Ce film est certainement une des œuvres les plus justes sur la création artistique. Œuvre méandre, longue et sinueuse qui nous perd dans les rêves, fantasmes, souvenirs et réflexions de son auteur. Petit arrêt sur un des films ayant marqué la carrière de Fellini, mais aussi l’histoire du cinéma.
Les personnages sont d’une grande complexité ; ils agacent par leurs inconstances, puis émeuvent en raison justement de cette instabilité profondément humaine.
Le personnage de Guido, créateur tout puissant mais en proie au doute constant, est incarné à merveille par Mastroianni, flegmatique et un peu dandy. On ne connait Guido qu’à travers toutes les femmes qui peuplent réellement ou fantasmatiquement son univers.
La présence de ces figures féminines, toutes plus différentes les unes que les autres, structure le film et dévoile les aspirations contradictoires de Guido. Difficile d’ailleurs de ne pas y voir un double de Fellini, qui réalise justement ce huitième film et demi sur le thème du manque d’inspiration.
C’est ce passage à vide dans la création qui le mène à se perdre dans sa propre histoire pour un demi-film, de bric et de broc, mais qui n’en est que plus vrai et sincère.
Les personnages restent problématiques et insaisissables : les voix post-synchronisées créent une distanciation entre les acteurs et le spectateur.
La bande-son en décalé et les monologues intérieurs de Guido font des personnages des figures qui ne communiquent pas forcément ensemble. Il est frappant de voir le nombre de fois où les dialogues ne sont en réalité, que deux monologues qui ne se rejoignent pas. Les êtres ne s’écoutent pas, et les flots de paroles perdent leur sens. De ce décalage naît l’absurdité et l’humour de certaines scènes. C’est paradoxalement dans ces dialogues absurdes qu’apparaissent des instants de vérité.
Guido se construit un univers en parallèle au bavardage quotidien, et c’est cette distorsion de la réalité qui fait la force de Huit et demi.
Tout au long du film, le spectateur a constamment l’impression que l’espace et le temps sont reliés.
En effet, les mouvements de caméra extrêmement amples et le montage fluide donnent une appréhension de l’univers de Guido comme un tout cohérent. Cet univers singulier est incroyablement stylisé, parfois jusqu’à l’excès et la caricature.
Le monde de Fellini est haut en couleurs : les personnages sont tous des types, des gueules frappantes. L’usage du gros plan ou bien de jeux de lumières déformants donnent aux visages et aux corps des allures de cirque. Le cinéma de Fellini relève bien de ce spectacle populaire qui joue sans complexe sur le grotesque et le monstrueux. Mais ses personnages d’attractions ne sont jamais montrés du doigt, c’est sous l’angle de la nostalgie ou du regard enfantin des contes de fées, qu’ils trouvent leur place dans l’imaginaire du réalisateur. Fellini semble, dans la scène finale, revenir aux origines du cinéma comme spectacle de foire. On peut même voir le film comme un enchaînement de numéros et d’attractions, l’un appelant l’autre au gré des sensations.
Fellini laisse ici aller ses souvenirs et émotions dans une forme proche du rêve, plus juste qu’une construction narrative qui serait artificielle. Le manque de cohérence de ses impressions et de ses fantasmes se ressent dans la forme même de l’œuvre : Fellini nous fait entrer dans son univers et voir le monde avec la même difformité cruelle et magnifique que lui.
Mona J.
Huit et Demi – réalisé par Federico Fellini – Avec : Marcello Mastroianni, Anouk Aimée