Nuit d’amour
L’œil de la raison
Chavire et valse
Et le signe d’entre les jambes des femmes
S’ouvre
Pour les fleurs d’or de la justice.
Le boyau d’étain mou
Roule des sentiments liquides,
Expulse des baisers
Sur les mains chaudes aux ongles noircis
Par la nuit.
La nuque abrite
Les rats nourris de sueur et les rats d’eau des larmes
Déjà pourris et verts.
Les doigts de Dieu sur les flancs
Et les dents de la révolte
Sont aux deux bouts de la haine ;
Entre les deux les seins boivent au zodiaque
Comme du petit lait
L’haleine des vieux souvenirs crevés
Sur deux cuisses mortes et froides.
Si sur ce champ sans aurore
Renaît le soleil
Et s’évapore
L’humidité de la mort,
Racines des étoiles,
Sirènes nues,
C’est par l’hélice de la langue
Que vous ferez jaillir la vérité vêtue
Mors de la bouche fontaine
Du prochain jour.
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Ecrit sur la mer
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Alors, poète, si la rose n’entend pas,
Si le vent et le rossignol n’ont pas d’oreilles,
Si seul au sein des merveilleuses apparences,
Tu n’entends que ton cœur, ne parles qu’à toi-même,
Si le vrai Dieu est trop grand pour ta contenance
Qu’à le nommer déjà tu en fais une idole,
Qu’à le penser tu le peins d’ébène et d’or,
Qu’à le prier tu distends ta propre substance,
Si l’immense innomé, l’indispensable insensible
N’est si près de toi que dans l’absolu silence,
Paradis perdu au verbe de ton essence,
Alors tu n’attends plus rien du jardin des réponses,
Laisse pousser le pavot et le tournesol,
Laisse la parole au perroquet chrysostome
Et les quatre saisons au temps multicolore,
Alors, dresse-toi, poète, et va sur les flots,
Le cœur dans la main et l’amour au vent du large.
Voici que vient vers toi la voix de l’autre rive,
Que déjà se baisent les échos de l’amour,
Que l’inutile rose se fane à l’aurore.
. Tandis que s’allument les feux de la conquête,
Tous mirages dehors et pavillons claquants,
Au couteau trace sur l’écorce de la mer
Deux noms entrelacés, et vogue la galère!
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J
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Bègue Ventriloque
Ok Okokok
Dans sa vessie est remonté après une descente en parachute
Le cerveau de l’aimée
Œuf à la coque de ses rêves cuits
Beurre Soufre Platine
Et puis rien
Et alors
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Attente
Les hirondelles du souvenir
Voyagent d’un doigt à l’autre
Et sur le bout du doigt
Le lézard vert de l’avenir
Mange les mouches du cœur.
Je donnerai cette pastille,
À la langue qui baisera l’ennui fidèle,
J’accepterai la main
Qui donnera des graines de soleil,
De lune, d’étoiles et de nuages
À mon perroquet vert.
Je crie :
À moi, à moi, à moi !
Mais je sais bien que ce n’est qu’un perroquet à l’œil vorace,
Car je n’appelle pas, ni moi, ni vous ni personne.
Sous le masque j’ai mis le vide.
Dans le vide j’ai mis les mille lettres de l’alphabet,
Cela fait un beau concert
Bien qu’il n’y ait personne.
Et pourtant j’attends, j’attends,
J’attends le zéro qui ne viendra jamais.
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LES CHÂTEAUX
(chanté par Léo Ferré
Ils ont les châteaux de la Loire
Pour les amours de leurs week-ends
Comme ils ont dans leurs coffres-forts
Des battements de leur coeur d’or
Dans leur auto américaine
Majesté venez faire un tour
Vive le roi François!
Et vive le roi Louis!
Vive le roi Henri!
Salut les châteaux de l’histoire
J’ai pour château le coeur des belles
Claires amours de mes nuits blanches
Et se demain je suis un mort
Donnez des fleurs à la plus belle
Et baisez le sein le plus doux
C’est moi qui suis mort là-dessous
Vive Suze et Suzon!
Et vive ma reine Anne!
Et vive ma Suzanne!
Salut beaux bras comme des branches
Et mille châteaux en Espagne
Pour les amours de la misère
J’en ai bâtis plein l’univers
Avec des rires et des larmes
Frères il faut vivre et mourir
J’ai dans les mains la fleur des rêves
Vivent les quatre vents
Du matin jusqu’au soir
O châteaux des espoirs
Salut frères je vous emmène
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Bibliographie :
Romans
L’Autruche aux yeux clos, au Sans-Pareil, Paris, 1924.
