Soirée électorale, ici, aux États-Unis où les circonstances me mènent ce soir. Ce qui me permet de donner, en direct, les nouvelles à mesure qu’elles arrivent. En effet, une des premières impressions tient à la différence avec les soirées électorales que nous connaissons en France, où à 8 heures, on a le résultat. A l’heure où j’écris ce billet, (22H30 heures de New-York), nous n’avons toujours pas les résultats des trois plus importants « swing states » (Virginie, Ohio et Floride) même si on comprend, à mesure que les nouvelles partielles arrivent, qu’Obama devrait gagner. C’est l’effet à la fois de l’organisation politique du pays (il y a cinquante élections) et à son étendue géographique.
De l’hôtel où je suis, on est surpris de ne pas avoir de grande soirée électorale dominer toutes les chaines, à la différence de ce qu’on connaît en France. De même, on a des analyses très techniques, qui vont centrer sur tel ou tel comté significatif, avec une mesure des résultats affichant le pourcentage de votes dépouillés en temps réel. On observe également les élections sénatoriales, le nombre de délégués au collège électoral, le nombre total de votes (appelé « popular vote »), les élections à la chambre des représentants, éventuellement quelques référendums… Les techniciens et les analystes sont interrogés, et très peu les hommes politiques : on n’a pas de commentaire en directe des équipes électorales ou de représentants des partis. Comme si ce n’était pas une (des) élection(s) politique(s).
L’observateur remarque d’autres aspects, plus politiques, justement. Tout d’abord, une campagne électorale qui a été plus intéressante que celle de 2008 : tout simplement parce que le résultat n’était pas acquis d’avance, alors qu’en 2008 la victoire était évidente assez tôt, à cause de la charge symbolique du premier président noir. Pourtant en 2012, la campagne des primaires a été assez ennuyeuse puisqu’elle ne s‘opérait que du côté Républicain, dans une course à la droite emmenée par les radicaux du Tea party. En revanche, une fois Romney désigné, on a assisté à un recentrage accéléré fort intéressant de la part des Républicains. L’homme est devenu sympathique et nuancé, beaucoup plus en tout cas que le portrait historique qu’en dressait a presse française.
11H15, heure de New York : CNN annonce la victoire d’Obama.
Cette campagne a été terne, sans émotion et permettant donc un regard plus politique. La victoire d’Obama est d’abord un démenti à la règle qu’on a vue, principalement en Europe, du « sortez les sortants ». La raison en est au bilan d’Obama, mais aussi à l’erreur stratégique qu’a constituée la pression du Tea party. Son radicalisme a joué le même rôle qu’a joué, un temps, le FN en France, forçant la droite à se radicaliser et l’empêchant d’aller chercher les voix au centre. Le recentrage tardif, la pression des radicaux empêche non seulement la victoire présidentielle, mais aussi la conquête du Sénat : au moins six candidats sont retoqués à cause de leurs positions extrémistes. En ce sens, le système de publicité par les « comités politiques » en poussant à la radicalisation des Républicains a causé leur perte. Et cela confirme une loi générale : la puissance des extrémistes d’un camp favorise structurellement le camp d’en face.
Cette radicalisation va à l’encontre d’une sorte de « neutralisation » de la vie politique. J’ai déjà évoqué les oppositions démographiques, entre jeunes et vieux et entre blancs et autres (noirs et latinos). Notons d’ailleurs qu’Obama gagne dans les zones urbaines, quand Romney a l’avantage dans les zones rurales. Mais surtout, on assiste à une montée des « indépendants » : ceux qui ne se déclarent ni démocrates, ni républicains, et qui dans certains Etats représentent un tiers des électeurs. Ainsi, deux « indépendants » sont élus au Sénat. Autre signe de la neutralisation, le nombre d’électeurs qui déclarent ne pas pratiquer leur religion : ils représentent encore une majorité (51%) mais ils étaient 58 % il y a quatre ans. Cette déconfessionnalisation politique et religieuse me semble une donnée de fond, et une sorte de normalisation américaine. Avec des curiosités : le Massachussetts, l’Etat de Mitt Romney, vote pour Obama !
Pourtant, malgré ces évolutions, malgré cette réélection, Obama paraît assez mal élu. Le fait qu’il y ait eu un doute jusqu’au bout l’illustre, tout comme le vote populaire qui est tangent (même si en 2000, Al Gore avait gagné le vote populaire mais perdu l’élection). On y voit bien sûr ce système électoral antique, celui du balance of power. Cette procédure paraît aujourd’hui inadaptée et inefficace, comme les prochaines négociations sur la « falaise fiscale » vont bientôt l’illustrer. Toutefois, au-delà des clivages intérieurs américains, il faut bien remarquer la tendance générale, dans tout l’Occident, à l’inefficacité de nos gouvernements. Autrement dit, le système politique américain est peut-être imparfait, mais les systèmes occidentaux alternatifs (français, anglais, allemand) ne paraissent pas tellement plus convaincants.
Désormais, les pouvoirs politiques ont moins de pouvoir. Et ce n’est pas seulement dû aux systèmes électoraux ou institutionnels. Les commentateurs ont beaucoup évoqué le coût de cette élection, avec des budgets de campagne « tremendous » (un total de 5,8 milliards de dollars). Apparemment prouvant, le matraquage publicitaire a été moins efficace face à des formes renouvelées de militantisme de contact. Internet et le web 2.0 ont permis une réincarnation de la politique de proximité, plus efficace que la désincarnation publicitaire et individuelle. Obama a concentré sa campagne sur des publics très identifiés, nom par nom, et démarchés individuellement : noirs et latinos, femmes, jeunes et étudiants.
On pourrait également évoquer le bilan du président et ses perspectives d’action : ce sera l’objet d’un prochain billet.
O. Kempf