Ore italiane
Vivant depuis quelques années à l’étranger, je me suis aperçue que mon pays d’origine était souvent perçu à travers des clichés, voilà pourquoi je vous en parle aujourd’hui dans les posts de cette nouvelle catégorie, afin de vous informer de son histoire et de l’actualité à travers l’art contemporain.
Emilio Isgrò, L'ora italiana, installation, dimensions variables, 1985
Le premier article de cette nouvelle catégorie est consacré à l’œuvre d’Emilio Isgrò qui donne son nom à cette même catégorie. Emilio Isgrò est né en 1937 en Sicile et fut très actif dans les années 1960. Il est l'un des représentants de la Poesia Visiva, courant des années 1960 dont les œuvres questionnent la dimension visuelle des mots considérés selon leur valeur iconique, c’est-à-dire en tant que matériel figuratif sur une page. Avec ses « libri cancellati », des véritables livres dans lesquels l’artiste a effacé à l’aide d’encre noire la plupart des mots, en laissant seulement quelques uns, Emilio Isgrò voulait pousser son public à déchiffrer les langages conventionnels en se concentrant sur la valeur des mots et leur place dans la page.
Mais je veux vous parler ici d’une installation, L’ora italiana, justement, qui questionne le temps, cristallisé dans des horloges qui marquent chacune une heure différente. Ces horloges, fixées sur des panneaux circulaires où l’on peut voir aussi des figures humaines aux visages à moitié effacés qui font penser à des fantômes, sont accrochés aux murs de la salle d’exposition. Au début, l’installation est plongée dans l’obscurité, mais, peu à peu, une lumière monte en puissance jusqu’à éclairer complètement la pièce. Cette montée en puissance est soulignée par le tic-tac des horloges, qui commence très faiblement, jusqu’au paroxysme final.
Vue de l'installation à Gallerie d'Italia, nouvel espace d'art du XXème siècle qui abrite la collection de la banque Intesa San Paolo, au centre de Milan
Emilio Isgrò a produit cette installation en 1985, cinq ans après le massacre de Bologne, une attentat terroriste néo-fasciste qui frappa la gare de Bologne en août 1980. Le tic-tac, les visages des personnes presque défigurés (il s’agit de passants photographiés par l’artiste dans les rues de Bologne), la tension qui monte et la référence à l’horloge (celle de la gare, arrêtée à l’heure exacte de l’explosion, est un symbole encore très fort de cette tragédie en Italie)… Tous les éléments nous renvoient à cet événement qui fut l’un des plus violents des années de plomb en Italie. Le visiteur plonge littéralement dans cette atmosphère tendue pour partager le même état d’âme des personnes qui se trouvaient par hasard à la gare de Bologne à ce moment précis.
Emilio Isgrò, Libro cancellato: l'attacco isterico, 1967, technique mixte, collection Mart Rovereto (Italie)
Encore une fois, après les effacements et donc l’invention d’un nouveau message fruit de la négation, Isgrò se propose comme un artiste engagé, dont la mission est de nous pousser à la réflexion, nous présenter les choses comme elles sont, sans les édulcorer. L’art n’est pas que la beauté ou la laideur, il est témoin d’une époque, frère ou cousin de l’histoire.