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Ce serait une déception ou une nécessité; la trahison que certains pressentaient avant même l'élection, ou le reniement dénoncé avant qu'il n'arrive mais qui arrive enfin.
C'est un choc... mais pas vraiment non plus.
Le vrai choc était ailleurs. C'était la Crise.
Le lendemain de la remise du rapport Gallois sur la compétitivité industrielle, mardi 6 novembre, Jean-Marc Ayrault a annoncé un relèvement de la TVA dans 18 mois, un crédit d'impôt de 20 milliards d'euros pour les entreprises industrielles, et 10 milliards d'économies supplémentaires sur les dépenses publiques.
1. Oui, la TVA est un impôt socialement injuste. Nous l'avons écrit et répété sur ces colonnes et ailleurs. Moins on gagne d'argent plus les revenus sont intégralement consommés ... et donc soumis à TVA. « Désolé Mr le Président, si j’ai voté pour vous, je n’ai pas voté pour cela » écrit l'ancien blogueur politique Yann Savidan. Hollande ferait du Sarko mais en moins grave, critique en substance son confrère Stef. L'ancien monarque nous avait concocté une hausse de 11 milliards d'euros de hausse de TVA pour octobre 2012, annulée par Hollande. A l'époque, le candidat avait fustigé cette hausse « improvisés, injuste, infondée » en des termes que nous lui rappelons aujourd'hui. Le relèvement proposé est de 7 milliards d'euros au total, à partir de 2014. Le taux normal serait augmenté de 0,6 point, soit un niveau très faible. Le taux réduit de 7% passerait à 10%, là sera le vrai choc pour certaines activités. Gageons que certains feront l'analyse: qui des ménages profitent réellement des services et produits taxés à 7% de taux réduit ? Nous trouverons que... ô surprise ! ... l'impact n'est plus socialement si grave.
2. La TVA est un impôt économiquement efficace. C'est triste à dire. Son assiette est large et il est difficile d'y échapper. Sur nombre de produits (pas tous, mais tout de même), il n'y a pas de délocalisation possible de la consommation. Mais ce n'est pas un impôt de compétitivité. Nicolas Sarkozy et son équipe avaient tenté de nous faire croire que la TVA pouvait être anti-délocalisation. C'était complètement faux: après une hausse de TVA, les tee-shirts chinois seraient modérément plus chers, ... comme les tee-shirts français. Match nul et débat débile.
3. Pour nombre d'entreprises - surtout celles à TVA réduite - une répercution de la hausse de la TVA sur le client est simplement impossible. C'est sans doute là le vrai "génie" de la mesure Ayrault. Comprenez l'argument: si la TVA a été un temps réduite pour certains biens et services, ce ne fut pas/jamais/même-pas-en-rêve pour le bénéfice des consommateurs-citoyens, mais pour soutenir le besoin sans doute légitime de soutenir certains secteurs (culture, travaux à domicile, etc).
4. Le gouvernement a quand même résisté à une intoxication collective et improbable, ce fumeux débat sans fin et systémique sur le coût du travail. Nous croyions benoitement que la Crise était celle d'un modèle, d'excès d'une financiarisation sans contrôle, d'économies shootées au crédit facile et à l'endettement public. Mais voici que le débat s'est focalisé, concentré, rétréci sur une unique proposition: le coût du travail. Après quel modèle courrons-nous ? L'Allemagne - dont les commandes industrielles fléchissent fortement ? Ou le Brésil, où 85% des ménages gagnent moins de 1050 euros par mois ?
Les lobbies ont bien marché, pense Seb Musset. Il ne faut pas confondre un crédit d'impôt avec des allègements de charges.
Car le plan Ayrault, autrement qualifié de pacte de compétitivité, comporte d'autres choses, bien plus agréables et louables, bien plus évidentes et incontestables. Avant de crier à l'abandon, au reniement, au sacrilège, encore fallait-il les lire.
