Chronique de l’amertume sur fond de crise économique, sociale et identitaire au Japon (Les damnés)

Par Borokoff

A propos de Saudade (Saudâji) de Katsuya Tomita

Saudade entremêle plusieurs histoires. A Kôfu, Préfecture de Yamanashi au Japon, Seiji travaille comme ouvrier sur un chantier mais peine de plus en plus à trouver du travail. Il rencontre Hosaka avec qui il sympathise d’emblée. Dans des bars où les deux hommes passent leur temps en compagnie de (très) jeunes Thaïlandaises, Hosaka  lui vend les mérites et tout l’attrait de la Thaïlande où il a vécu et d’où il vient de rentrer. L’expérience tente Seiji d’autant qu’il ne s’entend plus tellement avec sa femme, esthéticienne. Un jour, Seiji et Hosaka sont rejoints sur un chantier par Takeru, un jeune rappeur tenté par des dérives nationaliste et identitaire, un repli communautaire né de l’humiliation qu’un groupe de hip-hop d’origine brésilienne lui a fait subir lors d’un « battle »…

Difficile de parler de Saudade sans le remettre dans le contexte de son élaboration. Car pour réaliser cet objet cinématographique inconnu à la durée fleuve (02h40), il a fallu au réalisateur près d’un an. Chauffeur routier puis ouvrier du bâtiment la semaine, Katsuya Tomita ne pouvait en effet tourner que le week-end ses scènes !

Drôle de film que Saudade (mot portugais désignant un « mélange de mélancolie, de tristesse, de regrets, de rêverie, de nostalgie et d’insatisfaction »), c’est le moins que l’on puisse dire. Racontant plusieurs histoires autour de personnages dont Tomita décrit le quotidien avant de les faire se rencontrer, Saudade se déroule dans une ville japonaise de 200 000 habitants située au bord des collines. Touchée de plein fouet par la crise, Kôfu semble avoir imprimé sur ses habitants et nos deux héros une espèce d’amertume et de désespoir que le jeune rappeur exprime dans des raps rageurs d’où ressort tout son mal-être. Seul hic, c’est que Takeru pense que ce sont les Brésiliens qui lui ont piqué son boulot. Seiji, quant à lui, s’en prend la plupart du temps à sa femme sur laquelle il se défoule. Dans les deux cas, la crise économique et les rêves d’émancipation de Seiji et de Takeru déboucheront sur une terrible désillusion et le constat amer qu’ils ont échoué.

C’est un film étonnant à plus d’un titre. Financé à hauteur de 200 000 euros par un collectif de cinéastes indépendants fondé par le réalisateur, Saudade fait penser à Putty Hill de Matt Porter et dans son projet et toute l’énergie de son désespoir à Donoma de Carrénard (sans parler des rapports entre le  cinéma et la danse). Mais Saudade est un film plus complexe et déstabilisant, qui commence comme une chronique pleine de vitalité, d’ironie et d’humour sur deux Japonais tentant de s’en sortir en pleine crise avant de tourner peu à peu au drame grinçant voire à la tragédie sur fond de communautarisme. Adepte des travellings et des plans fixes, plus rarement de plans séquences, Tomita construit habilement et sûrement son film, dans un style maîtrisé entre réalisme et fiction, documentaire et vision onirique. Mais ne nous trompons pas, car le rêve de ces damnés japonais d’échapper à leur condition tournera bien vite au cauchemar. « L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage »… comme aurait dit l’autre.

http://www.youtube.com/watch?v=SMlIS6gPNrc

Film japonais de Katsuya Tomita avec Tsuyoshi Takano, Paweena Deejai, Ai Ozaki (02 h 40)

Scénario de Katsuya Tomita et Toranosuke Aizawa : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Dialogues : 

Compositions de Stillichimiya :