Les élections présidentielles américaines du 6 novembre 2012 seront serrées
pour départager le Président sortant, le démocrate Barack Obama (51 ans), et le candidat millionnaire républicain Mitt Romney (65 ans). Petit guide pour la nuit électorale.
C’est cette nuit que les électeurs américains vont choisir leur
prochain Président. En fait, ce mardi 6 novembre 2012 n’est que le dernier jour des opérations de vote
puisque le Président sortant lui-même a déjà voté il y a quelques semaines. Les électeurs peuvent en effet voter depuis 2004 au cours d’une période assez étendue de plusieurs semaines.
Tout est très différent du processus électoral français.
Pas de silence de réflexion
Les électeurs américains peuvent donc voter en pleine campagne électorale qui, elle, ne s’arrête pas (les
candidats peuvent faire campagne à l’entrée des bureaux de vote). Contrairement à la France, le jour du vote (election day) est en pleine semaine, toujours le premier mardi du mois de novembre,
tous les quatre ans ou tous les deux ans (on y élit non seulement le Président des États-Unis mais aussi les représentants, c’est-à-dire les députés, les sénateurs, les gouverneurs, pas tous pour
ces deux derniers).
Comme c’est un jour de travail ordinaire, et qu’il n’y a aucune règle qui permet de prendre congé, c’est
assez difficile, parfois, de voter le jour du vote, d’où cette (nouvelle) possibilité de voter avant ou par correspondance. Des électeurs américains pourront aussi voter en connaissant déjà les
premières tendances : le pays est grand, étendu sur quatre fuseaux horaires et l’électeur de San Francisco peut connaître avant la fermeture de son bureau de vote le résultat (et pas les
sondages) du vote dans les États de la côte est.
Conditions de campagne très différentes
Tout est très différent et notamment la sincérité du scrutin. Le matériel pour voter est très hétérogène d’un
État à un autre. En 2000, la Floride était sur le fil et a parmi l’élection de George W. Bush contre Al Gore
sur environ cinq cents voix parce que de nombreux bulletins n’ont pas été pris en compte. En Floride, pour voter à cette époque-là, il fallait poinçonner un bulletin très compliqué avec beaucoup
de choix (élections locales etc.) et certains électeurs l’avaient mal perforé. Il y a aussi des machines électroniques dont la capacité de sincérité et d’inviolabilité reconnues par tous les
électeurs reste sujette à caution.
Pour le déroulement de la campagne, la Cour suprême a validé le principe qu’il n’y avait AUCUN plafond des
dépenses électorales. Ainsi, les États-Unis vont de surenchères en surenchères, élections après élections. C’est la course aux millions. Cette campagne 2012 pourrait même dépasser le milliard de
dollars ! C’est la capacité du candidat à collecter l’argent qui lui donne également une crédibilité. Aucun plafond ni dans les dépenses ni dans les dons, tant provenant des particuliers que
des entreprises.
C’est donc les entreprises qui financent les candidats, c’est donc pour elles un investissement, bien plus
rentable que du mécénat culturel ou sportif. Il y a aussi des galas qui permettent de recueillir pas mal d’argent, un dîner à mille euros rassemblant un demi-millier d’invités donne déjà un petit
pécule en une soirée. Lorsque Nicolas Sarkozy rassemblait dans un repas ses généreux donateurs (limités à quatre mille cinq cents euros par
particulier et entreprises interdites en France), c’est en fait sur le modèle américain qu’il se basait. Car le minimum qu’un candidat puisse faire à ses donateurs, c’est au moins un peu
d’attention et de relationnel, qu’ils puissent dire qu’ils ont dîné avec le futur Président. Est-ce que cela pourrait influer par la suite sur les décisions politiques ? Ce sont aux
électeurs de l’évaluer ou pas, la corruption est durement sanctionnée mais si elle n’est pas connue ?
Mode de scrutin baroque
Enfin, c’est très différent de la France car le scrutin n’est pas du tout une simple élection au suffrage universel direct. Résultat d’accords à usine à gaz du début des États-Unis, ce sont
des grands électeurs dans chaque État qui sont choisis par les citoyens américains, et en décembre, ces grands électeurs choisiront le Président des États-Unis. Ces grands électeurs ont un mandat
impératif, c’est-à-dire qu’ils sont élus sur une couleur politique (démocrate ou républicain) et s’ils choisissent un autre candidat que celui de leur couleur, ils risquent une procédure
judicaire contre eux dans beaucoup d’États pour avoir trahi la confiance de leurs électeurs.
