Sous les feuilles du marronnier de la compétitivité, un (gros) arbre, planté par la Fondation Copernic et Attac. Quelques branches sont visibles ici…. Rouges !
Je ne saurais trop vous conseiller de lire l’intégralité du document, particulièrement éclairant et synthétique des enjeux que porte la notion de compétitivité, mise à toutes les sauces et notamment ultra-libérale du moment. Le texte m’a semblé fort riche, et potentiellement porteur de bien des débats. Ils seront certainement beaucoup plus utiles à l’édification des consciences individuelles et collectives que la baisse inexorable du coût de la main d’œuvre qui ne peut contribuer qu’à faire pencher la balance de la répartition des richesses du mauvais côté : celui du portefeuilles déjà bien rempli de l‘actionnaire majoritaire… C’est pourtant malheureusement la voie sans issue choisie par le gouvernement, qui entérine la parole du Medef en prenant pour prétexte le rapport Gallois. Misère de la pensée socialiste du moment. Et surtout, erreur funeste : ce choix est en train d’accélérer la fracture idéologique du Parti socialiste. Mais là n’est pas notre propos et revenons à notre marronnier…Contribuons à la construction d’un autre monde par la diffusion de nos idées et d’une pensée alternative. Morceaux choisis :
« En finir avec la compétitivité »
SYNTHESE :
Le thème de la compétitivité est un marronnier des débats de politique économique. C’est une obsession tenace malgré la difficulté à en proposer une définition claire et admise par tous, sinon sous une forme tellement vague qu’elle se prête à toutes les interprétations : « La définition généralement retenue de la compétitivité d’une nation est la capacité à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale », nous dit le CAE [1]. Les auteurs ne cachent pas « les réserves méthodologiques que le concept suscite » [2] et ils rapportent même le propos de Paul Krugman « contre la “dangereuse obsession” de compétitivité de l’administration Clinton et de l’Union européenne » car « la compétitivité est un mot vide de sens lorsqu’il est appliqué aux économies nationales » [3]. Vide de sens,mais symbolisant très bien les stratégies patronales de pousser encore plus avant la libéralisation de l’économie et du « marché » du travail en particulier, malgré « l’inscription de la cohésion sociale dans les politiques de compétitivité » [4] affirmée par la Stratégie de Lisbonne.
Concernant la France, la rengaine est connue : notre pays souffrirait d’un déficit de compétitivité dû à un coût du travail trop élevé. Les pertes de part de marché et la comparaison avec l’Allemagne sont évoquées pour justifier ce diagnostic, le patronat prônant un « choc de compétitivité » basé sur un allégement massif des cotisations sociales transférées sur les ménages par le biais d’une augmentation de la CSG et/ou de la TVA. Le Journal du Dimanche, dans son édition du 28 octobre, titrait à sa une : « L’ultimatum des grands patrons ». Dans ce journal, le lobby du haut patronat, regroupé dans l’Association française des entreprises privées (AFEP), fait valoir haut et fort ces exigences : une baisse massive des dépenses publiques et du coût du travail.
Les vraies raisons de la fragilité de l’industrie française
Certes, les aspects compétitivité hors-prix, c’est-à-dire liés à la qualité des produits, leur degré d’innovation technologique, l’adaptation à la demande… ne sont pas totalement ignorés. Il serait difficile en effet de ne pas voir, si on en reste à la comparaison avec l’Allemagne, le niveau insuffisant de la R&D en France : 2,1 % du PIB contre 2,8 %. Ce différentiel est également très marqué si l’on considère les dépenses en R&D du secteur privé : 15 milliards d’euros de ce côté-ci du Rhin, contre 31 milliards de l’autre en 2008.
De même,tout le monde s’accorde pour pointer le problème des rapports entre les grands groupes industriels et leurs sous-traitants. L’externalisation des activités des grandes firmes a uniquement pour objectif de faire baisser les coûts en les reportant sur les PME sous-traitantes, multipliant ainsi les pratiques abusives. La dépendance par rapport aux grands groupes, qui peuvent les abandonner pour accroître leur rentabilité, explique en partie la difficulté des PME à avoir accès au crédit bancaire. Sur ces points aussi, la différence avec l’Allemagne est patente.
Enfin, la sensibilité des exportations françaises au taux de change de l’euro est largement connue. Entre janvier 2002 et avril 2008, l’euro s’est réévalué de 78 % par rapport au dollar. Conséquence, depuis 2002 cette hausse aurait freiné les exportations françaises à la hauteur de 0,3 point en moyenne par trimestre. Le contraste est manifeste avec l’Allemagne qui, se situant sur des créneaux haut de gamme, est moins sensible aux variations de prix.
