Les Grecs ont passé depuis longtemps l'étape de quête de "compétitivité". Il ne leur reste plus que la dette à payer, et elle ressemble de plus en plus à un mur.
Par Stéphane Montabert.
Pour les Européens, l'affrontement de cette nuit entre Barack Obama et Mitt Romney pour la présidence des États-Unis a offert un passe-temps distrayant. Mais l'événement médiatique américain a permis aussi de cacher une actualité autrement plus pressante du côté d'Athènes...
Le problème ? La dette, encore et toujours.
Les Grecs ont passé depuis longtemps les étapes plaisantes du "partage des fruits de la croissance", de "l'effort de redressement", de la quête de "compétitivité" et autres escroqueries sémantiques dans lesquelles se vautrent avec délice les politiciens des quelques pays pensant encore avoir une marge de manœuvre.
Pour les Grecs il ne reste plus que la dette à payer, et elle ressemble de plus en plus à un mur :
La Grèce ayant bénéficié de deux lignes de crédit de quelque 240 milliards d'euros au total de la part de l'UE et du FMI, a vu mécaniquement sa dette croître.
Et ce d'autant que les fondamentaux économiques du pays s'effondrent et que le programme de privatisations, censé aider le pays à la résorber, a pris un énorme retard.
Comment un pays aux bons soins du FMI et de l'Union Européenne - dont la compétence n'est plus à prouver - peut-il encore se débattre dans la dette ? C'est à n'y rien comprendre. On serait même tenter d'en accabler le peuple grec, tiens.
En réalité, tout tient en un seul mot dans l'extrait ci-dessus : mécaniquement. La froide conséquence des lois de la physique, dont la comptabilité n'est qu'une application, comme le découvrent bien trop tard tous les apprentis-sorciers de la finance publique persuadés que la richesse peut jaillir en trafiquant les comptes ou la monnaie.
Depuis maintenant quelques années, la Grèce est soumise à un régime de cheval de réduction de ses dépenses publiques - en théorie, comme nous le rappelle l'éditorialiste de Contrepoints. La réalité est un petit peu plus compliquée.
Pour améliorer son bilan comptable, l’État grec dispose de plusieurs méthodes qu'on peut grosso-modo regrouper en trois catégories :
- La réduction "globale" des dépenses ;
- La privatisation de secteurs d'activité ;
- La hausse de la fiscalité.
Or, il se révèle que ces trois leviers n'ont rien d'équivalent. Le premier - baisser les rentes, salaires et émoluments de tous ceux qui dépendent de l’État - a l'avantage de répartir l'effort sur tout le monde. La pilule est difficile à avaler mais s'impose à l'aide de slogans à base de "partage" et de "solidarité". Les obstacles restent nombreux, notamment législatifs, face à des populations vulnérables comme les retraités.
Démocratiquement, l'approche est dangereuse, et incompatible avec le niveau de réduction concret qu'il faudrait atteindre pour que la méthode soit efficace.
Deuxième levier, le seul qui soit libéral et qui finira par s'imposer par la force des choses une fois la faillite consommée, revient à réduire le périmètre de l’État. Pour utiliser un vocabulaire employé dans le privé, l’État arrête de s'immiscer dans des secteurs d'activité non-essentiels pour ce recentrer sur ses activités de base, c'est-à-dire les fonctions régaliennes de justice, police et armée. Le reste, il le laisse à la société civile.
Dans une optique de retraite ordonnée (ce qui n'est évidemment pas le cas pour une faillite brutale) les pans du secteur public à l'abandon devraient être revendus. Il s'agit alors de renverser des forteresses du syndicalisme local pour les rendre au marché libre. Ce n'est pas simple : d'abord, ces bastions sont défendus par des gens ayant le secteur privé en horreur ; ensuite la revente prend du temps ; et enfin, la valorisation de ces ventes est souvent décevante.
Peu de clients se pressent au portillon pour acquérir rubis sur l'ongle des secteurs d'activité sinistrés par des décennies de mauvaise gestion étatique. Les investisseurs privés, vils capitalistes, espèrent acheter pour gagner de l'argent, certainement pas se ruiner pour acquérir à prix d'or des ateliers obsolètes garnis d'un personnel acrimonieux. Entre ce que l’État pense détenir et le prix auquel il parvient éventuellement à vendre, il y a un monde.
Cette situation se vérifie en Grèce. Le pays devrait ainsi lever 8,8 milliards d'euros d'ici la fin de l'année 2015, au lieu des 19 milliards qu'Athènes s'était engagée à lever en contrepartie d'une aide internationale. D'après un rapport, l'objectif "à long terme" de réaliser 50 milliards d'euros de recettes grâce aux privatisations est "repoussé".
Reste la troisième solution, celle de facilité par excellence: la fiscalité. En ce moment, les contribuables grecs en voient de toutes les couleurs, mais les veinards avec un emploi ne sont pas les seuls à être de la fête. Les pauvres et les chômeurs n'ont même pas la consolation d'échapper aux prélèvements obligatoires, devant s'acquitter de 23% de TVA sur tout ce qu'ils arrivent encore à consommer...
La Grèce (et une bonne partie de l'Europe, France incluse) ayant dépassé le point d'équilibre de la Courbe de Laffer, elle expérimente très concrètement la sagesse populaire selon laquelle trop d'impôt tue l'impôt.
La Grèce s'apprête donc à vivre une sixième année de récession consécutive - moins 6,5% de PIB cette année. Et je prédis sans peine une belle continuité de la trajectoire jusqu'à ce que les Allemands disent Nein et provoquent une faillite avec pertes et fracas.
Au vu des échéances électorales outre-Rhin, le mot fatidique devrait être prononcé en 2013.
Pour convaincre les plus réticents, ce petit tour d'horizon ne serait pas complet sans un graphique évocateur.
Vous la voyez, la belle courbe atteignant 120,5% d'endettement en 2020 ? Moi pas.
L'explication est évidente : l'économie grecque se délite à un tel rythme que le désendettement poussif de l’État ne suit pas - et ne peut pas suivre. L'économie hellène décroît plus vite que les dépenses publiques, le rapport entre l'un et l'autre empire. Résultat, la dette "exprimée en pourcentage du PIB" augmente continuellement.
La courbe ci-dessus inclut l'ardoise de 107 milliards d'euros gentiment effacée par le secteur privé (ou semi-privé, disons, dès lors qu'on parle de banques en Europe...) en 2012.
En conclusion :
- La Grèce va encore faire un défaut de paiement. Très bientôt.
- Le secteur privé ayant déjà été lessivé, la prochaine douloureuse sera provisionnée par les fonds européens ou internationaux (FESF, MES, FMI, ajoutez votre acronyme favori ici). On va voir ce que valent leurs garanties lorsqu'il faudra les activer.
Pas sûr qu'Athènes tienne jusqu'à la réélection de Mme Merkel, d'ailleurs.
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Sur le web.
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Grèce : encore un désastre de budget.