et dont le sort reste souvent méconnu. L'Ombre d'un homme est le quatrième roman de Bénédicte des Mazery
Extrait Sous la douleur, Alfred se mordit les lèvres. Durant quelques secondes, il tenta en vain de se libérer, mais la pression était si forte que, malgré lui, ses yeux s'embuèrent. Puis, dans son dos, un bruit léger, si léger qu'on aurait dit un soupir, le fit se retourner. Charlotte descendait l'escalier en silence, sa main blanche glissant lentement le long de la rampe jusqu'à la courbe de l'étage, jusqu'à ce tournant où elle disparut sans bruit, comme engloutie. Son père le projeta dans l'appartement et claqua la porte derrière eux.
Soixante-huit ans plus tard, le vieil homme se laisse alors aller à ce qu'il ne s'est jamais autorisé durant toutes ces années: il pleure. Sans retenue. Il pleure sur le souvenir de la silhouette légère glissant de marche en marche à la façon d'une apparition. Il pleure pour l'immense chagrin sous lequel les frêles épaules se sont affaissées devant lui. Il pleure enfin sur sa lâcheté et son abjecte soumission, réitérée d'année en année, toujours plus profonde. Ce jour-là, il avait vu Charlotte pour la dernière fois. Anne Carriere Eds