Ces faiblesses de l’industrie française, si elles ne sont pas ignorées, sont de, fait, laissées de côté par la plupart des commentateurs. Les résultats du commerce extérieur sont mobilisés pour dramatiser la situation sans que jamais la validité des chiffres ne soit elle-même interrogée. Ainsi, la stratégie des firmes dans la mondialisation n’est que très rarement évoquée. Le redéploiement des processus productifs a pour conséquence une différence croissante, et variable selon les pays, entre la compétitivité d’un espace national et celle des firmes « nationales ». Dans le cas des firmes allemandes, la sous-traitance internationale est utilisée systématiquement, mais la phase finale d’assemblage se fait en Allemagne. Une part importante des exportations allemandes correspond donc, en fait, à du simple réexport pour une bonne partie du produit fini. A contrario par exemple, les importations vers la France des « Logan » produites dans les usines Renault de Roumanie sont comptées comme exportations roumaines. La contribution à la performance du pays peut se dégrader à partir du moment où les firmes réalisent une partie croissante de leur chiffre d’affaires à l’étranger. C’est le cas des grands groupes français, dont le chiffre d’affaires réalisé en France augmente très lentement, toute la croissance se faisant en Europe et dans le reste du monde.
Ce phénomène de croissance sur le marché mondial peut se combiner avec l’utilisation des prix de transfert entre sociétés membres d’un même groupe, de manière à localiser le bénéfice final dans un pays à fiscalité avantageuse, voire dans un paradis fiscal. Rappelons que le commerce entre filiales d’un même groupe représente environ un tiers des échanges de la France. Les statistiques des exportations nationales s’en trouvent donc largement biaisées. Ainsi, plus de la moitié du déficit commercial de la France vis-à-vis de l’Allemagne (10 milliards d’euros) serait due à une manipulation des prix de transferts.
Le coût du travail, bouc émissaire
Le débat public se concentre sur le coût du travail sur la base de données souvent discutables. En effet, les données de référence d’Eurostat posent problème tant sur la comptabilisation des heures de travail qui sous-estime la durée du travail en France, que sur le calcul de la masse salariale qui surestime le poids, en France, de la formation professionnelle dans le coût du travail. De plus, ce débat est en général biaisé. D’une part, il ne prend que rarement en compte la productivité du travail, c’est-à-dire le coût salarial unitaire. Or, les écarts de productivité entre pays sont plus grands que les écarts de coût horaire. D’autre part, il mêle allégrement coût du travail dans l’industrie et dans les services marchands. Or, la productivité augmente plus faiblement dans les services que dans l’industrie.
Le coût salarial unitaire baisse en moyenne dans la zone euro sauf pour le Royaume-Uni, le Danemark, l’Italie, l’Espagne et la Grèce. En France, il baisse de 0,5 % par an de 1996à 2008, en Allemagne de 0,7 %. Globalement,on constate une tendance à la convergence des coûts salariaux unitaires dans la zone euro, avec une baisse dans l’industrie et une hausse dans les services. Ces constats, combinés au caractère biaisé de certaines données statistiques, démentent l’affirmation selon laquelle il y a eu en France une dérive du coût du travail qui plomberait la compétitivité des entreprises.
Le coût du capital passé sous silence
Mais surtout, on met toujours en avant le coût du travail alors que le coût du capital n’est quasiment jamais évoqué. Pourtant, les revenus nets distribués représentent aujourd’hui 9 % de la valeur ajoutée des sociétés non financières, niveau historique record depuis la Seconde Guerre mondiale, contre 5,6% en 1999. La part dévolue aux actionnaires a donc crû dans des proportions considérables ces douze dernières années. Autrement dit, la complainte patronale faisant de la baisse du taux de marge la raison profonde des faibles investissements et du moindre effort en matière de recherche et développement, passe sous silence le fait que, crise ou pas crise, la part de plus en plus lourde que les entreprises choisissent de distribuer aux propriétaires du capital affaiblit leur capacité à faire face à tous les aspects de la compétitivité.
Dans cette situation, l’exigence patronale d’un transfert massif des cotisations sociales vers les ménages (en grande majorité salariés) apparaît pour ce qu’elle est : le refus de toucher aux dividendes versés aux actionnaires. Cette demande est d’autant moins fondée que le bilan des exonérations actuelles de cotisations sociales est pour le moins problématique. Voici ce qu’en dit la cour des comptes en 2009 : « La cour avait relevé que les nombreux dispositifs d’allègement des charges sociales étaient insuffisamment évalués en dépit de la charge financière croissante qu’ils représentaient pour les finances publiques (27,8 milliards d’euros en 2007, soit 1,5 % du PIB). S’agissant des allègements généraux sur les bas salaires, leur efficacité sur l’emploi était trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité. »
Pourtant, c’est une nouvelle baisse de cotisations sociales que préconise le rapport Gallois. L’argument de l’emploi est laissé de côté au profit de celui de la compétitivité. Les 30 milliards d’allégements qu’il prône se décomposeraient en 20 milliards d’allègements de cotisations patronales et, plus inédit, 10 milliards d’allègements de cotisations salariales.