Ariane, Éditions du Sagittaire, Paris, 1925; Éditions J.-M. Place, 1977.
Oui et Non ou La Cage dans l’oiseau, Prague, 1926 (inédit en français).
Clara des jours, Les Cahiers du Sud, Marseille, 1927.
Le Bar du lendemain, Emile-Paul, Paris, 1927; Gallimard, Paris, 1972.
Céleste Ugolin, Kra, Paris, 1928.
Frontières humaines, Éditions du Carrefour, Paris, 1929: Éditions Plasma, 1979.
Adolescence, Emile-Paul, Paris, 1930.
Elisa, Grasset, Paris, 1931.
Monsieur Jean ou l’Amour absolu, Grasset, Paris, 1934 (Prix des Deux Magots).
Smeterling, Corrêa, Paris, 1945.
Le Temps des catastrophes, Calmann-Lévy, Paris, 1947.
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Poésie:
Ombres, René Debresse, Paris, 1942.
Alerte, Lettres, Genève, 1944.
Ecce Homo, Gallimard, Paris, 1945.
La Nuit, la Faim, lithographies de Braque, Adrien Maeght, Paris, 1960.
Le Sang, la Sève, l’Eau et les Larmes, J. Gontal-Darly, 1968.
Cryptogrammes (20 lithographies et 20 poèmes), Pierre Chave, Vence, 1968.
La Ballade du soldat, 34 lithographies de Max Ernst, Pierre Chave, Vence, 1972.
Le Règne végétal, collages de Max Papart et photographies d’André Villers, Éditions de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 1972.
Anthologie de la nouvelle poésie française, Kra, Paris, 1928.
Anthologie des poètes de la NRF, Gallimard, Paris, 1960.
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Théâtre:
L’Empereur de Chine suivi de Le Serin Muet, au Sans-Pareil, Paris, 1921.
Le Bourreau du Pérou, au Sans-Pareil, Paris, 1928.
Faust, Imprimerie Paillart, 1931.
Théâtre [L'Empereur de Chine, Le Serin Muet et Le Bourreau du Pérou]
Né
d’un père gynécologue, musicien et peintre,
originaire d’une famille de fabriquant de dentelles, Georges
Ribemont reçoit une solide éducation, se tourne vers la
philosophie, compose des symphonies et des opéras puis, songeant
à devenir peintre, fréquente l’École des
Beaux-Arts où il se lie d’amitié avec notamment
Marcel Duchamp, Fernand Léger et Francis Picabia.
En 1913 il cesse de peindre et est mobilisé en 1915 dans les
services de renseignements aux familles. Il y compose ses premiers
poèmes dadaïstes avant la lettre et des pièces
de théâtre. À partir de 1919, il recommence
à peindre et publie des poèmes dans des revues, rencontre
Breton, Tzara, Éluard, Max Ernst…
En 1923 il quitte Paris pour pratiquer culture et élevage en province, écrit son premier roman L’Autruche aux yeux clos
tandis que le mouvement Dada prend fin et qu’émerge le
surréalisme qu’il va rejoindre mais de loin, n’y
participant que par intermittence. En 1929 il signe
d’ailleurs avec Prévert, Queneau, Desnos, Bataille… le pamphlet Un cadavre, particulièrement injurieux, qui manifeste leur rupture avec Breton « l’Inquisiteur ».
Pendant la guerre, il traverse de nombreuses difficultés puis,
après la Libération, s’installe non loin de Juan-les-Pins
pour y cultiver des fleurs. Pour vivre il écrit des
préfaces à des œuvres littéraires
classiques, des articles sur la peinture et réalise
également des émissions à la radio. Il poursuit
dans le même temps son œuvre littéraire,
poétique et romanesque dans une veine plus réaliste.
Il laisse une dizaine de roman, quelques pièces et essais et une
petite dizaine de recueils de poésie, souvent accompagné
d’oeuvres picturales de lui-même ou de ses amis artistes : Ombres (1942), Alerte (1944), Ecce Homo (1945), La Nuit, la Faim (1960), Le Sang, la Sève, l’Eau et les Larmes (1968), Cryptogrammes (1968), Le Règne végétal (1972). Ses thème favoris sont l’errance, la quête, la violence, le morbide…
Thèse de Jeanne Brun (2006)