Pour un libertarien, l'intérêt pour le prétendant du Parti Libertarien Gary Johnson est assez évident et, surtout, cette fois, exceptionnellement fort.
Par Nick Gillespie, depuis les États-Unis.
Article paru initialement en anglais sur Reason.com. Rien de ce qui suit ne doit être interprété comme un soutien à un candidat. Cependant nous espérons que vous le jugerez intéressant, de même que son pendant sur Barack Obama (démocrate) et Mitt Romney (républicain).
Gary Johnson en 2011
Pour un libertarien, l'intérêt pour le prétendant du Parti Libertarien Gary Johnson est assez évident et, surtout, cette fois exceptionnellement fort.
Johnson, un ancien gouverneur (élu à deux reprises) du Nouveau-Mexique, un État profondément démocrate, n'est pas seulement le candidat le plus qualifié qu'ait jamais supporté le Parti Libertarien (LP) dans la course à la Présidentielle. À ce jour, il a plus d'expérience et perçoit mieux la réalité politique des opérations bureaucratiques d'un État que n'en a Mitt Romney, malgré son unique mandat de gouverneur du Massachussets, ou qu'en avait le naïf sénateur Barack Obama le jour où il a déménagé à la Maison Blanche. Ou même plus que n'en avait le républicain Ron Paul, Dr. No, quand il fut le prétendant du LP en 1988.
Mais l’avantage de Gary Johnson, un avantage aussi grand que le Mont Everest qu'il a encore récemment grimpé (en s’étant cassé la jambe peu avant !), c'est qu'il est réellement un fervent partisan d'un État limité, mais aussi de l’autonomie maximale des individus vis-à-vis des pouvoirs publics, de la liberté d'esprit, de la liberté économique, de l’accès égal au mariage, et soutient un engagement extérieur basé sur le commerce et non l'aide (ou les drones, ou l'intervention bottée), des frontières ouvertes, une certaine tolérance sociétale – et bien plus encore (suivez ce lien pour le programme de campagne de Gary Johnson). Alors qu'il était gouverneur du Nouveau-Mexique, il a agi selon ses convictions en termes de dépenses et de taxes, et a mis son veto sur des centaines de lois tout en promouvant la liberté scolaire, la réforme des prisons, la sous-traitance au privé d'activités publiques, et j’en passe. Ajoutons qu’il n'a jamais menacé d'envahir le Texas, l'Arizona ou le Colorado, ou même le Mexique.
Dieu sait si trouver un candidat expérimenté et impliqué n'a pas toujours été facile pour le LP. Il y a quatre ans encore, l'ancien républicain Bob Barr fut nommé candidat. Il était pourtant connu comme conservateur, va-t-en guerre, et supporter de la war on drugs jusqu'à ce qu'il embrasse les valeurs libertariennes consécutivement à l’échec de sa réélection à la Chambre en raison d'un redécoupage électoral suspect. Même en tant que représentant du LP et de ses positions, Barr n'était pas très à l'aise avec la volonté de politique étrangère non-interventionniste qui est fortement ancrée au sein du parti depuis la guerre du Vietnam. Et quand le LP ne met pas en scène de tels récents et ambigus convertis, il lui arrive de lancer des candidats qui ne sont pas parfaitement prêts à affronter les projecteurs. En 2004 ainsi, le LP soutint Michael Badnarik, un candidat intéressant et intelligent, mais qui n’eut guère d’existence médiatique. Badnarik finit avec 0,32% des voix, une de pires performances parmi les pourtant déjà peu enthousiasmants résultats du LP.
Cependant il ne faut pas conclure que Johnson représente un idéal pour tous les libertariens (qu'on définira, en gros, comme partisans de la responsabilité fiscale et tolérants au plan sociétal). Il a pu, pendant la campagne, dire quelques étrangetés, notamment à propos de Joseph Kony, le leader ougandais de l'Armée de résistance du seigneur (ARS). Dans une interview au Daily Caller qu'il donna plus tôt cette année, Johnson qualifia sans grande conviction l'ARS de "peut-être le pire groupe terroriste qui ait existé sur cette planète depuis les 20 dernières années". Hum, non. Et il a dû mettre un certain temps avant de pouvoir correctement expliquer ce qu'il considère être une "taxe juste", ou une taxe basée sur la consommation qui remplacerait toute les taxations sur le revenu (personnel ou commercial). Enfin, si je considère personnellement la vidéo où on le voit porté par la foule comme l'un des meilleurs moments de cette campagne (avec bien sûr l'improvisation et la chaise vide de Clint Eastwood), je peux très bien comprendre pourquoi certains hobbesiens de la dernière heure peuvent trouver ça quelque peu troublant de voir un potentiel dirigeant littéralement mettre sa vie entre les mains de la multitude.
