Pitch.
L'enquête sur l'attentat de la banque nationale d'agriculture piazza Fontana à Milan en décembre 1969, une des affaires les plus sombres de l'histoire de l'Italie. Qui a commandité cet attentat jamais revendiqué officiellement?
Un homme va acheter 50 minuteurs pour machines à laver, générique. On présente les différents protagonistes, Giuseppe Pinelli, cheminot, chef idéaliste des anarchistes, le commissaire Luigi Calabresi, le prince Borghese, chef du mouvement neo-fasciste (Fronte nazionale). Mais tout n'est pas si simple, il y a des infiltrés fascistes chez les "rouges" (eux-mêmes financés par un éditeur milliardaire, Feltrinelli), Pinelli a renvoyé Pietro Valpreda du mouvement anar car il le trouvait trop violent et Valpreda a un presque sosie, ce qui fait qu'on n'arrivera jamais à déterminer qui était dans un taxi en direction de la banque avec un sac de voyage, descendu puis remonté dans le taxi sans ce sac de voyage pour y faire 800 mètres, et cela juste avant l'attentat de la Piazza Fontana. On a cru d'abord à l'explosion d'une chaudière. Le 12 décembre 1969, à 16 h 37, une déflagration au numéro 4 de la Piazza Fontana au siège de la Banca Nazionale dell’Agricoltura en plein centre de Milan fait 17 morts et 90 blessés. Très vite, on se rend compte que c'est un attentat, beaucoup plus tard, on émettra l'hypothèse qu'il n'y avait pas une bombe mais deux bombes ce jour-là. Mais revenons à l'hypothèse d'un seul poseur de bombes.
photo Bellissima
Malgré que la police le considère comme non violent, ce qui est le cas, Pinelli est interrogé trois jours durant à la préfecture de police, soupçonné de l'attentat, ses alibis ne collent pas, pourtant, le commissaire Calabresi est persuadé de son innocence. Il suffira que Calabresi quitte la pièce d'interrogatoire pour quelques minutes pour que Pinelli tombe du quatrième étage (le 15 décembre au soir) : les policiers présents jurent qu'il a sauté, qu'il s'est suicidé, un accident... Calabresi cherche d'abord les terroristes dans les milieux d'extrême gauche. Finalement, on fera porter le chapeau à Pietro Valpreda, ce danseur sans travail que Pinelli avait exclu du mouvement anarchiste, présenté par la presse comme un fou dangereux, seul responsable de l'attentat de la Piazza Fontana. Mais l'opinion publique, divisée, en veut aussi à Calabresi dont le nom reste associé à la défenestration de Pinelli. Pourtant Calabresi est honnête, chemin faisant, il va penser à l'implication des haute sphères politiques et lui-même sera exécuté devant chez lui trois ans plus tard.
En 1968, les nombreuses revendications ouvrières et étudiantes avaient atteint leur point culminant durant "l’automne chaud" avec des grèves continues, des manifestations, des occupations d’usines et d’universités. Pour la première fois depuis la fin de Seconde Guerre mondiale, l’ordre ancien semblait sur le point de céder. Pour certains politiques, c’était l’espoir d’un changement et d’une amélioration sociale, pour d’autres, la peur de perdre leur statut et leurs richesses. Le président Sagat, chef de la démocratie chétienne, atlantiste, influencé par Nixon, avait réussi la scission de la gauche mais peinait à gouverner seul (Aldo Moro, son ministre des affaires étrangères, tentait de le tempérer, il sera assassiné en 1978 par les Brigades rouges), le prince Borghese, à la tête des neo-fascistes, mijotait un coup d'état. Fallait-il du désordre (l'attentat de la Piazza Fontana) pour justifier le retour de l'ordre et des mesures autoritaires? On dit que le prince Borghese renonça à son projet de coup d'état après qu'un million d'italiens soit venu assister en silence aux funérailles des victimes de la Piazza Fontana. Cet attentat ne sera jamais revendiqué. Vengeance du prolétariat ? Rétorsion neo-nazie ? Opération menée sous couverture des services secrets ?
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A tous points de vue, le film est magnifique, le réalisateur du superbe "Nos meilleures années" (2003) est à son meilleur ("Sanguepazzo", 2008, dans l'intervalle, m'avait moins convaincue). Filmé en lumière "de guerre" livide, verdâtre, avec seul le sang rouge des victimes sous les décombres, s'agissant des lieux de l'attentat, cette banque de la Piazza Fontana, aperçue avant le drame, un lieu magnifique, immense, devenu un champ de ruines qu'on va aborder sous différents angles jusqu'à faire appel aux archives en noir et blanc.
Bien évidemment, on en revient toujours à la référence du cinéma politique italien, Francesco Rosi avec des films type "L'Affaire Mattei" ou "Main basse sur la ville", d'autant que les événements ayant lieu en 1969, on est dans la même époque parfaitement reconstituée par Marco Tullio Giordana. Le seul bémol, c'est le passage brutal de 1969 à 1972 vers la fin du film avec l'apparition de personnages un peu "sortis de nulle part" pour le spectateur. L'approche factuelle, date après date, une dizaine de chapitres avec beaucoup de noms de politiques italiens, peut perdre un peu le spectateur français (mieux vaut rester concentré, ce qui n'est pas difficile tant le film est captivant).
Il avait un des rôles principaux dans "Nos meilleures années", le réalisateur, Marco Tullio Giordana, lui a donné ici un rôle secondaire : Luigi Lo Cascio (le juge Ugo Paolillo), grand acteur italien (un des meilleurs). Giuseppe Pinelli est interprété par un acteur qu'on vient de voir dans "ACAB" : Pierfransceso Favino et le commissaire Calabresi par un acteur que je ne connaissais pas : Valerio Mastandrea au physique Cassavetes moins survolté qu'un Gian Maria Volontè ("L'Affaire Mattei", 1972, de Francesco Rosi, "Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon", 1970, et "La Classe ouvrière va au paradis", 1971, d'Elio Petri)... Dans le rôle de son épouse, la belle Laura Chiatti (discrètement brune cette fois-ci).
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