Ca y est, le rapport Gallois tant attendu est rendu public. Commenté plus que de raison avant même sa sortie, il se présente comme un diagnostic de la situation économique de la France. J’ai parcouru docilement ses 74 pages (dont 27 de titres ou carrément blanches et 7 de rappels et d’annexes) pour y trouver noir sur blanc le bilan économique désastreux des années Chirac et Sarkozy : abandon total de l’industrie, décrochage abyssal de la compétitivité, pourrissement des rapports sociaux…
Le rapport le dit : hors énergie, la balance commerciale de la France est passé de 2002 à 2011 de +25,5 milliards d’Euros à -25,4. Ce résultat n’est pas celui de l’incurie économique d’un gouvernement socialiste, comme se plaît à le souligner l’UMP à longueur de journée depuis 6 mois, c’est bien l’héritage qu’a laissé un gouvernement bien plus soucieux de protéger une France de rentiers et de profiteurs de haut vol. Et c’est à cette situation de calamité industrielle et morale que Jean-Marc Ayrault et son gouvernement doit faire face aujourd’hui. Les donneurs de leçons seraient bien avisés de la mettre en veilleuse quelque temps.
Pour l’heure, je ne commenterai que la mesure phare, la 4ème proposition : le choc de compétitivité. Parce qu’elle est emblématique de la capacité à ne pas produire les effets escomptés sans un encadrement draconien. Il s’agit d’une vieille rengaine libérale maintes fois mise sur le devant de la scène : transférer 30 milliards d’allègement de cotisations patronales et salariales vers la CSG et la TVA… afin de redonner aux entreprises un «ballon d’oxygène».
Mais quelques rappels s’imposent. Il faut déjà se souvenir que la part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé pour passer de 68 % dans les années 1980 à 58 % aujourd’hui. Les différentes politiques d’exonérations ou de réduction des cotisations sociales sont passés de 1,9 milliards en 1992 à 30,7 milliards en 2008… Durant cette période, le partage de la richesse produite a fait basculer en cumul 1.500 milliards de salaires et cotisations vers les profits. Il y avait bien de quoi investir. Qu’en ont fait les entreprises ?
En cause : la pression des actionnaires sur les salaires, mais aussi sur les investissements : les données de l’INSEE sur les sociétés non financières montrent qu’en 2009, les dividendes distribués équivalent à 12,4 % de la masse salariale, contre seulement 4,5 % au début des années 1980. Ces mêmes dividendes représentaient 41 % de l’investissement des sociétés contre 16 % au début des années 1980. En fait, le manque de compétitivité ne semble dû qu’à l’avidité des rentiers qui ponctionnent jusqu’à empêcher l’investissement le plus élémentaire…
Qu’est ce qui changerait si on appliquait en l’état la 4ème proposition Gallois ? Rien. Sans parler de l’inévitable baisse de pouvoir d ’achat engendré par la hausse de la CSG et de la TVA (certes à taux réduit), reporter le produit des cotisations sociales (un salaire indirect en somme) vers l’impôt va accentuer le déséquilibre dans le partage de la valeur ajoutée et perturber l’aspect redistributif attaché initialement au produit fiscal. Mais surtout, rien ne garantit du résultat escompté, à l’image de la fameuse baisse de la TVA dans la restauration où moins de 1/5ème des établissements concernés n’ont réellement joué le jeu. Il y aura bien un ballon d’oxygène, mais sans encadrement dans son utilisation, qui peut affirmer que le produit de la mesure ne partira pas directement dans les poches des actionnaires ?
Enfin, pour être totalement honnête, je vois mal les grands patrons du CAC40 agir autrement. Imaginons un seul instant que sous le coup de la mesure l’investissement se relance, que l’économie reparte, que le commerce extérieur s’équilibre, que la croissance revienne, donnant à ce quinquennat un bilan en béton armé et à François Hollande l’image d’un sauveur…. Comment l’UMP pourra-t’elle ensuite critiquer l’inexpérience, l’inculture économique et l’amateurisme du gouvernement et faire valoir ses méthodes qui ont mené la France dans le mur ?
Tout cela me paraît bien peu crédible. Jean-Marc Ayrault aura à faire un choix important : s’appuyer tout ou partie sur le catalogue Gallois et ses mesures dictées par le MEDEF, ou les assortir de garde-fous pour mesurer, réguler et encadrer l’utilisation des fonds destinés à l’investissement dans l’outil de production, la recherche et l’innovation. En somme, tout ce que ne veulent pas les entreprises…
On est pas sorti de l’auberge. Par contre, les pots cassés, je sais qui les paiera.