Mais malgré tout Gary Johnson est parfaitement ce que n'importe quel parti pourrait souhaiter avoir en tant que candidat. Sa vie privée et sa vie publique sont des modèles, il est plein d'énergie, et surtout depuis qu'il s'est enfin débarrassé de ses derniers liens avec le Parti Républicain, comme un papillon quittant pour de bon sa chrysalide, il est naturellement charismatique quand il pointe les différences entre ses propres vues et celles d'Obama et Romney. Il y a encore quelques semaines, je l'ai vu acclamé par 500 personnes à l'Université de Cincinnati par sa façon unique d’évoquer les dépenses du gouvernement et la dette, la politique étrangère ruineuse dans laquelle nous sommes engagés, et les ingérences fédérales croissantes dans le travail et la chambre des citoyens. Il est le meilleur dans les deux domaines : c'est un chef qui peut faire réagir chaudement un public entier, mais qui sait insister sur le fait que vous et vos choix - et non pas un quelconque agenda basé sur la coercition étatique - viennent en premier. Il est aussi le meilleur candidat pour promouvoir le meilleur d'un monde où les individus auraient le pouvoir entre leurs mains. Nous n'avons pas besoin d'un leader qui décide pour nous ; nous avons besoin de quelqu'un capable de créer et de faire respecter des règles simples dans un monde complexe.
Aussi, si vous votez et voulez à travers ce vote exprimer vos convictions politiques, il n'y a nulle autre option pour les libertariens que Gary Johnson.
Mais bien sûr, Gary Johnson ne va pas gagner cette élection. En effet, si le passé a une quelconque valeur prédictive, il va plus sûrement finir avec moins de 1% du vote national. Aussi la question qui importe donc autour de sa candidature, bien plus dure à répondre, est pourquoi vous devriez voter pour un homme qui mène, et en est conscient, une cause perdue.
En fait, Johnson a déjà répondu à cette question à sa manière simple : "un vote gâché, dit-il, est un vote pour une candidature qui ne vous inspire aucun espoir". Il essaye donc de pousser les gens à "gâcher" leur vote, s'adressant au public lors d'un meeting à New York University : "Nous pouvons faire une différence dans cette élection. Gâchez votre vote !" Mais en quoi pousser le résultat de Johnson au dessus des 1% - et, idéalement plus haut que l'écart entre Romney et Obama - pourra-t-il faire une différence ?
De plusieurs façons, en fait, mais laissez moi insister sur une seulement. Un Johnson atteignant un score élevé fera passer le message clair que les 10 à 15% de l'électorat qu'on peut définir comme libertarien n'est pas, ou n'est plus à considérer par les candidats des principaux partis, comme gagnés d'avance. Les électeurs sont en train de quitter les camps démocrates et républicains en nombre record au moment même où ils estiment que l’État est trop étendu, trop cher, et trop impliqué dans tous les aspects de leur vie. Est-il si compliqué de remarquer que ces deux aspects sont liés ?
Soyons clairs : ni les démocrates ni les républicains ne risquent de courir à la faillite sous peu. Les États-Unis ont toujours été dominés par deux partis, et depuis presque 160 ans, les deux partis en question sont ceux représentés aujourd'hui par Barack Obama et Mitt Romney. En revanche, ce qui peut changer, ce sont les programmes de ces deux partis. C'est déjà arrivé auparavant. Grover Cleveland et ses deux mandats ne passeraient pas pour démocrates de nos jours, et Teddy Roosevelt ne dominerait pas le GOP d'aujourd'hui. Longtemps le parti des ségrégationnistes, le parti démocrate a changé de voie quand il s'est aperçu qu'il n'y avait plus de potentiel de voix sur ce sujet. Et sans souffrir une quelconque perte en termes de crédibilité ou de support, Ronald Reagan a pu dénoncer la Sécurité Sociale (NdT: dans le sens américain, Social Security est le système de retraites par répartition) et Medicare comme des abominations socialiste en 1964 et les considérer comme les sacrosaints blocs de l'exception américaine au moment où il devint Président.
Les républicains s'orienteront dans une direction libertarienne le jour où ils réaliseront enfin que l’éthos libertarien, vivre et laisser vivre, ne représente pas un nihilisme moral mais un futur crédible et durable dans un monde globalisé. Qui voulez-vous à vos côtés dans ce grand voyage dans le futur : Todd Akin ou Gary Johnson ? Les républicains ont échoué à accepter l'évidence que fut le désastre inconditionnel de l’ère Bush. Laissons de côté les questions sociétales pour le moment. Mais Georges W. Bush - en accord total avec un Congrès mené par John Boehner et Mitch McConnell, tous deux rodant encore dans les corridors du pouvoir aujourd'hui - a lâché la bride de la dépense et du capitalisme de copinage. Ce fut un cataclysme en termes d'extension du gouvernement, l'équivalent politique de l'ouragan Sandy. Et il fit cela avec l'aide inconditionnelle d'une majorité du GOP qui signa pour le Patriot Act, le Medicare Act Part D, l'invasion de l'Irak, la création de la TSA, et TARP. Les tentatives non convaincantes et sans consistance de Mitt Romney pour nous convaincre qu'il peut brider les dépenses tout en "préservant" et même "renforçant" Medicare et la Sécurité sociale, et même augmenter les dépenses militaires jusqu'à 4% du PIB, démontrent sans appel que les Républicains n'ont toujours pas reçu le message des élections intermédiaires de 2006.