Le hic, dans ce scrutin, c’est que ces grands électeurs sont élus en tout ou rien pour chaque État qui se
voit attribuer un nombre de grands électeurs plus ou moins proportionnel à la population. C’est-à-dire que le candidat arrivé en tête dans un État empoche la totalité des grands électeurs
attribués à cet État. Cela veut dire que même s’il ne fait que 51% dans chaque État, il aura 100% des grands électeurs du pays. Mais il est rare qu’un candidat obtienne plus de 50% quand le
scrutin est serré, comme celui de 2012, car il y a en fait plus de deux candidats, mais seuls les deux grands comptent vraiment, médiatiquement en tout cas, et en cas de troisième candidat assez
solide, comme le millionnaire Ross Perot en 1992, il peut juste faire le jeu d’un des deux grands candidats (cela avait entraîné l’éviction de George Bush Sr).
Ce mode de scrutin assez ancien est parfois même très injuste au regard de la démocratie puisque Al Gore a
perdu avec environ cinq cent mille voix d’avance sur George W. Bush. Cette règle est acceptée par tous (Al Gore avait reconnu sa défaite et renoncé à continuer une procédure de contestation après
la décision de la Cour suprême prise à une voix de majorité pour attribuer la Floride aux républicains) car cela peut aussi se faire dans l’autre sens. Barack Obama pourrait bien garder ce mardi la Maison blanche
grâce à ce système.
Qui va gagner ?
A priori, les résultats vont être connus définitivement à partir de trois heures du matin, heure de Paris.
Les résultats vont arriver cette nuit au compte-gouttes, en fonction de l’origine géographique.
Qu’en est-il ce mardi 6 novembre au matin ? Il est très difficile de donner des pronostics mais il est
clair que l’équipe de Barack Obama est très confiante sur la réélection de leur champion. En voici quelques raisons même si son concurrent Mitt Romney a réussi une belle percée dans les sondages
il y a quatre semaines. Il est probable que la gestion de crise de la semaine dernière lorsque l’ouragan Sandy est venu détruire la côte est a contribué à cet état de fait.
Les sondages globaux donnent un léger avantage à Obama avec 48,8% contre 48,1% pour Romney mais comme je l’ai
écrit précédemment, ce type de sondage n’est pas du tout pertinent puisqu’un candidat peut perdre en ayant cet avantage global dans l’opinion publique et même dans l’électorat.
Ce qu’il faut analyser, ce sont les sondages États par États et c’est là où la stratégie de campagne des
candidats est essentielle. Car il y a pour chaque candidat cinq types d’États :
1. les États où, historiquement, il est très largement majoritaire et dans ce cas, inutile de faire campagne. C’est le cas de la
Californie, de l’Illinois, du Massachusetts et de New York pour Obama ; du Texas, du Tennessee, de la Louisiane et de l’Alabama pour Romney, par exemple.
2. les États où il a actuellement une confortable avance mais qui pourrait changer d’une élection à l’autre. C’est le cas entre autres
du New Jersey, du Nouveau-Mexique et du Connecticut pour Obama ; de la Géorgie, du Missouri, de la Caroline du sud et de l’Indiana pour Romney.
3. les États où il est actuellement gagnant mais de façon très serrée : le Minnesota pour Obama et l’Arizona pour Romney, par
exemple.
4. les États où il est presque sûr de perdre (prendre l’inverse des deux premiers) et dans ce cas, il n’y fera pas plus campagne que
s’il était sûr de gagner.
5. enfin, les "swing states", les "États tangents", ceux qui vont faire basculer l’élection d’un côté ou
de l’autre.
Swing states
Les candidats ont donc concentré tous leurs efforts, toutes leurs activités de campagne sur ces swing states,
ce qui montrent d’ailleurs l’ineptie de ce mode de scrutin puisque censé représenté l’ensemble des Américains, le futur Président n’aura fait campagne que sur onze États clefs. Qui sont : la
Floride (29 grands électeurs), la Pennsylvanie (20), l’Ohio (18), le Michigan (16), la Caroline du nord (15), la Virginie (13), le Wisconsin (10), le Colorado (9), l’Iowa (6), le Nevada (6) et le
New Hampshire (4). À eux seuls, ils représentent 146 grands électeurs.
