L'ours est, dans les Pyrénées, objet de polémiques après avoir nourri un légendaire immémorial. Et l'ours reste aujourd'hui encore, quoi qu'il en soit, l'emblème des Pyrénées. On a chassé, tué l'ours autrefois. On l'a montré sur les places, décimé, déploré, puis réimplanté.
Cela fait des années que j'aurai dû vous parler de ce livre d'Yves Salingue...
On en parle, on le guette, on le suit à la trace. On exhibe une brebis dépecée. C'est lui ... Mais qui a vu l'ours ? Yves Salingue - dont la tradition familiale s'est perpétuée dans la vallée, en proximité de l'ours réel, et qui a su moudre sa propre tradition orale à son propos - a repris les chemins secrets de la montagne. Il a mis à contribution les hommes de la ville et leur high tech pour qu'il lui fabriquent une machine à prendre l'imaginaire au filet, comme un papillon : un dispositif photographique qui fonctionne tout seul, la nuit, sans froisser la peau de l'ours, qui n'est pas à vendre. Notre homme, qui est l'un des rares à avoir vu l'ours des Pyrénées ces derniers temps, est le seul qui pût, soudain, faire taire le bruissement des on-dit, des médisances et de la rumeur fabuleuse. Et nous réserver ce saisissant face à face avec Artza.
Extrait
" Me reviennent soudain ces paroles de Selma Lagerlöf, dans Le Merveilleux Voyage de Nils Olgersson : « Je crois que les hommes ont décidé l’être seuls sur la terre, dit la mère ourse. Même si nous laissons les gens et le bétail en paix et ne vivons plus que d’airelles, de fourmis et de verdure, ils ne nous permettent plus de vivre dans la forêt. Je me demande où nous allons pouvoir déménager pour trouver la paix ? »
Nulle part, bientôt. Nulle part déjà. L’ours, l’homme l’imprime sur ses tee-shirts, puis il ouvre des syndicats d’initiative dont les dépliants proclament triomphalement : « Ici. jadis, vivaient des ours… »
Je pense à mon pays, à cette Haute-Soule, où il n’y a plus d’« Autre » - et alors qu’y a-t-il ? Du même, rien que du même ? A cette Haute-Soule où le beau mot Artza, le nom de l’ours, ne renvoie plus qu’à une chose morte, en allée, dont le sens se perd dans une mémoire endormie, et tous les sommeils ne s’ouvrent pas sur le printemps comme celui des ours.
Plaise au ciel – je veux dire à la nature et aux hommes – qu’en Béarn au moins l’ours continue à vivre. Il n’y a qu’un roi dans la montagne : Artza premier, Artza dernier, Artza qui dort et le ralentissement de son sang est la paix du monde, Artza qui gronde et c’est la voix du monde, Artza qui joue et c’est l’enfance du monde.
Tuez l’ours, vous êtes morts."
Yves Salingue