De leur côté, les démocrates doivent encore apprendre la leçon de 2010, quand les votes ont envoyé exactement le même message. En 2010, le parti de Thomas Jefferson a accusé la défaite non pas malgré les fortement vantés succès "historiques" d'Obama, mais précisément à cause d'eux. L'Obamacare, les stimuli, les renflouages financier, les interventions stupides un peu partout, de Detroit à l'Afghanistan jusqu'à la procédure de classement des équipes de football universitaire - tout ça a enclenché l'étincelle d'une grande et évidente réaction venue de grands pans de l'électorat. Et pourtant, Obama et son équipe n'ont toujours pas changé un seul mot ou titre dans leurs discours. Si vous ne votez pas pour les démocrates, disent-ils, alors ce sera l'anarchie. Tout ce qui fait des États-Unis un pays moderne et civilisé sera anéanti pour toujours, et nous bombarderons des pays entiers, et les femmes seront nus pieds et forcées de rester dans leurs cuisines. Le ciel sera à nouveau voilé par la fumée des cigares que des ploutocrates allumeront à l'aide de billets de 1000$ à l'effigie d'Ayn Rand, tandis que l’on produira de l'énergie à l'aide des pauvres, des plus faibles, et des immigrants qui n'ont pas la chance d'être syndicalisés. Ce sera The Hunger Game, mais sans les rires. La chose la plus importante, nous disent sans ciller les démocrates, est que la dépense étatique ne peut jamais, jamais se réduire car elle est toute entière parfaitement essentielle et nécessaire, et on peut la faire perdurer seulement en demandant aux super-riches de payer juste un tout petit peu plus. On dirait le plan Culottes-Profit des gnomes dans South Park, mais en moins détaillé.
Ce qu'aucun parti ne comprend est que le peuple américain - et notamment la frange libertarienne de l'électorat - est rentré dans le 21e siècle. Comme l'illustre le récent sondage international CNN/ORC, "seuls 4 votants sur 10 pensent que le gouvernement devrait promouvoir les valeurs traditionnelles, contre 53% en 2010 et 57% en 2008". Dans le même temps "6 sur 10 estiment que le gouvernement agit trop et devrait laisser la main aux particuliers et aux entreprises". Pouvez-vous imaginer ça ? Alors, répétons le, que les troupes quittent les partis traditionnels en nombre record, les Américains émettent un message que ne renierait pas un libertarien sur la responsabilité fiscale et la tolérance sociétale. Et c'est très exactement ce message que Gary Johson est en train de promouvoir en tant que candidat du parti libertarien. Qui plus est, il n'a même pas à gagner pour faire comprendre aux démocrates et républicains qu'ils peuvent continuer à mener le jeu politique en ôtant les divers carcans qu'ils nous ont imposés et en nous laissant plus d'espace, plus de liberté pour décider par nous-mêmes. Nous ne parlons même pas ici d'un scénario anarcho-capitaliste au carrefour entre Neal Stephenson, Nozick et Zardoz. Nous reconnaissons juste que le gouvernement fédéral ne peut pas être derrière (littéralement et de façon imagée) toutes nos conversations, qu'il ne peut pas continuer à dépenser 40% de plus que ce qu'il prélève, ou encore qu’il s’imagine gagner une quelconque confiance internationale à travers l'occupation militaire, le bombardement à moitié criminel et l'usage de drones.
C'est là, en substance, le message qu'un vote pour Gary Johnson enverra, et surtout s'il attire à lui, disons, 5% des votes alors que l'écart entre Obama et Romney sera de 2%. D'après le sondage pour Reason-Rupe, les soutiens à Johnson proviennent à égalité des deux camps, ce qui signifie qu’ils n'auront personne à blâmer mis à part eux-mêmes. Alors, les candidats et leurs partis respectifs pourront commencer à travailler à résoudre cette situation en changeant leurs programmes à temps pour la prochaine élection.
Dans un slogan de campagne mémorable, Johnson demande aux électeurs d'être "libertariens avec moi juste pour cette fois". Qui sait ? La prochaine fois, peut-être, il se pourrait que l’on soit libertarien, mais pour un candidat républicain ou démocrate.
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Traduction Contrepoints - Lire aussi notre dossier présidentielles américaines