Ce sont donc les sondages (puis les résultats) dans ces États-là qu’il faut scruter pour connaître le gagnant
de cette élection. Et dans cette analyse, Barack Obama possède un léger avantage.
Pour l’instant, Obama peut déjà compter sur 201 grands électeurs assurés tandis que Romney seulement 191.
Pour gagner, il en faut 270.
Depuis quelques jours, Obama a renoncé à faire campagne en Floride. Les sondages donnent une avance de 1,5% à
Romney et cette avance semble insurmontable. Le Président sortant concentre au contraire tous ses efforts, ces derniers jours, sur l’Ohio où il a une avance de 2,9% dans les sondages et qu’il
veut consolidée. Ainsi, depuis Sandy, à chaque déplacement, Obama repasse systématiquement dans l’Ohio pour bien renforcer cet avantage.
Dans ces onze États, le candidat qui est en tête dans les sondages ne l’est pas au-delà de 3 à 5% par rapport
à son concurrent, ce qui correspond à peu près aux marges d’incertitude des sondages. Cependant, si l’on prend la moyenne de tous les sondages les plus récents, Obama serait en tête dans l’Ohio,
le New Hampshire, le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie, l’Iowa, le Colorado et le Nevada tandis que Romney serait en tête en Floride et en Caroline du nord. En Virginie, ils sont quasiment
à égalité (à 0,3% près).
Si l’on décompte ces informations, cela signifierait qu’Obama pourrait recueillir 89 grands électeurs dans
ces États tandis que Romney seulement 44, ce qui ferait qu’en tout, Obama recueillerait 290 grands électeurs, soit vingt de plus que nécessaire.
Même ainsi décompté, cela montre que le scrutin est très serré. Je ne jouerais donc pas à madame Soleil pour
quelques heures, car les sondages peuvent se tromper sur de si petits intervalles.
Quel est l’enjeu ?
Sur le fond, y a-t-il vraiment des différences ? Peut-être pas. Peut-être des différences de perception
pour les citoyens américains.
Sur le plan international (qui n’intéresse absolument pas les électeurs), il y aurait peu de différences
entre Obama et Romney. Aucun des deux ne compteraient s’aventurer dans une guerre contre l’Iran, plus pour
des raisons budgétaires que politiques d’ailleurs. On peut juste imaginer que Romney montrerait qu’il n’aime pas la France où il a séjourné pendant deux ans pour devenir évêque mormon chargé de
l’église française. Il a trouvé le pays rétrograde, archaïque, incapable de faire ce choc de compétitivité qui lui serait nécessaire.
Sur le plan intérieur, il y a des chances qu’il y ait de vraies différences. Romney serait moins porté à
faire de la redistribution que Obama. Or, depuis la crise de 2008, il vaut mieux un Rooservelt qu’un Hoover qui avait littéralement laisser étouffer l’économie. Obama peut s’enorgueillir d’avoir
sauvé General Motors alors qu’il est arrivé au pire moment dans son pays. Il a aussi été un réformateur extraordinaire (historique) en instaurant une assurance maladie pour les populations les
plus précaires. Si jamais il perdait l’élection ce soir, ce serait cette réforme qui resterait dans l’histoire de son mandat, et ce serait sans doute la cause de sa chute.
Rendez-vous… la nuit prochaine.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (6 novembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Obama et le Nobel de la paix.
Obama est-il un bon manager ?
Obama et les exécutions capitales.
L’Obama Day (2009).
Obama au plus haut des
cieux.
Obama, aubaine
des USA.
Obama, la force
tranquille.
Pourquoi
Obama ?
Obama,
futur Président ? (février 2008).
Mode d’emploi électoral.
Idées reçues des élections américaines.
Boîte à outils.
(La carte électorale de Realclearpolitics représente les nombre de grands électeurs ; le bleu correspond à Obama, le rouge à Romney et le gris les swing states dans les sondages).
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/usa-2012-cette-nuit-le-choix-obama-125361