1. Il est difficile, stupide, irresponsable de nier les difficultés de compétitivité de notre industrie. Le Louis Gallois, que d'aucuns ont voulu caricaturer comme à la solde du MEDEF voire de l'UMP, ne rappelait que des vérités quand il rappelait que l’industrie ne représentait plus que 12,5% dans la valeur ajoutée (contre 18% en 2000); que l’emploi industriel a dramatiquement chuté; que les exportations de l'industrie française ne représente plus que 9% des exportations européennes en 2011 contre près de 13% dix ans avant; ou encore que la balance commerciale hors énergie s'est dégradée de +25 Md€ en 2002 à – 25 Md€ en 2011.
Ces chiffres sont des faits et le rapport Gallois en contient bien d'autres.
D'ailleurs, nul besoin d'attendre le rapport Gallois pour comprendre qu'il y a le feu au lac. Le pays, comme d'autres, menace de sombrer. Certains esprits éclairés diront que ces incantations à la Crise sont l'habituel chantage à la pression sociale contre les précaires et pour sauver le Grand Capital.
Réveillez-vous ! Nous n'avons eu de cesse d'expliquer 5 ou 10 années durant, combien cette ancienne droite gouvernementale a ruiné le pays, avant puis pendant la Crise. Quelques esprits malins pensent raccourcir le débat sur l'ampleur des niches fiscales
2. Le gouvernement n'a pas retenu les allègements de cotisations sociales patronales (20 Md€) et salariales proposées par Louis Gallois dans son rapport (10 Md€), ni le relèvement suggéré de la CSG qui, du coup aurait été sacrément massif. C'est une très bonne nouvelle, insuffisamment commentée. C'est aussi un cap. Puisque certains s'intéressent aux symboles, soulignons celui-ci: le travail a un coût, la solidarité aussi. L'impôt pourra être réduit si vous embauchez.
3. A l'inverse, il lui a préféré un « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ». Et la mesure sera conditionnée à l'emploi: « Le montant du CICE sera calculé en proportion de la masse salariale brute de l’entreprise hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Les entreprises bénéficieront du CICE pour la première fois sur leurs impôts au titre de l’exercice 2013. »
4. Une nouvelle garantie publique permettra d’apporter "plus de 500 M€" de trésorerie aux PME. La mesure sera mise en œuvre à travers la Banque Publique d’Investissement (BPI) à compter du 1er janvier 2013. Le gouvernement recycle aussi le projet de Banque Publique d’Investissement (décision n°4), déjà annoncée; ou la prochaine loi bancaire prévue pour décembre (décision n°5) C'est de bonne guerre.
5. Il y a aussi ces décisions qui restent à préciser: Il attend ainsi les propositions des députés Karine Berger et Dominique Lefebvre sur la réforme de la fiscalité de l'épargne. Il veut créer une nouvelle bourse des PME pour leur faciliter l'accès au financement, via la création d'un "PEA-PME" (décision n°6). Ou citons ces futurs « nouveaux instruments de financement adaptés à l’ensemble des phases du processus d’innovation » (décision n°8). Il évoque aussi la refonte de la Conférence nationale de l'industrie, ou le lancement de stratégies de filières via le ministère du Redressement productif; ou encore l'accompagnement personnalisé de 1.000 ETI et PME à l'international dans le cadre de la BPI.
6. Quelques décisions étaient symboliques... à double titre: l'introduction d'au moins deux représentants des salariés au sein du conseil d’administration ou de surveillance comme membres délibérants dans les grandes entreprises. Le pas est légitime, mais comment sera-t-il franchi ? Autre symbole, Arnaud Montebourg a fait passer son label France, mais aussi la création d'un passeport Talent, ou la réduction des délais d'instruction réglementaire des grands projets d'investissement. La liste est longue, parfois très précise. C'est sans doute un pacte, mais aussi une feuille de route. Le calendrier était joint.
Au final, il fallait garder la tête froide.
Froide pour critiquer et non éructer.
Froide pour féliciter et espérer.