Dans le cas d’une baisse des cotisations employeurs, il y a gain pour les employeurs, neutralité pour les salariés en termes de salaire direct et baisse de pouvoir d’achat des ménages, s’il y a compensation par la fiscalité et si celle-ci prend la forme d’une augmentation de la CSG et/ou de la TVA. Dans le cas d’une baisse des cotisations salariales, il y a, en instantané, neutralité pour les employeurs et gain de salaire direct pour les salariés, ce gain pouvant toutefois être plus ou moins annulé par une augmentation correspondante de la fiscalité. Au total, il s’agit bien de faire payer aux salariés et aux ménages une prétendue déficience de compétitivité, le niveau des profits, surtout celui des profits distribués, restant bien sûr incontesté.
La compétitivité au détriment du travail est une voie non coopérative sans issue
La baisse du coût du travail ne prend pas comme seule forme celle des allégements de cotisations sociales. S’y combine un accroissement de la flexibilité du travail. La déréglementation brutale du marché du travail est un élément essentiel des politiques de compétitivité. Assouplissement des conditions de licenciement, modulation de la durée du travail, temps partiel imposé touchant essentiellement les femmes, remise en cause de la durée légale du travail…, la liste est longue des mesures visant à remettre en cause la norme du contrat de travail à durée indéterminée. On assiste partout en Europe à une attaque sans précédent des droits des salariés.
Il s’agit en théorie avec ces politiques de favoriser les exportations. Comprimer les coûts pour gagner des parts de marché à l’export, tel est l’impératif catégorique que l’on veut nous imposer. Mais cette logique est prise dans des contradictions dont elle ne peut sortir. En effet, l’essentiel des relations commerciales des pays de l’Union européenne a lieu à l’intérieur de l’Union. Les clients des uns sont les fournisseurs des autres et les déficits des uns font les excédents commerciaux des autres. Vouloir, dans cette situation, que tous les pays copient le modèle allemand et se transforment en exportateurs est impossible. La contraction de la demande interne dans tous les pays, produite par la réduction des coûts salariaux et les coupes dans les dépenses publiques, pèse sur le commerce extérieur de tous. Où exporter lorsque tous les pays réduisent leur demande ? La baisse de la demande interne ne peut qu’entraîner une réduction des exportations et aboutir à une récession généralisée. C’est la situation actuelle en Europe qui voit même l’Allemagne aujourd’hui touchée par la contraction économique.
Vers un autre modèle de développement
La compétitivité est donc une voie sans issue, économiquement absurde et socialement destructrice. C’est un autre modèle de développement qu’il faut aujourd’hui promouvoir tant pour des raisons écologiques que pour des raisons sociales. Il faut en finir avec la logique même de la compétitivité qui, basée sur la concurrence de tous contre tous, aboutit à un état de guerre économique permanent qui appauvrit les populations et détruit les équilibres écologiques. Ce nouveau modèle de développement doit être fondé sur les principes de la coopération, de la rupture avec un consumérisme destructeur, de la réponse aux besoins sociaux, de la réduction des inégalités et de l’ouverture d’une transition écologique. Cette dernière suppose notamment une véritable révolution énergétique aux antipodes de la fuite en avant dans le nucléaire, dans les combustibles non conventionnels tels que les gaz de schiste, comme le préconise, de fait, le rapport Gallois, ou dans des projets d’infrastructures inutiles et destructrices et de surcroît rejetées par les populations [5].
C’est dire que le débat sur la compétitivité ne peut se réduire à une discussion étriquée sur des recettes, inefficaces au demeurant, pour soi-disant relancer la croissance, mais doit poser la question de la société dans laquelle nous voulons vivre.
[1] Conseil d’analyse économique (CAE), « Compétitivité », rapport de Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, 2003, paris, La Documentation française, p.8.
[2] Ibid., p. 11.
[3] Ibid., p. 7.
[4] Ibid., p. 11.
[5] L’exemple actuel du nouvel aéroport de notre-Dame-des-landes.
————————–
SOMMAIRE
1. Les faiblesses de l’industrie française p. 6
2. Les faux-semblants de la compétitivité p. 9
3. Coût du travail ou coût du capital ? p. 12
4. Allègements de cotisations sociales : une politique perdante p. 19
5. L’enjeu de la flexibilité du travail p. 21
6. La logique « sociale » de la compétitivité p. 23
7. En finir avec la compétitivité p. 25
L’intégralité du document en PDF