Malgré son âge vénérable - elle a vu passer les Rois et les Valets, les Archevêques et les Ministres - il lui arrive encore de s'envoler, une fois la nuit venue.
Je tiens l'information de cet oiseau, lui aussi plusieurs fois centenaire, qui a décidé de demeurer immobile il y a plusieurs décennies. À voir ce qui est arrivé à ses compagnons plus aventureux, on comprend cette sage décision devant le nouvel ordre des choses. Ses ailes s'impatientent, toutefois.
La vie des gargouilles n'est plus ce qu'elle était au Moyen-Âge. Parmi les plus jeunes, seules les plus téméraires s'envolent encore de temps à autre, tentant de faire attribuer leurs méfaits occasionnels à quelque phénomène naturel. Ces aventuriers de la nuit ont su résister aux attaques répétées d'humains revanchards.
Plusieurs se sont regroupées et organisent des vigiles. Chacun leur tour, quelques individus gardent une portion de ces vieux édifices qui les abritent depuis des siècles. À chaque 50 ou 70 ans, ils cèdent leur place à d'autres, pour pouvoir profiter eux aussi de la liberté de la nuit.
Il demeure encore aujourd'hui des créatures renégates qui refusent de se laisser intimider ou de se conformer à ce nouvel ordre des choses. On les aperçoit, parfois, le regard agressif, menaçant les passants, qu'ils espèrent retrouver une fois la nuit venue.
D'autres ont adopté la voie du mysticisme. Elles concentrent leurs efforts à tailler leurs ailes en observant le vol des anges, et espèrent que cette nouvelle spiritualité leur permettra de s'envoler vers un monde meilleur.
Peu importe leur vision du monde, chacune d'elles surveille le ciel, fixe l'horizon, toujours prête pour l'envol, attentive au moindre indice, à la première indication que l'heure d'un renouveau est enfin arrivé, que le règne des humains achève, que l'univers leur appartient de nouveau.
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C'était L'Esprit Vagabond, dans l'univers des gargouilles de York.
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* Le titre de ce billet est évidemment un hommage.